Market Insights

Routes de la Soie : les coopérations sino-allemande et sino-française

Rédigé par Ganyi Zhang | 24 février 2020

Bien qu'elles n'aient pas officiellement adhéré à l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie, l'Allemagne et la France, les deux plus grandes économies d'Europe, sont inévitablement impliquées dans des projets entrepris dans ce cadre. Cet article présente une vue comparative des approches coopératives Chine-Allemagne et Chine-France, en mettant l'accent sur le secteur des transports.

En 2018, l'Allemagne et la France étaient les premier et quatrième partenaires commerciaux de la Chine dans l'UE. Examinons les similitudes et les différences entre la coopération sino-allemande et la coopération sino-française dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative ou BRI), en mettant l'accent sur le secteur des transports.

Pas si différent ?

Pour ce qui est de la structure et de l’approche, le mode de coopération est assez semblable. Il montre un engagement limité au niveau de l'État et une priorité donnée à la coopération par projets et au niveau local, grâce à la collaboration entre les entreprises chinoises (principalement des entreprises d'État) et des sociétés allemandes et françaises.

Contrairement à l'Italie, l'Allemagne et la France n'ont pas officiellement adhéré à la BRI. Ces deux pays promeuvent une politique européenne unie face à cette initiative. L'engagement au niveau des États se fait par le biais de leur participation à la Banque Asiatique d'Investissement dans les Infrastructures, une banque multilatérale de développement lancée par la Chine. L'Allemagne et la France sont respectivement le premier (4,6%) et le deuxième (3,4%) bailleurs de fonds parmi les membres "non-régionaux"[1], détenant ensemble environ 7,4% des droits de vote dans la BAII[2]. Les deux pays ont l'intention de façonner la BRI à travers des cadres institutionnels multilatéraux, en particulier sur des sujets tels que le développement durable et les droits de l'homme.

Les acteurs locaux, qui participent directement aux projets, semblent être particulièrement actifs dans l'initiative BRI en Allemagne et en France, à l'instar des villes de Duisburg et Lyon qui sont les destinations européennes routes ferroviaires Chine-Europe. Bien qu'il n'y ait pas de protocole d'accord au niveau de l'État pour la BRI, certaines entreprises qui sont directement impliquées dans des projets avec la Chine liés à la BRI, par exemple Siemens, ont signé des partenariats avec des entreprises chinoises en 2018.

Deux principaux domaines de coopération dans le secteur des transports

Pour le secteur des transports, la coopération de la Chine avec l'Allemagne et la France concerne plus précisément deux domaines : l'intégration du RTE-T avec la BRI et la coopération dans les marchés tiers. Dans cet article, je propose une vision comparative des approches sino-française et sino-allemande dans ces deux domaines, basée sur 3 facteurs : le niveau d'engagement de l'État, la nature des projets et le format de la coopération.

1. Intégration RTE-T et BRI

L'intégration du RTE-T avec la BRI est l'un des objectifs premiers de la Chine en matière de coopération avec l'UE. Étant donné que certains projets de connectivité peuvent se recouper avec la coopération dans des marchés tiers, nous ne nous pencherons dans ce chapitre que sur l'implication de la Chine en France et en Allemagne.

Alors que l'Allemagne et la France n'ont pas officiellement rejoint la BRI, divers documents politiques bilatéraux illustrent les échanges sur des projets de connectivité. Dans les deux cas, l'engagement au niveau de l'État s'est également fait par le biais de la participation à la Plateforme de connectivité UE-Chine depuis 2015, qui est consacrée à la discussion sur la coopération UE-Chine dans les projets de connectivité.

> Une forte présence dans le secteur maritime en France…

Dans le cas de la France, l'implication de la Chine se concentre sur le fret maritime, avec une présence modérée dans le fret ferroviaire et aérien.

