Dans les états-majors des entreprises, l’heure est à la réévaluation des budgets 2023 et à la préparation des budgets 2024. Un exercice bien aléatoire dans le contexte actuel, comme l’illustrent les divergences que l’on constate dans les prévisions économiques établies par les grandes institutions internationales.
Pour la Banque mondiale, la croissance mondiale devrait "marquer le pas en 2023 pour tomber à 2,1%, contre 3,1% en 2022". Certes, cette évaluation est un peu plus optimiste que celle établie en janvier 2023, qui faisait état d’une croissance de 1,7% pour l’année en cours. Il n’en reste pas moins que ce ralentissement a des conséquences lourdes, notamment dans les économies de marché émergentes et en développement. D’autre part, la légère amélioration des prévisions pour 2023 ne marque pas le début d’un véritable rebond puisque les prévisions ont en revanche été revues à la baisse pour 2024. La Banque mondiale estime, dans ses prévisions actualisées du mois de juin 2023, que le PIB réel mondial enregistrera une progression de 2,4% en 2024, au lieu des 2,7% anticipés dans les prévisions de janvier dernier.
*Estimation ; **Prévisions – Source des données : Banque mondiale, juin 2023.
L’estimation de croissance du PIB dans les économies avancées passe de 0,5% à 0,7% pour 2023, mais de 1,6% à 1,2% pour 2024. Les États-Unis bénéficieront d’une croissance supérieure aux prévisions initiales en 2023, avec une progression de 1,1%. En revanche, le taux de croissance du PIB devrait retomber à 0,8% en 2024, au lieu des 1,6% suggérés dans les prévisions de janvier dernier. Pour la zone Euro, la Banque mondiale évoque une croissance de 0,4% en 2023 et 1,3% en 2024. Des prévisions bien plus pessimistes que celles de la Commission européenne, qui avance des chiffres respectifs de +1,1% et + 1,6%.
Pour 2023, les prévisions ont été revues assez nettement à la hausse, à +4% contre +3,4% prévus en janvier dernier. Cela tient notamment à une réévaluation favorable des perspectives pour la Chine (+5,6% au lieu de +4,3%), mais aussi à une récession nettement moindre attendue en Russie (-0,2% au lieu de -3,3%).
Pour 2024, l’estimation du taux de croissance du PIB a été ramenée à 3,9% pour les économies de marché émergentes et en développement, soit 0,2 point de moins que ce qui était annoncé en janvier.
**Prévisions – Source des données : Banque mondiale.
Le Fonds monétaire international et l’OCDE se montrent plus optimistes. L’OCDE, dans ses prévisions actualisées du mois de juin, annonce une croissance mondiale de 2,7% en 2023 et 2,9% en 2024. Quant au FMI, qui a publié sa dernière actualisation en avril dernier, il prévoit que la croissance mondiale touchera son niveau le plus bas à 2,8 % cette année, avant de se redresser légèrement à 3,0 % en 2024. "Le ralentissement se concentre au sein des pays avancés, en particulier la zone euro et le Royaume-Uni, où l’activité économique devrait respectivement se contracter à 0,7 % et -0,4 % au quatrième trimestre de cette année, avant de se redresser à 1,8 % et 2,0 % au quatrième trimestre de 2024", précise le FMI.
Si elles divergent parfois sur les chiffres, les institutions internationales s’accordent sur un point : le contexte extrêmement fragile et incertain. Certes, l’économie mondiale semble se rétablir progressivement, après avoir subi l’impact de la pandémie et de la guerre de la Russie en Ukraine. Le FMI liste plusieurs paramètres positifs, comme la réouverture de l’économie chinoise, la fluidité retrouvée des chaînes d’approvisionnement et l’accalmie sur les marchés de l’énergie et des produits alimentaires. Pourtant, l’institution de Washington y voit une amélioration de surface, tandis que "sous la surface, l’agitation grandit".
Sur le front de l’inflation, on constate une diminution progressive de l’augmentation des prix, aux États-Unis comme en Europe, la Chine n’ayant jamais connu de flambée similaire.
Sources des données : Eurostat, US Labour Department, National Bureau of Statistics of China.
Cependant, l’augmentation des prix se révèle plus tenace que prévu. Selon le FMI, l’inflation mondiale va diminuer, mais plus lentement qu’attendu initialement, passant de 8,7 % en 2022 à 7,0 % cette année puis à 4,9 % en 2024. Surtout, comme le souligne également l’OCDE, la diminution est essentiellement liée au reflux des prix de l’énergie. L’inflation sous-jacente, qui exclut les produits alimentaires et l’énergie, "reste obstinément élevée", note l’OCDE.
