Brexit ou pas, l’économie britannique reste solidement ancrée au deuxième rang européen. Avec un produit intérieur brut de 3381 milliards de dollars en 2023, selon les données de la Banque mondiale, le Royaume-Uni est devancé par l’Allemagne et suivi par la France, l’Italie et l’Espagne. À l’échelle mondiale, le pays se situe en 6è position du classement basé sur le PIB, derrière les États-Unis, la Chine, l’Allemagne, le Japon et l’Inde. Il s’agit donc d’un producteur de richesses de premier plan.
La population du Royaume-Uni est estimée à 68,35 millions d’habitants en 2023 (+1% par rapport à 2022). Le pays occupe ainsi également le 2è rang européen, derrière l’Allemagne (83,3 millions) et tout juste devant la France (68,29 millions). C’est donc aussi un marché de consommation important.
Le Royaume-Uni est officiellement sorti de l’Union européenne le 31 janvier 2020, tout en restant dans le marché unique et dans l’union douanière pendant une période de transition de onze mois. Alors que certains observateurs prédisaient une catastrophe économique, il n’en a rien été. Certes, en 2020, le Royaume-Uni a connu une contraction du PIB de 10,4%, plus forte que l’Allemagne ou la France, mais il serait tout à fait abusif de l’imputer aux seuls effets du Brexit. Cette année-là, le facteur d’évolution dominant était incontestablement la pandémie de Covid-19. Le rebond dynamique de 2021 et 2022 en apporte d’ailleurs la démonstration.
Comme la plupart des grandes économies européennes, le Royaume-Uni a ensuite vécu un ralentissement de l’activité en 2023 et même deux trimestres de récession. Mais il serait là encore un peu court d’accuser le Brexit. L’Allemagne aussi a connu une récession en 2023, qui s’est même prolongée en 2024, ce qui n’a pas été le cas au Royaume-Uni, où le PIB a progressé de 1,1% l’an dernier. Un chiffre à la fois supérieur aux prévision (0,9%) et à l’année précédente (+0,4%).
En résumé, durant la période post-Brexit et post-pandémique, le Royaume-Uni, toujours intimement connecté à l’Union européenne, a connu des évolutions assez similaires de son économie. Cependant, le Brexit a pu avoir un effet aggravant sur certains paramètres. C’est le cas par exemple en matière d’inflation. Tous les pays européens ont été frappés de plein fouet, mais au Royaume-Uni, les pénuries de main d’œuvre ont été accentuées par le Brexit, ce qui a "légèrement exacerbé les pressions inflationnistes", estime l’économiste Stephen Hunsaker[1]. Le phénomène a été particulièrement ressenti dans le secteur du transport routier de marchandises. Globalement, le Royaume-Uni connaît une croissance assez faible et souffre d’une faible augmentation de la productivité. Ces difficultés remontent à la crise financière mondiale de 2008. Le Brexit n’a donc pas créé cette situation, mais il n’a pas arrangé les choses.
Le Brexit a en revanche pesé sur l’évolution du commerce extérieur, auquel sera consacré le deuxième article de notre dossier. "Dans l'ensemble, l'ouverture commerciale du Royaume-Uni (c’est-à-dire les volumes commerciaux en proportion du PIB réel) a considérablement diminué, et bien plus que dans d'autres économies avancées", remarque Stephen Hunsaker.
Paradoxalement, depuis le Brexit, la part des échanges commerciaux du Royaume-Uni avec l'UE a augmenté, alors qu’elle avait connu une érosion lente mais régulière pendant les deux décennies qui ont précédé. Cependant, ce rebond n’a guère profité au commerce de biens qui est plutôt en stagnation, alors que les exportations de services, autre tendance majeure de ces 20 dernières années, se développent. La réintroduction de barrières douanières et réglementaires a pesé sur les échanges de biens, notamment pour les petites entreprises, en alourdissant les coûts et en rallongeant les délais d’acheminement.
Le Royaume-Uni misait sur sa liberté retrouvée pour nouer des accords commerciaux hors Union européenne. Mais cette politique baptisée "Global Britain" a échoué. "Le Brexit n'a pas fait de la Grande-Bretagne une superpuissance commerciale mondiale. L'accord tant espéré avec les États-Unis, le deuxième partenaire commercial du Royaume-Uni après l'UE, n'a pas abouti. Les négociations avec l'Inde sont en cours, mais tout accord qui verra le jour aura une portée limitée et n'apportera que des changements mineurs. De nouveaux accords ont été conclus avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, et le Royaume-Uni a rejoint le PTPGP, un accord de libre-échange entre 11 pays de la région du Pacifique. Mais ces économies sont trop petites et trop éloignées pour avoir une grande importance pour le commerce britannique. Même l'analyse du gouvernement lui-même suggère que les avantages économiques de ces accords seront mineurs, chaque accord devant augmenter le PIB britannique de moins d'un dixième de 1%", assène l’analyste Thomas Sampson[2].