La coopération en matière de fret maritime se fait principalement entre Chinese Merchants Holding (CMHI) et CMA CGM. En 2013, CMHI a acquis une participation de 49% dans Terminal Link, la filiale opérateur portuaire de CMA CGM. En conséquence, Chinese Merchants Group détient indirectement des actions dans 15 terminaux appartenant à Terminal Link, 4 en France (Dunkerque, Le Havre, Montoir et Fos) et 8 dans d'autres pays. En ce qui concerne les quatre ports français[3], le volume des expéditions à destination et en provenance de la Chine via Le Havre n'a pas beaucoup changé depuis l'acquisition des terminaux en 2013. Mais il convient de noter qu'il y a eu une augmentation soudaine des expéditions vers et depuis la Chine via Dunkerque depuis 2016. L'intérêt de la Chine pour Dunkerque pourrait aider à faciliter les liaisons maritimes dans l'ère post-Brexit. L'engagement de CMHI s'est approfondi grâce à l'accord de partenariat stratégique de 2015 sur le BRI avec CMA CGM , et une autre étape a été franchie en 2019 avec l'acquisition de participations dans dix terminaux CMA CGM.

Figure 1 - Source de données : Eurostat

La coopération sino-française dans le secteur du fret ferroviaire a commencé beaucoup plus tard. La première et la seule ligne de transport ferroviaire directe Chine-France a été lancée en 2016, de Wuhan à Lyon[4], tandis que la première ligne de transport ferroviaire Chine-Allemagne a été lancée en 2011.

> et dans le secteur ferroviaire en Allemagne 

En revanche, nous constatons une forte présence des intérêts chinois dans le secteur ferroviaire en Allemagne. En 2017, les chemins de fer allemands (Deutsche Bahn), ainsi que leurs homologues ferroviaires chinois, polonais, russes, mongols, biélorusses et kazakhs ont signé un accord multilatéral visant à approfondir la coopération dans le domaine ferroviaire Chine-Europe.

L'exemple le plus frappant est la coopération de la Chine avec le port de Duisburg. POint d'arrivée de la première ligne de chemin de fer Chine-Europe lancée en 2011, Duisbourg est la plaque tournante des lignes de transport ferroviaire Chine-Europe. En 2019, Duisburg a formé un partenariat avec COSCO Shipping Logistics pour construire le plus grand terminal de conteneurs d’arrière-pays en Europe, avec un débit annuel de 850 000 EVP. La même année, un accord de coopération trilatérale entre Duisburg, COSCO et Zeebrugge a été lancé afin de développer une connexion avec l'arrière-pays. Il permet à la Chine d'étendre ses connexions maritimes multimodales en Europe. En fait, l'Allemagne est le seul pays où les chiffres des expéditions ferroviaires sortantes (de l'Allemagne vers la Chine) sont plus élevés que les chiffres des expéditions entrantes à la fois en termes de valeur et de volume (figure 2), car les voitures et les machines allemandes sont principalement expédiées d'Allemagne vers la Chine par le rail.

 

Figure 2 - Expéditions par chemin de fer sino-allemand en volume et en valeur - Source des données : Eurostat

Quant au transport maritime, la situation diffère sensiblement du cas français. Il n'y a eu aucune acquisition chinoise de terminaux dans un port allemand[5]. Cependant, on peut observer d'autre types d'investissements d'un nouveau type dans le secteur maritime. Les compagnies maritimes chinoises, telles que COSCO, ont choisi Hambourg comme siège pour leurs opérations européennes. Le port de Wilhelm fournit un autre exemple : un projet de centre logistique de 200 000 mètres carrés destiné à China Logistics a été lancé en 2019.

2. Coopération dans des marchés tiers

La coopération dans des marchés tiers, qui est apparue pour la première fois en 2015 dans la Déclaration conjointe sur la coopération sino-française dans des marchés tiers, est un type de coopération économique entre les entreprises chinoises et d'autres entreprises internationales dans un pays tiers. Il s'agit en général de partenariats entre la Chine et des pays industrialisés pour développer principalement des projets d'infrastructure dans des pays en développement.

> Engagement au niveau de l'État

De tous les accords signés entre la Chine et 14 autres pays, la coopération sino-française dans des marchés tiers est de loin la plus étendue au niveau organisationnel, car la Chine entend faire de cet accord une illustration de la coopération dans les marchés tiers. La Chine et la France ont signé deux documents de politique, incluant une liste de projets types, et ont formé trois groupes de travail pour soutenir la coopération. Par rapport à la France, la coopération sino-allemande dans le secteur des transports est plus modeste, sans accord officiel au niveau de l'État et avec moins de projets.