Le durcissement des politiques monétaires au cours 12 derniers mois a incontestablement permis d’obtenir des résultats en matière de lutte contre l’inflation. Mais il est aussi porteur de menaces. "L’effet sur la croissance économique pourrait être plus marqué que prévu si le durcissement des conditions financières venait à provoquer des tensions dans le système financier et à mettre en péril la stabilité financière", analyse l’OCDE. "Nous nous engageons donc dans une phase périlleuse où la croissance économique reste faible par rapport à
ses valeurs rétrospectives et où les risques financiers s’accentuent, alors que le problème de l’inflation n’est pas encore derrière nous », résume le FMI.
Autre paramètre à prendre en compte dans les perspectives d’activité : la reprise constatée depuis le début de l’année 2023 semble davantage profiter aux services qu’aux biens. Naturellement, l’amélioration dans les services peut induire un accroissement de certains flux, mais globalement, la croissance des échanges devrait rester faible, avertit l’OCDE.
L’Organisation mondiale du commerce prévoit une croissance de 1,7% du commerce mondial de marchandises en 2023, ce qui représente une décélération assez nette par rapport aux +2,7% enregistrés en 2022. "Le commerce continue d'être un moteur de la résilience de l'économie mondiale, mais il restera soumis à la pression de facteurs externes en 2023. Il est d'autant plus important que les gouvernements évitent une fragmentation des échanges et s'abstiennent de créer des obstacles au commerce", plaide la directrice générale de l'OMC, Ngozi Okonjo-Iweala. Autrement dit, la perspective d’un rebond au second semestre 2023, longtemps mise en avant par les opérateurs de transport internationaux, s’éloigne de plus en plus. Les espoirs se tournent vers 2024. L’OMC prévoit en effet une croissance du commerce de 3,2% l’an prochain, mais assortit son propos de plusieurs réserves. "Cette estimation est teintée d'une incertitude plus forte que d'habitude en raison de l'existence d'importants risques de détérioration, y compris les tensions géopolitiques, les chocs affectant les approvisionnements alimentaires et la possibilité de répercussions imprévues du durcissement de la politique monétaire".
Source : OMC.
La Cnuced se montre aussi assez pessimiste dans la dernière mise à jour de ses prévisions publiée le 21 juin. Au cours des trois premiers mois de 2023, les échanges de biens ont augmenté de 1,9 % par rapport au dernier trimestre de 2022, soit une hausse d'environ 100 milliards de dollars. Cette progression a été alimentée par la reprise de l'activité. économique en Chine, et par une augmentation de la demande en véhicules routiers et en produits pharmaceutiques. Mais les estimations suggèrent un ralentissement de la croissance pour le deuxième trimestre 2023, et "dans l'ensemble, les perspectives du commerce mondial pour le second semestre 2023 sont pessimistes, car les facteurs négatifs dominent les facteurs positifs", indique le rapport de la Cnuced.
Le grippage de l’économie mondiale rejaillit sur les prix du transport international. Les taux de fret maritime ont retrouvé leurs niveaux pré-pandémiques sur quasiment tous les axes. Les taux de fret aérien ont également amorcé maintenant nettement leur descente, au point que l’IATA a revu à la baisse les prévisions de chiffre d’affaires de l’activité cargo en 2023.
Les prix du transport routier de marchandises en Europe ont également grimpé pendant la période de reprise Covid, mais dans les proportions bien moindres comparées au transport maritime ou aérien. Ils ont aussi résisté plus longtemps à la chute, mais sont désormais rattrapés par cette tendance. Les taux spots, par définition plus sensibles aux soubresauts du marché, avaient amorcé leur repli dès le 4è trimestre 2022. Mais au premier trimestre 2023, le repli a également gagné les taux contractuels, tandis que celui des taux spots s’est accentué, indique le dernier rapport Ti/Upply/IRU.
Le mouvement devrait encore s’accentuer. L’économie européenne a connu un début d’année plus favorable que prévu, mais la situation est loin d’être stabilisée. "La persistance de l'inflation sous-jacente pourrait restreindre plus durablement le pouvoir d'achat des ménages et exiger des mesures de politique monétaire plus vigoureuses, avec de larges répercussions macro-financières. De plus, de nouveaux épisodes de tensions financières pourraient entraîner une résurgence de l'aversion pour le risque et, par conséquent, un durcissement plus prononcé des conditions de prêt que ne le supposent les prévisions", souligne la Commission européenne dans ses prévisions économiques du printemps 2023.
À mi-année, il apparaît désormais clairement que le rebond économique, que ce soit à l’échelle européenne ou mondiale, attendra au moins 2024.