Le quotidien du transport maritime de matières dangereuses est régi par le code IMDG (International Maritime Dangerous Goods) de l’OMI, complété par la convention MARPOL. Ce code est mis à jour annuellement et les praticiens du commerce international traitant ces typologies de marchandises ont une obligation de formation et de mise à niveau périodique.
Notre propos aujourd’hui n’est pas de rentrer dans le détail de la réglementation mais plutôt de donner quelques "ficelles" du métier pour mieux appréhender le transport de matières dangereuses, car les incidents impliquant ce type de marchandises peuvent avoir conséquences tragiques, comme l’a tristement rappelé l’incendie intervenu à bord du Maersk Honam en 2018.
La réglementation ADR, qui régit le transport routier de matières dangereuses, prévoit une notion de quantités limitées, ce qui n’est pas le cas de l’IMDG. Un conteneur FCL/FCL contenant 1 kg de matières dangereuses est considéré comme dangereux pour la totalité du conteneur. Un même conteneur plein peut donc être classifié non dangereux pour un pré acheminement routier et dangereux pour son voyage maritime. Ce n’est pas d’une grande logique, mais c’est comme ça !
Tant que l’attestation de matières dangereuses n’est pas validée par la compagnie maritime, la réservation n’est pas établie.
La déclaration de la marchandise ne doit pas utiliser la dénomination commerciale du produit mais le numéro ONU de la marchandise reprise dans le code IMDG, sous peine de se voir refuser la demande de réservation. D’autre part, le "point d’éclair", c’est-à-dire la température critique de modification du produit, doit être très précis et doit toujours figurer sur le document.
Le cas le plus courant est celui de la classe 3, qui concerne les liquides inflammables dont le point éclair (flash point) est inférieur à 60°C. Cette classe correspond à environ 70% des matières dangereuses transportées en conteneur. Son acceptation est a priori la moins problématique de toutes les familles des matières dangereuses (voir le récapitulatif des classes ci-dessous) et se fait en principe de façon quasi automatique.
Mais attention ! Ce n’est pas parce que les marchandises de classe 3 sont généralement acceptées relativement facilement qu’elles ne sont pas soumises à des contraintes de routing particulier, qui dans certains cas peuvent fortement compliquer voire rendre pratiquement impossible certaines opérations d’exportation. C’est le cas des marchandises devant transborder à Singapour qui sont soumises à des réglementations spécifiques (PSA 1/2/3). Certains ports chinois, dans la foulée de l’explosion tragique de Tianjin en 2015, ont également fortement durci voire interdit le passage portuaire de l’ensemble des matières dangereuses. Il convient donc de bien se renseigner avant de lancer l’opération.
Il ne faut jamais réserver à la dernière minute pour acheminer des matières dangereuses, et c’est encore plus vrai en ce moment ! Le circuit d’acceptation ou de refus par la compagnie maritime peut prendre plusieurs semaines, car les compagnies chargeant sur un même navire doivent se concerter en temps réel sur l’acceptation de matières dangereuses. En effet, si les quotas par navire pour certaines classes de marchandises dangereuses sont atteints, les nouveaux bookings au titre de ce navire seront déclinés.
Par ailleurs, les suppressions d’escale et les changements de desserte de ports en dernière minute, si fréquents aujourd’hui, peuvent avoir pour effet d’annuler l’acceptation initiale. Contrainte supplémentaire : si le conteneur est déjà à quai, l’expéditeur doit faire retirer la marchandise du quai à ses frais. Ce cas de figure a malheureusement tendance à augmenter dans la période actuelle de dé-métronomisation généralisée des services maritimes.
Il faut organiser l’expédition des marchandises de telle sorte qu’il n’y ait pas plus de 24h à 48h de passage à quai avant l’embarquement. Ce sont en effet les normes en vigueur sur les principaux terminaux de la planète pour des raisons de sécurité et de limitation des risques sur les zones dédiées dans les terminaux. La contrepartie de cette exigence est que la marchandise dangereuse est en revanche toujours prioritaire à l’embarquement (comme les reefers). Le risque de restant à quai (roll over) est donc très faible sur les matières dangereuses.
NB : La compagnie que j’utilise me demande de signer une "jettison letter". De quoi s’agit-il ?