> Domaine des projets communs

On observe ici une cohérence entre les projets de coopération dans des pays tiers et ceux qui concernent la connectivité "domestique". Elle se vérifie au niveau du champ d'action comme à travers les acteurs impliqués.

La majorité des projets Chine-France restent ainsi dans le secteur du fret maritime, et ceux du tandem Chine-Allemagne dans le fret ferroviaire. En termes de partenaires de coopération, CMA CGM continue de prendre la tête dans de multiples projets d'infrastructures maritimes, tels que le port de Kribi au Cameroun, exploité conjointement par Bolloré Africa Logistics et China Harbour Engineering. De même, le port de Duisburg est devenu actionnaire dans la société de développement du parc industriel Chine-Biélorussie depuis 2018 et a signé un protocole d'accord en 2019 avec PSA (Port of Singapore Authority) dans les projets de connectivité Chine-Singapour.

Les entreprises qui collaborent déjà avec la Chine sur leur marché intérieur semblent être plus motivées à coopérer dans des marchés tiers, ce qui pourrait expliquer cette cohérence.

> Format de coopération

La Commission nationale chinoise pour le développement et la réforme a divisé la coopération dans les marchés tiers en cinq types :

  • Produits et services
  • Ingénierie
  • Investissement
  • Combinaison industrie et finance
  • Coopération stratégique entre entreprises

Les projets Chine-France se présentent principalement sous forme de co-investissement, les entreprises françaises agissant comme (co-)opérateurs des projets d'infrastructures, par exemple pour les terminaux ou les routes. Pour l'Allemagne, le nombre limité de projets ne permet pas pour l'instant de faire des généralisations. Cependant, parmi les quatre projets dans le secteur des transports, deux font également l'objet d'investissements conjoints.

La diplomatie des projets types

Dans l'ensemble, malgré la similitude entre la coopération sino-française et sino-allemande au niveau macro, la comparaison montre des approches différentes en termes de projets. La Chine coopère principalement avec l'Allemagne sur la connectivité ferroviaire Chine-Europe, tandis que la France est davantage impliquée dans la coopération dans des marchés tiers.

Cette absence de chevauchement peut s'expliquer par la stratégie de coopération internationale de la Chine, qui consiste à déployer des projets spécifiques permettant au cas par cas de promouvoir la BRI. Le cas le plus célèbre est probablement le port du Pirée en Grèce.

La coopération entre la Chine et la France dans les marchés tiers et la coopération ferroviaire Chine-Allemagne relève de la même logique. Pour la Chine, la construction de projets dans des domaines différents avec l'Allemagne et la France, qui sont les deux plus grandes économies ayant une influence politique majeure dans l'UE, présente non seulement des avantages économiques, mais également une importance politique.

Même si l'engagement au niveau de l'État est très limité, ces projets peuvent être qualifiés d'exemples de coopération réussie entre la Chine d'un côté, et l'Allemagne et la France de l'autre. D'une certaine manière, cela permet à la Chine d'insérer efficacement l'influence et l'image de marque de la BRI dans l'UE. Néanmoins, avec la mise en place de mécanismes de filtrage de l’IED par l’UE depuis 2019, les investissements futurs de la Chine dans le secteur des transports dans l'UE pourraient être soumis à certaines restrictions réglementaires.

Notes
[1] Les membres non régionaux sont les membres qui ne sont pas situés en Asie, au Moyen-Orient ou en Asie-Pacifique.
[2] La Chine, en tant que premier donateur, détient environ 26,8% des voix.
[3] Les données de Montoir ne sont pas disponibles.
[4] La ligne Wuhan-Lyon a récemment été temporairement déplacée vers Xi'an-Lyon, en raison de la quarantaine de Wuhan.
[5] L'acquisition chinoise a eu lieu principalement dans des entreprises manufacturières allemandes.