L'Afrique de l'Ouest a été perçue par les opérateurs de manutention de conteneurs comme un eldorado, dans les années 90 et au début des années 2000. Auparavant chasse gardée du groupe français Bolloré, l'ouest africain s'est transformé en terrain de jeu pour ces opérateurs. DP World a posé son premier jalon à Dakar et China Merchants dans le port de la capitale nigériane, Lagos.
Parallèlement, les compagnies maritimes ont emboîté le pas et sont venus troubler le jeu des manutentionnaires. Le groupe CMA CGM a signé un accord en 2018 avec le Nigéria pour devenir l'opérateur du futur port de Lekki. APM Terminals, filiale du groupe Mærsk, s'est associé pour sa part dans plusieurs ports avec le groupe Bolloré. Ensemble, ils sont présents dans des grands terminaux comme Abidjan, Téma et Kribi. MSC n'est pas en reste. La stratégie de l'armement italo-suisse, développée dans les années 90, s’est concrétisée par l’obtention de la gestion du terminal de Lomé.
Une stratégie payante
Dans ce contexte de ports gérés par des groupes importants de la conteneurisation, Tanger Med a cherché sa place. La stratégie de TMSA (Agence Spéciale de Tanger Med) a été de concéder les terminaux à des opérateurs qui pourraient apporter un trafic conséquent à ces terminaux, mais aussi permettre au port de devenir un hub vers l'Afrique. Une stratégie payante puisque l’arrivée de Maersk, de CMA CGM et par voie d'alliance de Hapag-Lloyd et de son partenaire en Afrique, le groupe turc Arkas, a dopé les trafics de Tanger Med. Aujourd'hui, le port du détroit de Gibraltar se place en première position des ports conteneurisés africains. Situé à la croisée des routes nord-sud et est-ouest, Tanger Med est bien placé pour jouer un rôle dans le transbordement.
Certes, expédier un conteneur depuis l'Asie ou l'Amérique vers l'Afrique de l'ouest en passant par Tanger Med n'est pas devenu la norme. Des compagnies comme MSC ont fait le choix de miser sur les lignes régulières directes depuis l'Asie et l'Europe vers l'Afrique de l'ouest et notamment le port de Lomé, qui joue le rôle de point de transbordement dans la région. Quant aux liaisons avec l'Amérique, elles utilisent les hubs de l'armement proches de l'Afrique comme Valence ou Las Palmas. Une stratégie qui lui permet de ne pas être dépendant d'un transbordement à Tanger.
Une nette longueur d’avance
Mais Tanger Med a quand même une nette longueur d’avance par rapport à ses concurrents de la façade occidentale d’Afrique sur cette activité de transbordement. Selon une étude publiée par Jeune Afrique en juillet 2019, ce type de trafic a atteint 1,4Mt (soit environ 140 000 EVP) en 2018 dans le port de Lomé. Au Congo, à Pointe-Noire, second port en trafic de transbordement, la fonction de hub conteneurisé a généré 7,7Mt, soit quelque 770 000 EVP. Des chiffres extrêmement faibles comparés au trafic de transbordement de Tanger Med qui représente, bon an mal an, près de 90% du total (3,47 MEVP en 2018).
Si les volumes de transbordement ne sont pas uniquement destinés à l'Afrique de l'ouest, une partie partant vers l'Europe et la Méditerranée, le chiffre démontre de la capacité de Tanger Med à s'imposer en Afrique.
Installés en proximité des villes, les ports d’Afrique de l’Ouest disposent de peu d'espaces pour apporter autre chose qu'une simple manutention. À cela s’ajoutent des problèmes de congestion importants pour évacuer les conteneurs. Autant de handicaps que le port de Tanger Med a su gommer en installant ses terminaux dans des zones disposant d’espace pour adjoindre des zones logistiques.
Un autre rôle pour les ports d’Afrique de l’Ouest
Les ports d’Afrique de l’Ouest ont aujourd’hui avant tout une vocation de porte d'entrée et de sortie des trafics locaux. Ils sont aussi le liant maritime pour les pays enclavés de la région. Le Burkina Faso, le Mali, le Tchad, le Niger et la République de Centrafrique ne peuvent s'ouvrir au monde sans ces liens maritimes et terrestres que sont les ports.
Cette situation va évoluer, avec l'entrée en service de futurs terminaux, comme Lekki au Nigéria, le second terminal à conteneurs d'Abidjan, le port du Futur de Dakar ou encore avec la construction prévue d’un nouveau terminal en Angola. Les nouveaux terminaux devraient se construire plus loin des cités pour offrir une plus grande disponibilité en matière d'espace de stockage et ne pas être contraints par l'urbanisation.
On peut donc être raisonnablement optimiste pour les principaux ports de la façade ouest-africaine, qui joueront un rôle de hub mais à un niveau plus régional, à l'exception de ceux "choisis" par les armements comme Lomé pour MSC ou Pointe Noire et Kribi pour CMA CGM. Les autres deviendront des plates-formes d'éclatement régionales tant pour les pays sans littoral que pour les autres ports avec un trafic moindre. Ainsi, par exemple, Dakar peut jouer un rôle pour des pays comme la Gambie, la Guinée Bissau, les régions sud du pays comme la Casamance, le Libéria ou le Sierra Leone et garder ses relations avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Abidjan, Téma et Lagos seront des portes vers les pays du nord comme le Burkina Faso, le Niger voire le Tchad tout en occupant une place dans la distribution de boîtes avec des pays limitrophes.
Dans ce contexte, si Tanger Med n'a pas gagné la guerre des hubs en Afrique de l'ouest, on peut considérer qu’il a remporté plusieurs batailles. En disposant des principaux armements comme opérateurs de ces terminaux (Maersk, CMA CGM et MSC, même si ce dernier ne l'utilise pas), en ouvrant des zones logistiques derrière les terminaux, et fort de sa situation géographique à la croisée des routes maritimes, il dispose d’une solide assise dans la guerre qui se profile. La multiplication des projets laisse en effet planer une menace non négligeable de surcapacité de terminaux à conteneurs dans la région.