Pour nous Européens, la création de comptoirs et concessions de commerce en Chine au 19ème siècle est assimilée aujourd’hui à une simple composante de l’histoire coloniale des pays occidentaux et du Japon. Nous percevons assez mal à quel point cet interventionnisme extérieur a été humiliant et structurant dans l’ADN Chinois post révolutionnaire. Et pourtant, comme le montre l’anniversaire des 70 ans de la Révolution, le "rêve chinois" reprend un élément essentiel du message de Mao en 1949 : redonner à la Chine sa fierté nationale après le "siècle d’humiliations".
Pour asseoir et installer les routes de la Soie, élément essentiel de la reconquête, la Chine a entrepris de tisser en Europe un maillage portuaire indispensable pour porter une vision suprémaciste de l’accès aux marchés. L’objectif final est de faire rentrer des biens de consommation dans les foyers et les locaux commerciaux européens, quelle qu’en soit la manière et presque à n’importe quel coût. Les subventions massives et officielles des routes de la Soie par les autorités chinoises sont là pour en témoigner. Elles peuvent pourtant conduire à des dérives absurdes : comme le relate le Loadstar, certains exportateurs sont allés jusqu’à acheminer des conteneurs vides vers l’Europe pour encaisser des subventions d’État.
Ce maillage portuaire européen, que l’on peut assimiler à l’installation de "comptoirs" chinois en Europe, a démarré il y a plus de 10 ans avec l’opportunité du port du Pirée. Maillon faible à l’époque, ce port est un point d’entrée rêvé dans l’Union européenne au carrefour de la Méditerranée, avec une position de barycentre optimisée pour en faire un hub de transbordement en Méditerranée et Mer Noire.
Source : Upply
En Méditerranée, la signature cette année d’un accord avec Trieste, ainsi que la modernisation et l’adaptation des installations portuaires, viennent compléter une pénétrante Sud avec accès direct à la "Banane Bleue", en s’appuyant idéalement sur la base existante du Pirée.
Un autre projet a émergé pour compléter les bases méditerranéennes : celui du projet de port en eau profonde d’El Hamdania à Cherchell, en Algérie. Ce projet, dont la livraison était initialement prévue en mars 2019, prévoit la construction d’une infrastructure portuaire d’une capacité de 25 millions de tonnes par an, ainsi qu’un accès autoroutier direct trans-Maghreb et une pénétrante sud trans-Saharienne jusqu’à Lagos via le Mali, qui offre une porte ouverte sur l’Afrique Centrale et de l’Ouest.
La situation actuelle en Algérie ne permet pas d’avoir une vision claire de l’état d’avancement de ce projet en particulier, certaines sources évoquant même un transfert vers Annaba. Mais en tout état de cause, la zone est indéniablement une cible stratégique.
Par ailleurs, la construction de la Mosquée monumentale d’Alger par une société chinoise et l’attribution à Huawei de la refonte de toute l’informatique de la Sonatrach, premier acteur économique algérien, constituent deux éléments très représentatifs de la présence chinoise en Algérie. Un mémorandum d’entente a été signé entre les deux pays en juin 2019. Il porte sur la coopération dans le cadre de l’initiative "La ceinture économique de la route de la soie et la route de la soie maritime du XXIe siècle".
Plus au nord, la signature d’un accord-cadre entre les autorités chinoises et le port polonais de Gdynia, le 25 septembre 2019, vient compléter le maillage existant avec le hub ferroviaire de Brest-Litovsk, et un accès aux productions et consommations d’Europe Centrale et de l’Est.
Zeebrugge, enfin, est une proie de choix pour les intérêts chinois. Ce port roulier majeur en Europe dont la partie conteneurs peine à trouver sa pertinence économique face à Anvers et Rotterdam. La Chine commence déjà à avancer ses pions. Quelques mois après la reprise d’APM Terminal Zeebrugge par Cosco Shipping, un autre groupe chinois a annoncé un investissement de 85,3 millions d’euros pour la construction d’un parc logistique à proximité.
Doucement mais sûrement, le maillage portuaire européen sous contrôle d’opérateurs chinois prend incontestablement forme.