Après ces désillusions, et dans un contexte mondial encore plus tendu depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le Royaume-Uni semble en passe de se ranger à une approche plus pragmatique consistant à resserrer ses liens avec ses voisins de l’Union européenne.
Le Brexit n’a donc pas conduit à l’effondrement, mais il a affaibli le commerce extérieur et n’a pas permis de résoudre les problèmes structurels de l’économie britannique. Depuis 2020, l’opinion publique britannique a évolué et les tensions actuelles avec les États-Unis pourraient plaider encore un peu plus en faveur d’un apaisement. Le Premier ministre travailliste Keir Starmer, en poste depuis le mois de juillet 2024, s’est dit favorable à une "réinitialisation" ("reset") des relations avec l’Union européenne. Une initiative bien accueillie par le réseau des Chambres de commerce, qui a publié un manifeste contenant 26 recommandations pour accompagner le mouvement.
L’économie britannique se caractérise traditionnellement par la domination du secteur des services. Selon les données de l'Office nationale britannique de la statistique (Office for National Statistics, ONS), ce secteur, qui englobe le commerce de détail, l'hôtellerie et la finance, ainsi que les services publics comme la santé et l'éducation, représentait 80 % de la valeur ajoutée brute[3] (VAB) totale du Royaume-Uni en 2023, contre 70% en 1990.
Les secteurs autres que les services, notamment l'industrie manufacturière, la construction, l'agriculture et les services publics, représentent environ un cinquième de la production économique totale du Royaume-Uni. Comme dans la plupart des grandes économies occidentales, la part de l’industrie manufacturière, notamment, a fortement diminué, passant de 17% en 1990 à 9% en 2023 selon l’ONS.
La production manufacturière totale du Royaume-Uni a progressé de 3,9% en 2023 pour atteindre 456,1 milliards de livres sterling (environ 540 Md€). La fabrication de produits alimentaires, en croissance de 5,3%, est restée le secteur le plus important et représentait 20,8 % des ventes totales des fabricants de produits manufacturés en 2023. En deuxième position, on retrouve la filière des véhicules automobiles, qui a enregistré un très net rebond de 22% en 2023.
Le Royaume-Uni est en train d'élaborer sa nouvelle stratégie industrielle, dans le cadre d’un plan baptisé "Invest 2035". Présenté en octobre 2024, ce plan propose une feuille de route du Royaume-Uni pour les dix prochaines années, visant à "transformer son paysage industriel, stimuler l'innovation et renforcer sa position économique mondiale, tout en s'engageant vers une économie durable et respectueuse de l'environnement".
Huit secteurs qui ont été identifiés comme moteurs de croissance :
Cinq ans après le Brexit, le Royaume-Uni commence à tirer un premier bilan. La sortie de l’Union européenne n’a pas empêché le pays de conserver son rang parmi les leaders économiques mondiaux. Néanmoins, le commerce extérieur s’est affaibli et la liberté retrouvée n’a pas permis de remédier aux problèmes structurels. Les négociations autour du Brexit ont été extrêmement tendues. Aujourd’hui, les tensions s’apaisent de part et d’autre, et une remise à plat des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne est à l’ordre du jour. Les tensions commerciales et géopolitiques initiées par la nouvelle administration Trump pourraient apporter un nouveau coup de pouce à ce mouvement de rapprochement. "Un retour au marché unique, à l'union douanière ou à la liberté de circulation est clairement exclu", mais "dans les limites de ces lignes rouges, le Parti travailliste souhaite supprimer les barrières commerciales inutiles", explique l’analyste Jannike Wachowiak[4]. Les opérateurs de transport et les logisticiens ne pourront que se réjouir si les deux parties parviennent à s’entendre sur le développement des échanges et sur une plus grande fluidité, tant les économies sont profondément imbriquées. Mais la route est encore longue car la rupture a laissé des cicatrices.
[1] Stephen Hunsaker, “The UK economy since the global financial crisis’’, dans The state of the UK economy 2024, UK in a Changing Europe, 31 January 2024.
[2] Thomas Sampson, “The UK economy since the global financial crisis’’, dans The state of the UK economy 2024, UK in a Changing Europe, 31 January 2024.
[3] La valeur ajoutée brute (VAB) est une mesure de la production économique qui s'apparente au produit intérieur brut (PIB). La VAB mesure la valeur des produits et services produits moins les coûts de production, à l'exclusion des coûts de main-d'œuvre.
[4] The Brexit Files: from referendum to reset