Transition énergétique, révolution numérique, santé économique : au regard des défis auxquels il fait face, quel peut être l’avenir du transport routier de marchandises en France ? Le 20 novembre dernier, le salon Solutrans a convié les quatre auteurs et le préfacier du livre "L’avenir du transport routier de marchandises" (1) à exposer leurs vues.
Premier constat : la conjoncture actuelle est fragile. "La croissance mondiale, à 3% cette année, présente le pire résultat depuis 2008. Et nous devrions fléchir à 2,8% l’an prochain, compte-tenu des restrictions américaines sur le commerce mondial. Dans la zone Euro, la croissance ne devrait pas dépasser +1,2% en 2019, +1%, en 2020”. Et si la France devrait se maintenir + 1,3% l’an prochain, le dynamisme n’est pas d’actualité", souligne Alexis Giret, directeur du Comité national routier CNR.
Ces tendances à court terme s’inscrivent dans un contexte de baisse structurelle de la consommation et, donc, des flux. On parle désormais de "déconsommation", renchérit Yves Crozet, chercheur au laboratoire aménagement économie des transports (Laet) et à l'institut d’études politiques (IEP) de Lyon : "Depuis la crise de 2008, le produit intérieur brut par habitant, donc, la richesse, a augmenté de 10%... Les transports routiers, malgré une reprise sensible en 2018, enregistrent 7% d’activité en moins qu’en 2008. La baisse est de 25 % pour le fret ferroviaire, de -11% pour le fluvial. Il ne faut pas se préparer pour une forte hausse des trafics d’ici à 2050, mais plutôt s’inscrire dans une course à la qualité".
Ces aléas n’entament en rien la large domination de la route. "Malgré des perturbations depuis 2009, sa part n’a cessé d’augmenter en France depuis 1984, confirme Maurice Bernadet, professeur honoraire de l’université Lyon 2. Depuis 1984, la part du fer est passée de 30% à 9%, la voie d’eau a chuté de 4% à 2%, tandis que le transport routier, lui, grimpait de 66 % à 89%."
"Les camions sont sur les routes pour longtemps, indispensables. Mais ils vont devoir être plus propres, alors que le prix baril, à 60€, n’incite pas à quitter le diesel", avertit toutefois Yves Crozet. La question se pose de manière plus prégnante "dans un monde qui change, de plus en plus urbain", assure Philippe Brossette, président de la fondation Berliet. "Les Euro 6 ont réduit les émissions de particules et d’oxydes d’azote de 90% au cours des quinze dernières années. Maintenant pour limiter les émissions de CO2, comme le demande l’UE, il faut diminuer la consommation de gazole... L’électrique (thème central du salon Solutrans, ndlr) est une solution parmi d’autres... Mais laquelle dominera dans 20 ans ?", s’interroge Philippe Brossette.
Pour Bernard Favre, ancien directeur de la recherche chez Volvo-R aujourd’hui chez Sintras Consulting, le diesel ne semble pas prêt d’être abandonné. "Les technologies modernes placent le gazole en position saine en termes d’efficacité énergétique et de qualité environnementale, mis à part sur la question des gaz à effet de serre. Mais comment vont se répartir les choix entre des véhicules aux solutions de diesel évoluées et d’autres solutions alternatives ? J’escompte que l’on mesure chaque fois toujours les avantages et les inconvénients de chaque choix de couple énergie/métier", souligne l’expert.
Par ailleurs, le chercheur préfère ne pas se focaliser sur les seuls véhicules, mais s’intéresser aux filières et nouvelles solutions de transport. "Pour mettre des véhicules électriques sur la route, relève-t-il, il faut aussi produire, stocker et distribuer l’énergie, de manière propre et durable, avec un interfaçage efficace entre le véhicule et l’infrastructure."
Autre impératif, selon lui : prendre en compte l’intelligence des véhicules connectés, "coopératifs, coopérants entre eux, comme avec des bases logistiques et infrastructures. Il faut récupérer et packager des données -véhicule, logistique, infrastructures- afin de construire des aides à la décision et à l’action destinées aux exploitants des véhicules, aux gestionnaires d’infrastructures, aux fournisseurs et jusqu’au client final…"
On peut obtenir des solutions plus pertinentes et durables, selon le chercheur, "par exemple en collectant et partageant des données sur le chargement ou la destination d’un camion"…
Bernard Favre met en avant une économie plus circulaire, qui prenne en compte, au-delà des énergies, le cycle de vie des matériaux et des véhicules : "Nous devons nous organiser pour récupérer le lithium présent dans les batteries des véhicules électriques, par exemple… Et, au cours de la durée de vie du véhicule, savoir maintenir et reconditionner tous les organes... Or, certains -tels les membranes de pile à combustible- s’appuient sur des technologies qui évoluent très vite et sur lesquelles nous avons peu de retours d’expérience… Nous manquons encore de recul."
Face à ce qu’il nomme "l’explosion des types de carburants", Patrice Paletto, président de Incitis et ancien directeur du Produit de Renault Trucks, propose aussi de “se recentrer sur deux questions :
Dans l’industrie automobile, par exemple, les lignes d’assemblage diminuent, et on demande aux fournisseurs de se rapprocher… Voire on les réintègre, comme Tesla qui vient de réintégrer la fabrication des sièges… Des décisions qui ont bien sûr un impact sur la nature du transport. Pour le consultant, cela pourrait conduire à réduire les lots et les distances, et à renforcer la précision des livraisons… "Mais, conclut-il, j’invite tous les professionnels à s’interroger, pour tous les secteurs : que transportera-t-on demain ? Sur quelles distances et avec quelle précision ? Quelle sécurité ?"
Afin de répondre aux défis du transports, "il faut revenir à ses fondamentaux et à des questions de métier", conclut Philippe Brossette.
(1) L'avenir du transport routier de marchandises, par Maurice Bernadet, Philippe Brossette, Bernard Favre, Patrice Paletto. Préface de Yves Crozet. Paru en avril 2018, aux éditions Economica.