Face aux attaques des Houthis en mer Rouge, les compagnies maritimes se sont pour l’instant adaptées en contournant l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance. Mais si la menace perdure au-delà du premier trimestre dans le détroit de Bab-el-Mandeb, elles vont devoir réfléchir à des formes d’organisation de l’exploitation moins contraignantes que les voyages de bout en bout via le cap.
En effet, le marché de l’affrètement se tend fortement et l’arrivée des nouvelles capacités n’est pas immédiate. Dans le même temps, à la différence de 2023, on observe en 2024 un programme de mise au rebut des navires qui redémarre pour se séparer des unités pas forcément les plus anciennes mais les plus polluantes.
Ce cocktail, qui vise à installer une certaine tension sur le marché, pourrait finalement se retourner contre les compagnies qui risquent de payer un prix d’affrètement trop élevé pour des navires qui n’ont pas un taux d’utilisation annuel suffisant, surtout si le "super slow steaming" reste de mise. Or cette hypothèse se précise, avec des tensions probables à partir du deuxième semestre sur les marchés pétroliers.
À défaut de vitesse, et pour asseoir une restauration durable du marché des taux, il pourrait être tentant pour les compagnies de mettre en place des "services papillons", c’est-à-dire des services scindés en deux boucles ce qui permet des rotations plus courtes.
Cette option n’est pas une innovation en soi. Cette organisation a déjà existé dans le passé : elle repose sur des services de navettes, avec des boucles courtes entre l’Europe du Nord et l’Afrique du Sud (Le Cap ou Durban) puis une boucle entre l’Afrique du Sud et l’Asie.
NB : La desserte de la Méditerranée souffre particulièrement du blocage de la mer Rouge en matière de transit time via le cap de Bonne-Espérance et le détroit de Gibraltar. L’option d’un service papillon peut consister à charger ou décharger les marchandises à Tanger ou Algésiras, pour desservir les ports méditerranéens.
Cette option semble géographiquement plus satisfaisante en termes de distance, mais elle suppose la mise en place d’un véritable pont routier très complexe entre le port de Jebel Ali à Dubaï et Djeddah en Arabie saoudite.
Une variante de cette option, consistant à relier les ports de Jebel Ali et Haïfa par la route via la Jordanie, est également géographiquement envisageable. Elle permet certes de s’affranchir totalement du Canal de Suez mais reste peu crédible, car encore plus compliquée que via Djeddah pour le segment routier.
L’origine du corridor de transport international nord-sud (INSTC) remonte au début des années 2000. Ce projet a été ratifié par l’Inde, la Russie et l’Iran en 2002, avant d’être étendu à 11 autres pays, principalement d’Asie centrale. Il vise à connecter l’océan Indien et le golfe Persique à la mer Caspienne, avec une extension jusqu’au nord de l’Europe, en s’appuyant sur un réseau d’infrastructures maritimes, routières et surtout ferroviaires.
Le corridor Nord-Sud n’a guère progressé pendant près de deux décennies. Mais la nouvelle donne géopolitique entraîne aujourd’hui un regain d’intérêt pour cet itinéraire alternatif au canal de Suez. Soucieux d’accroître leur contrôle sur les échanges Est-Ouest, les pays du Sud Global voient dans cet itinéraire une opportunité. Quant à la Russie, elle contourne ainsi les sanctions décidées par les Occidentaux, suite au déclenchement de la guerre en Ukraine. Si cet itinéraire devait monter en puissance, il ferait une victime collatérale, l’Égypte, qui bien qu’appartenant au Sud Global, payerait ainsi au prix fort sa "soumission" aux Américains.
Ce projet consiste à massifier des flux entre Bandar Abbas en Iran, et Saint-Pétersbourg. Une aile du papillon dessert la Chine, ses pays satellites et l’Inde depuis Bandar Abbas, tandis que l’autre aile s’étend de Saint-Pétersbourg au range des ports d’Europe du Nord.
Autre serpent de mer qui trouve un regain d’intérêt compte tenu de l’incapacité de transiter par Suez : la route maritime nord. Cette route, qui s’ouvre un peu plus chaque année, pourrait aussi s’organiser en papillon depuis Mourmansk, pour optimiser cette fois les moyens de navigation en fonction des glaces à traverser.
Pertinente pour desservir le Nord de la Chine, la Corée et le Japon, cette route l’est beaucoup moins pour relier le sud de la Chine, le Vietnam et l’Inde. Ignorée voire volontairement écartée par les Occidentaux pour des raisons environnementales, cette hypothèse pourrait être examinée de plus près par des opérateurs comme Cosco par exemple, dans le cadre de Ocean Alliance, face à la nouvelle donne en mer Rouge.
Comme pour le corridor Nord-Sud, les acteurs de ces solutions appartiennent au Sud Global, plutôt qu’à l’occident.
⇒ Il n’existe pas d’alternative performante et massifiée au canal de Suez à court-terme.
⇒ La probabilité que les navires mères continuent de faire le tour via le cap de Bonne-Espérance est élevée dans le contexte géopolitique actuel au Moyen-Orient. Cette solution reste la moins mauvaise pour le fret massifié fcl/fcl (full container load).
⇒ La route via le cap de Bonne-Espérance n’est pas une si bonne affaire que cela dans la durée pour les compagnies. Le taux d’occupation des conteneurs pleins par cellule est bien trop faible pour être économiquement rentable, même avec des taux de fret réévalués.