Les compagnies maritimes ont connu au premier trimestre 2019 un "green scissor effect" redoutable. Confrontées à une baisse des taux de fret, traditionnelle après le pic du Nouvel An Chinois, elles subissent parallèlement une hausse des prix du fuel maritime. Si l’érosion des taux de fret devrait s’atténuer, le renchérissement du fuel, lui, ne devrait que se confirmer à l’approche de l’entrée en vigueur de la réglementation "Low Sulphur" de l’OMI, au 1er janvier 2020.
Au cours du 1er trimestre 2019, le marché du fret maritime a fortement baissé. Notre comparateur Upply affiche par exemple une chute de prix de -9 % sur la ligne Shanghai-Rotterdam (40HC, période janvier-avril 2019). Cette tendance baissière sur les prix du transport maritime export Asie s’explique par un effet de saisonnalité post Nouvel An Chinois. Les compagnies maritimes adaptent en général leurs capacités en annonçant une série importante de "blank sailings" ou de nouvelles réductions des vitesses commerciales.
L’érosion des prix devrait désormais s’atténuer, sur la base de meilleures perspectives économiques notamment en Chine avec une croissance économique de 6,4% au premier trimestre en rythme annuel et une relative baisse des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis.
Des perspectives inflationnistes
Mais la situation de trésorerie à court terme pour le secteur maritime pourrait pourtant rester sous pression. En effet, les compagnies subissent un "effet de ciseaux". La baisse globale des prix de vente (hors transpacifique) s’accompagne parallèlement d’une augmentation du coût d’exploitation car le pétrole est sur une tendance fortement haussière ce trimestre : +23% pour le fuel maritime (bunker Ifo380, High sulfur, moyenne 20 ports, janvier-avril).
Les perspectives sont clairement inflationnistes pour les facteurs de production, avec un risque de renchérissement du prix du "fuel moins polluant", en lien avec l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation "Low Sulphur" de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), à compter du 1er janvier 2020. À cette date, les navires devront utiliser un fuel dont la teneur en soufre ne dépasse par 0,5% m/m, alors que le plafond est aujourd’hui fixé à 3,5%. Une limite par ailleurs déjà établie depuis 2015 à 0,1% m/m dans certaines zones sensibles (zones ECA).
Fig. 1 : Historique de la réduction de la teneur en soufre du fuel maritime
Les différentes options
Conséquence de ce renforcement des contraintes : le secteur maritime dans son ensemble entre dans une phase de transition et doit trouver de nouvelles solutions :
1/ Limiter les émissions grâce à du "fuel IMO 2020 compliant" (voir Fig.2)
2/ Réduire les émissions par une optimisation opérationnelle
3/ Neutraliser les émissions en investissant dans de nouveaux moyens de propulsion
Les capacités de raffinage sont suffisantes au niveau mondial, hors Asie, pour absorber ce basculement de consommation du fuel lourd au fuel à faible teneur en soufre. Mais cet excès de demande aura un impact sur le prix. D’après nos estimations, le coût additionnel moyen pour le trajet d’un porte-conteneur sur une ligne Transpacifique serait de l’ordre de 500K$ et 1500K$ pour un trajet Asie-Europe sur la base d’un surcoût du carburant à faible teneur en soufre de 200 $US/MT.
Le transport maritime consomme en moyenne 4% de la production mondiale de pétrole mais près de la moitié de la production mondiale de fuel lourd. Cette mutation de la consommation aura un impact de +5$/baril entre le fuel lourd et léger pour l’année 2020 selon les estimations de l’EIA. Cette tendance haussière pourrait s’atténuer dans les 2 ans, selon le niveau d’équipement des navires et le niveau des capex des raffineurs. En effet, les raffineurs devront aussi investir pour désulfurer leur production et les communautés portuaires devront adapter leurs infrastructures logistiques à ces évolutions réglementaires. Le secteur maritime et le secteur pétrolier doivent ainsi faire face à un "green effect" qui les poussera aussi à "décarboner leur activité".
La perspective à moyen terme de la mise en application des normes environnementales devrait être un facteur d’accélération du mouvement de concentration du secteur car les compagnies maritimes ou les organisateurs de transport auront des difficultés à reporter intégralement l’augmentation du coût d’un "fuel compliant" sur leurs clients sans renégociations commerciales complexes dans un contexte de concurrence internationale accrue. À l’inverse, les secteurs pétrolier et parapétrolier pourront améliorer leurs marges en se positionnant sur ces évolutions réglementaires. De même, la construction navale pourra tirer son épingle du jeu sur la base d’innovations technologiques limitant des émissions en gaz à effet de serre et tendre vers des "navires green".
Crédit photo : Anne Kerriou