Les trois grands ports français conteneurisés ont cumulé à la fin de 2021 un nouveau record en matière de trafic conteneurisé, en totalisant ensemble plus de 5,2 millions d’EVP. La palme de la progression annuelle revient à Dunkerque, devant Marseille et Haropa.
© Upply - Sources des données : autorités portuaires.
Au-delà de la satisfaction légitime et un peu chauvine de ces nouveaux records hexagonaux, nous avons souhaité faire un état des lieux pour évaluer le degré d’attractivité du marché français pour les compagnies maritimes de ligne régulière.
Il convient tout d’abord de rappeler quelques échelles de grandeur. Le port de Shanghai, numéro un mondial pour le trafic de conteneurs devant Singapour et Ningbo, a traité un peu plus de 47 millions d’EVP en 2021, ce qui représente une croissance de 8%. Les ports chinois, qui s’arrogent 8 des 10 premières places du classement mondial, ont enregistré un trafic global de 282,7 M EVP, en hausse de 7%. Singapour a retrouvé et même légèrement dépassé son niveau de 2019, mais n’a progressé que de 1,6% l’an dernier, à 37,5 M EVP.
©Upply - (*) Résultats non publiés à date. Le chiffre correspond à l’objectif annuel fixé par l’autorité portuaire. Sources des données : ministère des Transports chinois ; autorités portuaires.
Modeste à l’échelle mondiale, la place de la France l’est aussi sur le plan européen. Nous restons un petit marché face au bloc allemand élargi, qui rayonne également sur l’Europe de l’Est, l’Autriche et la majorité de la Suisse en s’appuyant de plus en plus de façon "extra-territoriale" sur le port de Rotterdam, et dans une moindre mesure sur Anvers.
Les grands ports nationaux allemands que sont Hambourg et Bremerhaven peinent en effet à progresser pour des raisons physiques et foncières. Pour Hambourg, la navigation des porte-conteneurs géants en rivière sur l’Elbe est un casse-tête insoluble (comme à Anvers). Hapag Lloyd a annoncé le lancement d’un nouveau service direct entre le sud de la Chine et Hambourg à compter d’avril 2022, offrant un transit time rapide de 27 jours. Ce service premium sera assuré par 8 petits navires Panamax adaptés aux contraintes de Hambourg. Mais ce type de service ne suffit évidemment pas absorber la masse des flux entre l’Asie et l’Europe du Nord, ce qui explique un délestage progressif à l’import comme à l’export en faveur de Rotterdam, port direct le plus moderne de la zone de chalandise élargie.
© Upply - Source des données : autorités portuaires.
Compte tenu de sa place sur les scènes mondiales et européennes, la France risque-t-elle perdre des services directs et de voir ses ports réduits au rôle d’établissements secondaires desservis par des services de feeder ? Cette menace était réelle en fin de période pré-pandémique, lorsque les compagnies maritimes devaient composer avec des rentabilités désastreuses et que le contexte social était tendu en France. Elle l’est beaucoup moins aujourd’hui, pour 3 raisons principales :
Du point de vue des conditions d’accès nautique, Port 2000, au Havre, est le port préféré des commandants de grands navires en Europe. À l’heure des congestions et des attentes multiples, l’accès à Port 2000 est rapide, simple, efficace, par tous types de temps.
Le Havre, comme Fos-sur-Mer et Dunkerque, sont des ports qui bénéficient de conditions naturelles privilégiées. À l’inverse, Southampton, par exemple, est lourdement handicapé par la navigation dans le Solent, souvent complexe en hiver. L’accès à Hambourg et Anvers nécessite également des navigations fastidieuses et coûteuses en rivière. Gênes et Barcelone sont quant à eux des sites portuaires historiques géographiquement contraints par le relief.
En résumé, les établissements français ont une carte à jouer pour tirer enfin pleinement partie de leurs atouts géographiques.
Bien que fortement déficitaire en valeur, comme l’ont encore montré les statistiques du commerce extérieur pour 2021, le marché français équilibre plutôt bien ses flux de conteneurs en volume. C’est peut-être le plus gros atout des ports français en termes d’attractivité pour les compagnies maritimes.
Même si la France importe beaucoup d’Asie, la présence de nos industries agro-alimentaires, chimiques et industrielles permet en effet de mettre en face des importations des volumes conteneurisés sensiblement équivalents à l’export, même si le manque chronique de conteneurs reefer depuis plusieurs années pénalise les produits français.
Cette capacité à équilibrer nos flux en volume nous place dans le groupe de tête européen de l’attractivité, malgré une taille de marché qui reste limitée face à l’Allemagne et dans une moindre mesure à l’Italie, compétiteur européen très sérieux pour la France.
Dans ce contexte, on comprend mieux l’amertume des chargeurs français qui ont perdu environ 10% de leur volumétrie export au premier semestre 2021, faute d’avoir pu avoir accès aux conteneurs vides. Un vrai gâchis...
En comparaison, le Royaume-Uni et l’Espagne sont des marchés à plus faible capacité exportatrice en volume… Ce sont eux qui risquent donc davantage d’être "feederisés", même si ce sont logiquement et mécaniquement les deux pays européens qui exportent le plus rapidement et le plus massivement les conteneurs vides… vers l’Asie, en vue d’un retour plein rapide et ultra payant. Pour l’instant, cet atout les sauve, mais à notre avis momentanément.
La flambée des taux de fret maritimes durant la pandémie a permis aux compagnies maritimes de restaurer leurs bilans financiers. C’est notamment le cas pour le champion français CMA CGM. Durant les heures noires, l’État a toujours été à ses côtés, en particulier lors du plan de sauvetage de 2009 ou encore aux premières heures de la pandémie de Covid-19. Il paraîtrait inopportun politiquement que la compagnie tourne le dos à la France maintenant que tout va mieux.
On peut mentionner également MSC, historiquement très présente en France, qui gagnerait à montrer à ses clients français qu’elle leur reste fidèle en période d’opulence.
Une certaine reconnaissance semble aujourd’hui légitime. On peut espérer que les ports français seront les premiers à en profiter.