Plus de trois ans après le référendum qui a acté son départ de l’Union européenne le Royaume-Uni est devenu un pays tiers le 31 janvier. Un cap indolore pour le transit des marchandises avec le continent, puisqu’une période de transition, prévoyant un statu quo, est ouverte jusqu’au 31 décembre 2020, avec une possibilité de prolongation d’un ou deux ans.
Cette période doit permettre de négocier sereinement le futur cadre des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Mais il serait naïf d’imaginer que la continuité à laquelle on a fini par s’habituer durant ce feuilleton à rebondissements perdurera encore longtemps. Boris Johnson a été élu pour négocier en position de force, et cela semble être le cas.
La non-dépendance maritime vis-à-vis de l’Europe est déjà un sous-jacent fort de la politique du dirigeant britannique en matière de commerce et d’approvisionnement. C’est un levier évident, d’une part pour démarrer en position de force les négociations avec Bruxelles concernant le futur accord, et d’autre part, pour affirmer, sur la scène politique intérieure, une souveraineté retrouvée.
La pression est maintenant sur Bruxelles. Si un accord européen n’est pas possible, le risque serait que des accords bilatéraux se multiplient entre le Royaume-Uni et certains pays de l’UE sur leurs intérêts vitaux, affaiblissant de fait la gouvernance communautaire.
D’autre part, l’alignement atlantiste est d’ores et déjà évident, assumé, et en cohérence avec le discours populiste "Make America Great Again" cher à Donald Trump.
1. Une vision élargie… sans l’Europe
À l’échelle planétaire se dessinent des relations renforcées avec le bloc USA/Canada d’une part, et le pôle Singapour/Australie/Nouvelle-Zélande d’autre part. À cela s’ajoutent un bloc Afrique avec comme point d’entrée l’Afrique du Sud, ainsi que des accords particuliers avec le Japon.
En résumé, le Royaume-Uni devrait privilégier une conjonction du Commonwealth avec les États-Unis et leurs principaux alliés, dans un grand accord de libre-échange basé sur le socle commun de l’histoire, de la vassalité, de la langue… et des institutions bancaires.
Trois grands ports d’entrée accueillent aujourd’hui les flux pour le grand import : Southampton, Felixstowe, London Gateway. Mais le pays devrait mettre en place une couverture maritime et aérienne élargie avec ses partenaires historiques. L’artère centrale serait une sorte de boulevard (du Whisky) transatlantique, rapide et quasi privatisé entre la côte Est USA-Canada et le Royaume-Uni.
Les grandes manœuvres portuaires ont d’ailleurs commencé. Le 11 février dernier, l’ambassadeur américain au Royaume-Uni, Robert Wood Johnson, a visité les installations du terminal à conteneurs Liverpool 2, capable d’accueillir des navires de 10 000 EVP. Il s’agit du seul port en eaux profondes de la côte Ouest. M. Johnson, qui était accompagné d’industriels et de la compagnie ACL (Atlantic Container Line), propriété du groupe Grimaldi, s’est montré très enthousiaste à l’idée d’un tel projet "d’autoroute de la mer" sur l’Atlantique Nord.
Si de nouveaux corridors se dessinent à l’international, le Royaume-Uni ne peut évidemment pas se passer de ses partenaires européens. Aujourd’hui, 95% du commerce international du Royaume-Uni passe par les ports britanniques, dont la moitié avec l’Union européenne.
2. Un réseau hyper capillaire avec l’Europe
Élément clef des chaînes logistiques britanniques, l’UE est un partenaire commercial incontournable. Mais l’organisation des flux doit radicalement changer. L’idée forte est d’éviter les goulets d’étranglement qui pourraient voir le jour lorsque les frontières douanières seront rétablies. On pense notamment au risque majeur d’engorgement sur l’axe Calais-Douvres. Le 10 février, le gouvernement britannique a confirmé qu’il souhaitait mettre en place un contrôle des importations en provenance de l’UE, tout comme l’UE a prévu de contrôler les marchandises britanniques entrant dans l’Eurozone.
La solution peut être d’augmenter le nombre de points d’entrée sur le continent. Cette politique, qui pourrait profiter en France à Dunkerque, Dieppe, Fécamp, le Havre, Caen-Ouistreham, Cherbourg, Saint-Malo et Roscoff, aboutirait à la multiplication de petites lignes, soutenues financièrement par l’État britannique. On peut imaginer une spécialisation par trafics et par filières. Du côté britannique, Teesport semble également dans les starting-blocks.
Certains opérateurs, en tout cas, fourbissent déjà leurs armes. Brittany Ferries et Ports de Normandie ont annoncé le 12 février le lancement d’un projet de ferroutage via Cherbourg pour relier la Grande-Bretagne et l’Irlande à l’Espagne.
"Le marché du Transmanche a vu transiter en France environ 4,2 millions de poids lourds, tunnel sous la Manche inclus) en 2018. C’est un marché en croissance continue (+ 25 % en 10 ans) et plus de 5 millions de passages sont attendus d’ici 2025", précise les deux partenaires dans un communiqué, ajoutant que "de nouveaux défis émergent, avec la nécessaire prise en considération du Brexit, de l’évolution de la taille des navires, des changements à venir en termes de mobilité et des problématiques environnementales".
Avec le lancement d’un service intermodal, Brittany Ferries ambitionne d’optimiser le poids et le volume embarqué en réduisant le nombre de tracteurs routiers embarqués au profit de la remorque.
On note quelques obstacles toutefois à cette politique en faveur de la fluidité des échanges avec l’Europe.