L’efficacité du transport maritime de ligne conteneurisé repose sur la régularité et la fluidité des services. Or un grain de sable peut vite gripper la machine avec de lourdes conséquences, comme on l’a vu par exemple lors de l’échouement de l’Ever Given, qui a paralysé la navigation dans le Canal de Suez pendant plusieurs jours. Cet incident l’a montré : certaines zones sont particulièrement stratégiques, mais aussi vulnérables, que ce soit pour des raisons topographiques, politiques, climatiques ou bien encore à cause de la criminalité qui y sévit. Des paramètres importants à prendre en compte dans une analyse de risque de la supply chain.
Nous avons donc souhaité proposer à nos lecteurs une liste des principaux points chauds de la planète que nous identifions, en nous limitant volontairement à 10. Nous avons par ailleurs attribué à chaque zone un indice de risque global. Attention, cet indice n’est pas le fruit d’une compilation scientifique de données, mais bien une estimation de l’auteur basée sur ses connaissances du marché.
@Upply.
Passage obligé pour connecter l’Orient et l’Occident via Singapour, le détroit de Malacca concentre à peu près 35% du trafic maritime mondial conteneurisé. Le premier danger de cette zone provient de son très fort niveau de fréquentation dans un espace réduit, qui crée une sorte d’embouteillage permanent. La cohabitation de tous types de navires de toutes nationalités, auxquels s’ajoutent des navires de pêche côtière, exige une vigilance de tous les instants et des vitesses assez lentes.
Cette navigation à vitesse réduite favorise la piraterie et de vols à main armée. En 2022, le nombre d’actes a globalement diminué dans le monde, passant de 172 à 131, selon le rapport annuel 2022 de l’Organisation maritime internationale. Mais les détroits de Malacca et Singapour concentrent plus de la moitié de ces incidents, et ont enregistré une hausse en 2022 (72 incidents contre 70 en 2021). Les attaques se produisent particulièrement dans les zones se situant aux deux extrémités du détroit.
Porte d’entrée ou de sortie du transit pour le canal de Suez via la Mer Rouge, ce point de passage est géographiquement une véritable nasse, coincé entre le Yémen sur sa rive Nord, pays assez instable politiquement, et la Somalie au sud, théâtre de nombreux conflits armés entre clans. Le Golfe d’Aden a toujours été historiquement un haut lieu de la piraterie. Les prédateurs peuvent en effet cibler leurs proies dans un espace restreint. Pour lutter contre ce phénomène, l’Union européenne a mis en place la mission Atalante, qui a été prolongée l’an dernier jusqu’au 31 décembre 2024.
On note par ailleurs une emprise grandissante de la Chine sur cette zone, qui intègre ce maillon géographique comme un point d’entrée stratégique en Afrique pour ses Routes de la Soie Sud.
Dans un souci de simplification volontaire, nous intégrons les mers de Chine Orientale et Septentrionale pour embrasser la vision chinoise dite de la "langue de bœuf".
Source : Chine : la mer, la puissance et le (non) droit - Le Dessous des cartes, ARTE.
Sur un plan politique, la Chine ne reconnaît pas les zones économiques exclusives (ZEE) fixées par la convention de Montego Bay, ce qui crée de fait un risque permanent de conflit maritime avec les pays voisins. L’épicentre de la crispation se ressent entre la Chine continentale et Taïwan, où interviennent des incidents de plus en plus rapprochés et de plus en plus sérieux. La crainte du dérapage ou de la fausse manœuvre des uns ou des autre est bien présente. Par ailleurs, la Mer de Chine n’est pas épargnée par la piraterie.
Enfin, cette zone est également frappée par de violents typhons côtiers, dont l’intensité tend à augmenter en raison du réchauffement climatique.
Bordée par huit pays africains aux économies disparates, cette zone souffre de la piraterie de façon endémique. Aux attaques côtières des navires marchands s’ajoute le risque d’attaques en haute mer par des réseaux particulièrement organisés. 71 % des incidents dans cette région se produisent désormais dans les eaux internationales, selon le rapport annuel 2022 de l’Organisation maritime internationale. Prise d’otage des navires et équipages, rackets en tout genre en font une zone surtaxée par les assureurs maritimes, maintenant de façon structurelle.
