"Third party feeders" : c’est par ce vocable que les grandes compagnies maritimes conteneurisées du Top 10 désignent les opérateurs assurant en sous-traitance pour leur compte l’acheminement des marchandises en provenance ou à destination des ports secondaires. Assez peu de chargeurs en sont conscients, mais en dehors des dessertes des grands hubs directs, quasiment toutes les dessertes locales sont en effet confiées à des compagnies tierces, sous la couverture du contrat de transport de la compagnie qui effectue le transport principal.
Exemple : un conteneur FCL/FCL en provenance d’Haiphong vers le Havre peut être couvert par un connaissement unique (Direct BL ou Through BL) pour couvrir la totalité du transport maritime entre ces deux ports. Dans la réalité, le premier leg local (Haiphong-Singapour par exemple) est effectué pour le compte de la compagnie principale par un opérateur local, dont le client de la compagnie "mère" ne connaît ni le nom ni la nature du contrat. La documentation du conteneur pour le client final européen sera bien libellée Haiphong/Le Havre sous les couleurs de l’opérateur qui va effectuer le voyage principal au moyen du navire-mère, à savoir Singapour/le Havre.
Les compagnies maritimes Pacific International Lines (PIL) et Wan Hai, dont les services sont aujourd’hui centrés sur l’intra-Asie et la zone indo-pacifique sur des distances relativement courtes, font partie des opérateurs de feeders historiques sur ces marchés. Elles se détachent néanmoins aujourd’hui du peloton en venant frapper à la porte du Top 10 des opérateurs conteneurisés mondiaux en termes de capacités offertes sur le marché.
Source : Alphaliner (3 février 2025)
Quel est aujourd’hui le positionnement de ces deux compagnies et quelle stratégie déploient-elles à l’heure où les nouvelles alliances maritimes ouvrent la voie à une recomposition du marché ? Nous allons passer en revue les différents paramètres permettant de mieux appréhender les positionnements et les stratégies de ces deux opérateurs.
Fondé en 1967, cette compagnie maritime singapourienne a été confrontée à de graves difficultés financières en 2019, comme nombre de ses homologues. Le fond souverain singapourien Temasek est alors venu prêter financièrement main forte pour réorganiser cette entreprise familiale ancienne, bien installée et jouissant d’une excellente réputation. Opérationnellement, la compagnie a fait appel à une grande figure du secteur, Lars Kastrup, pour redresser la barre. Cet ancien de chez Maersk et CMA CGM a rejoint PIL en juillet 2020 en tant que consultant, avant d’en devenir le co-président/directeur exécutif puis enfin le CEO depuis juillet 2022.
PIL dispose d’un portefeuille client réparti à peu près équitablement entre d’un côté les grandes compagnies maritimes utilisant PIL en sous-traitance sur des flux conteneurisés couverts par leurs propres connaissements, et d’un autre côté une clientèle endogène constituée de commissionnaires et de grands chargeurs directs (BCO). La compagnie est donc présente sur l’ensemble des segments de ce marché régional élargi. Par ailleurs, son périmètre dépasse ce champ régional puisque PIL est aussi présente sur l’Australie et sur l’Afrique, en concurrent direct du Top 5 sur ces lignes.
En lien avec ses nouvelles ambitions, la compagnie est engagée dans une démarche d’intégration de son réseau de commercialisation, souhaitant s’installer en propre partout où cela est pertinent pour elle.
Les points forts
PIL ne représente que 1,2% des capacités mondiales, mais c’est une alternative qui peut être intéressante à envisager pour les chargeurs dans le cadre de certains appels d’offres.
Fondé en 1965 avec des capitaux principalement japonais, cette compagnie maritime conteneurisée est la plus petite des trois Taïwanaises derrière Evergreen et Yang Ming. Forte d’une offre de plus de 60 services sur l’intra-Asie, Wan Hai base son succès sur une offre d’hyper capillarité elle-aussi quasi organique, avec de petits navires entre les pôles côtiers asiatiques. Elle propose également quelques dessertes sur l’Amérique latine sur la longue distance, comme PIL.
Symptôme de son souhait de massification, Wan Hai ne donne pas de nom à ses navires mais des numéros, ce qui n’est pourtant pas dans les usages de la profession même si cela simplifie les saisies dans les documents ! Il est vrai que Wan Hai effectue de nombreux petits voyages à la journée, voire à la demi-journée avec parfois de très petites unités en rotation constante, ce qui justifie le besoin de faire simple et efficace.
Ce qui caractérise Wan Hai actuellement, c’est une forme de compétition taïwano-taïwanaise pour entrer dans le Top 10 des compagnies maritimes conteneurisés et si possible doubler le compatriote Yang Ming dans les classements basés sur la capacité offerte.
Un plan ambitieux d’acquisition de nouveaux navires est en cours de déploiement. En août, Wan Hai a signé avec CSBC Corporation une lettre d'intention portant sur la construction d'une douzaine de navires de 8000 TEU à double carburant au méthanol, assortie d’une option pour quatre navires supplémentaires. Quatre autres navires de 8700 TEU ont fait l'objet d'un accord préliminaire similaire avec le sud-coréen HD Hyundai Samho. Quelques mois plus tard, en octobre, la compagnie a par ailleurs annoncé la commande ferme de 4 navires post panamax de 16000 EVP à double carburant au méthanol. Par rapport à PIL, Wan Hai sauterait donc le pas pour entrer sérieusement dans la famille du deep sea avec des navires de plus de 10000 EVP disponibles à brève échéance.
Cette stratégie ouvre immédiatement la porte à un autre dilemme pour Wan Hai : faut-il se lancer seul ou à plusieurs dans l’aventure Deep Sea ?
La première option paraît contre-intuitive et peu pertinente, surtout si le marché se retourne en 2025. Il n’y aurait vraiment que des coups à prendre. En revanche, l’annonce récente d’un partenariat bilatéral transpacifique spécifique avec ONE, en dehors de Premier alliance, donne à Wan Hai une belle opportunité de "se faire la main" sur la longue distance de forte capacité. Le lancement du service commun est prévu en février 2025. Encore faudra-t-il, cependant, que la FMC, la Commission maritime fédérale américaine valide cette mini-alliance, alors même que Premier Alliance, qui réunit ONE, HMM et Yang Ming attend toujours son feu vert. Autre source d’incertitude : ONE risque de se retrouver malgré lui dans des positions d’arbitrage délicat avec ses deux partenaires taïwanais.
Les points forts
Les faiblesses
Wan Hai est indéniablement mieux placé que PIL pour intégrer le Top 10. Ce projet ambitieux se gagnera à terre, car le développement de la flotte ne constitue pas la partie la plus complexe de la montée en puissance souhaitée.
En 2003 déjà, PIL et Wan Hai envisageaient d’unir leurs forces pour monter un service transocéanique conjoint. Il s’agissait alors de desservir l’Europe. La tentation de boxer dans la cour des grands est donc une envie ancienne. L’intérêt s’est aujourd’hui déporté vers le Transpacifique. Reste maintenant à savoir jusqu’où iront les autorités de la concurrence chinoise et américaine dans leur acceptation des nouveaux services.