C’est un blanc-seing que le chargeur donne à la compagnie pour se débarrasser de la marchandise en cas de mise en péril du navire. C’est pour cette raison que les conteneurs les plus dangereux sont en principe chargés en pontée, sur les dernières hauteurs en latéral. Cette mesure, qui avait du sens avec des navires gréés, en a moins aujourd’hui sur des porte- conteneurs géants qui n’ont que des moyens très limités pour passer par-dessus bord en mer un conteneur devenu une menace.
Ils sont refusés systématiquement, avec quelques exceptions réclamant des procédures et des habilitations particulières (feux d’artifice, cartouches de chasse en classe 1.4S, détonateurs d’airbags, certains explosifs de chantier…). Tout le matériel explosif dit sensible à caractère militaire sort du champ de l’exploitation commerciale faisant l’objet de cet article, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas à bord des navires de commerce de ligne régulière.
Ils sont acceptés au cas par cas, mais pas par toutes les compagnies et pas sur toutes les lignes. Citons à titre d’exemple dans cette catégorie de marchandises les briquets jetables ou les aérosols.
C’est le cas le plus courant et a priori le moins problématique. En principe, l’ensemble des compagnies acceptent cette classe, mais les routings deviennent de plus en plus complexes entre l’Europe et l’Asie, allant jusqu’à compromettre certains flux exports pratiqués dans le passé car les opérations sont aujourd’hui plus complexes et plus coûteuses à organiser. On peut citer à titre d’exemple dans cette catégorie les dérivés pétroliers, les lubrifiants, les additifs.
Ils sont en général acceptés, mais avec des restrictions bien supérieures aux marchandises de classe 3. Certains produits de classe 4 sont particulièrement instables, comme la nitrocellulose qui a besoin d’un niveau d’hygrométrie élevé pour rester stable. Ma mémoire professionnelle reste marquée par l’histoire d’un conteneur resté à quai à Dubaï pendant 6 mois, suite à une carence de réceptionnaire : personne ne voulait s’en approcher, et l’évacuation du terminal a été épique...
Ces produits sont très rarement acceptés, ou bien en respectant des procédures très particulières et en quantités limitées. On retrouve dans cette famille les ammonitrates (fertilisants, engrais) et les peroxydes organiques, qui sont particulièrement instables et potentiellement très dangereux. C’est ce type de produit qui est impliqué dans l’explosion qui a ravagé le port de Beyrouth en août 2020.
Ces marchandises voyagent relativement facilement. Elles sont en principe acceptées par une grande majorité des compagnies maritimes, même si les conditions sont un peu plus strictes que pour les produits de la classe 3.
Elles ne rentrent pas dans le champ de l’exploitation commerciale classique. Elles empruntent des circuits d’acceptation particuliers, doivent respecter des protocoles précis et sont soumises à des contrôles tout à fait spécifiques sous l’autorité des services des États concernés.
Ils voyagent en règle générale assez facilement, comme ceux de la classe 6.
Ces marchandises sont acceptées en principe assez facilement, dans le même esprit que la classe 3. On constate cependant de nouvelles expositions à des risques majeurs, en particulier avec les batteries au lithium dont le transport "explose", sans mauvais jeu de mot, pour accompagner la croissance de la mobilité "verte". Une vidéo virale montrant le déchargement à la hâte d’un conteneur de batteries au lithium en proie aux flammes début 2020 questionne sur le côté "faiblement dangereux" de ces marchandises, pour lesquelles la législation est évolutive.
En guise de conclusion rapide, j’insisterais sur deux règles d’or :
Le jeu n’en vaudra jamais la chandelle, car votre police d’assurance ne vous couvrira pas pour mettre en jeu un navire, sa marchandise, son équipage, sans parler des dégâts environnementaux potentiellement catastrophiques qu’un défaut de déclaration peut engendrer.
À titre personnel, je pense que la hausse de la sinistralité récente, couplée au rapport de force actuellement favorable aux compagnies, est en train de durcir de façon globale l’acceptation des matières dangereuses. Pour certains chargeurs, cela peut aller jusqu’à les contraindre à repenser leurs schémas logistiques planétaires de production et de distribution. On ne déménage pas une usine d’un claquement de doigts, surtout lorsqu’il s’agit de matières dangereuses. Cette évolution des conditions de transport est donc à intégrer aux réflexions stratégiques pour les prochaines années.