Le risque associé à la navigation dans ces zones est principalement un risque climatique ancien et connu : en hiver, les navires sont confrontés à de grosses dépressions et à une mer dangereuse, très creusée et croisée. Les navires les plus petits, fréquents sur le Transatlantique, subissent des gîtes très fortes, et les défauts d’arrimage à l’intérieur des conteneurs ont souvent des conséquences fatales.
Depuis le début des années 2000, on constatait une tendance à l’augmentation des pertes de conteneurs en mer. Point positif, le perfectionnement des systèmes de navigation et de prévisions météorologiques a permis d’atténuer les risques. Par ailleurs, les compagnies maritimes. ont mis en place des mesures qui semblent fonctionner puisque l’on constate un léger mieux dans les statistiques. Toutefois, le risque demeure significatif, surtout dans le cadre du renforcement des épisodes climatiques extrêmes liés au réchauffement accéléré des températures océaniques.
Malgré les apports de la technologie, cette route d’accès au port de Southampton reste une zone de navigation complexe pour les navires géants. En cas de mauvaises conditions météorologiques, les vents et les courants violents dégradent la manœuvrabilité, déjà limitée par la géographie des lieux. Le trafic maritime intense et les nombreux éperons rocheux représentent un risque important surtout en cas de perte partielle ou totale de propulsion. L’île de Wight est un "bouchon"naturel pour l’accès au port de Southampton ("Soton" dans le jargon). Cette configuration était un rempart naturel géographique militaire idéal pour la flotte anglaise du temps de sa domination des océans. Mais aujourd’hui, c’est plutôt un frein au développement des terminaux à conteneurs. En comparaison, le grand voisin havrais bénéficie d’un accès absolument idéal aux terminaux de Port 2000.
Vieille zone de piraterie côtière "artisanale", le Nord Brésil présente aujourd’hui un risque plus limité pour les porte-conteneurs. La piraterie a tendance à s’étendre de façon plus active aux côtes colombiennes et à la région Caraïbes. Les côtes étant relativement peu surveillées et fréquentées, il convient de rester vigilant, même si la tendance est à la décrue.
Malgré une sécurité maximale assurée par les autorités compétentes du Canal, leurs pilotes et leur service de remorquage, les aléas ne manquent pas. Les avaries graves sont rares mais les petits incidents fréquents, surtout avec les plus gros navires construits au gabarit maximum du canal. Depuis 2016, suite à des travaux d’élargissement, les navires de 14 000 EVP peuvent théoriquement emprunter le Canal de Panama. Mais face à la sécheresse sévère qui a touché la région cette été, les autorités ont imposé une limite de tirant d’eau et restreint le nombre de navires autorisés par jour. Des mesures prévues pour un an, sauf apport hydrique d’ampleur d’ici là. La surenchère en matière de taille des navires entre la Chine et la Côte Est des États-Unis n’est donc plus à l’ordre du jour. Le recours à des navires plus petits, aux tirants d’eau plus modestes, devrait limiter les risques tant que la situation du manque d’eau perdure.
Comme souvent avec les comportements humains, il faut une grosse catastrophe pour que les choses changent. L’avertissement à grands frais lancé par la mésaventure de l’Ever Given (et la situation aurait pu être bien plus catastrophique s’il avait fallu décharger tout ou partie du navire sur site…) semble avoir été entendu. La meilleure formation des jeunes pilotes, ainsi que le recours plus systématique et contraint à l’assistance de remorqueurs, devraient grandement améliorer les choses pour mener à bien cette navigation de haute précision. La traversée du canal revient à faire rentrer le fil dans le chas d’une aiguille (un navire de 24000 EVP fait 400 mètres de long et 60 mètres de large). Les collisions restent néanmoins trop fréquentes dans la zone et les incidents rapportés depuis l’affaire Ever Given démontrent que le risque reste présent.
Cette zone fréquentée cumule actuellement beaucoup de risques. Au risque géographique intangible lié à l’étroitesse du goulet du Bosphore s’ajoutent désormais les risques d’incidents militaires avec la flotte russe très présente, les mines flottantes dérivantes et la sur-militarisation de la zone autour des corridors de sortie du blé.
Par ailleurs, en août dernier, de violents incendies en Turquie, favorisés par la sécheresse, ont bloqué la navigation dans le détroit des Dardanelles, démontrant que le risque climatique existe aussi dans cette région.
Enfin, en Mer noire, le risque d’un incident militaire qui dégénèrerait représente probablement la plus lourde menace.