Réserver la place de son conteneur à bord d’un navire comme on choisit son siège à bord d’un avion. L’affaire paraît facile. Un commercial novice, dans une compagnie maritime, aura même peut-être la faiblesse de laisser croire à son cher client qu’il détient ce pouvoir. Mais le service "Opérations Navires", département qui coordonne les escales avec les manutentionnaires et les préparateurs de plans de chargement (Shipplanners), lui rappellera vite que l’appréciation du positionnement à bord d’un conteneur pour une traversée est bien plus complexe qu’il n’y paraît.
En vertu des "liberty clauses" (1), la compagnie, peut, de plein droit, décider de la place à bord des conteneurs selon des critères principalement sécuritaires, qui lui sont propres ou dictés par la réglementation (l’IMDG par exemple, pour les matières dangereuses).
L’espace de chargement n’est pas cloisonné à bord d’un porte-conteneur moderne entre cale et pontée, comme c’était le cas sur les navires conventionnels, le conteneur offrant par lui-même une protection théorique suffisante des marchandises. En revanche, un navire porte-conteneurs est "saucissonné" en une série d’espaces de chargement distincts appelés "bays" ou cales. Le Shipplaner doit résoudre au mieux l’équation suivante : optimiser la stabilité du navire tout en facilitant les opérations de déchargement et de chargements dans les prochaines escales, en limitant au minimum les mouvements. En effet, devoir mettre temporairement à quai des conteneurs pour accéder à d’autres, puis recharger les premiers, ne génère que perte de temps et d’argent pour la compagnie maritime.
La règle d’or consiste à charger les conteneurs les plus lourds en fond de cale et les conteneurs légers dans les hauts, afin de contribuer naturellement à la stabilité du navire.
Toutefois, cette équation n’est pas systématiquement atteignable, en raison de la physionomie des échanges conteneurisés. L’ajustement se fait alors par l’utilisation des ballasts, remplis d’eau de mer dans les parties les plus basses du navire : en les vidant ou en les remplissant, on peut atteindre la stabilité recherchée.
Là encore, les choses ne sont cependant pas si simples. "Ballaster" massivement, en plus du poids de la cargaison, impacte le tirant d’eau, et donc les capacités d’accueil des navires à certains quais. Par ailleurs, l’augmentation de la surface "immergée" de la coque induit une sur-consommation de carburant et donc un impact négatif sur l’environnement.
Il arrive également, pour les navires qui passent par le canal de Suez, qu’une compagnie ait la tentation de charger davantage "dans les hauts", en raison d’une taxation moindre pratiquée par les autorités du canal sur les conteneurs en pontée par rapport aux conteneurs situés en cale. Cette situation peut engendrer une utilisation des ballasts plus forte que théoriquement nécessaire…
Les conteneurs de 20’ lourds non dangereux ont de fortes chances de se retrouver en cale, suivis des 40’ lourds non dangereux. En pontée, on retrouve les conteneurs les plus légers et ceux qui renferment des matières dangereuses, sujets à la "jettison clause" (2), ainsi que les conteneurs vides. Ces derniers représentent une proportion non négligeable : 20 à 30% des conteneurs chargés sur le transatlantique côte Est vers l’Europe et de l’Europe vers l’Asie sont vides.
Les Reefers branchés sont un cas à part, car ils dépendent des blocs d’alimentation à bord des navires, qui sont par nature concentrés dans une même zone et non disséminés sur la totalité du navire. Habituellement, les reefers sont chargés devant le château en cale ou en pontée avec des possibilités d’accès physique du personnel de bord en cas d’intervention. Le monitoring des températures, rôle dévolu au Second Capitaine, se fait maintenant périodiquement à distance.
Les marchandises en dépassement ("Out of Gauge ou OOG") sont elles aussi prioritairement chargées en pontée, pour des questions d’accès au chargement et déchargement et d’optimisation du chargement du navire.
C’est devenu assez rare, mais le crédit documentaire peut parfois exiger "un chargement en cale impératif". Une clause imposée par les banques, héritée du transport maritime conventionnel. Dans ce cas, et dans ce cas précis uniquement il faut :
Si ces 3 critères sont respectés, le chargeur pourra effectivement se prévaloir d’un chargement en cale, sans surcoûts, sauf s’il occasionne de nombreux mouvements additionnels ("extra move"). Dans ce cas, ces manutentions supplémentaires non prévues dans le plan de chargement initial seront facturées dans les coûts de transport.
Le chargeur doit donc vérifier systématiquement que la compagnie lui met à disposition un conteneur propre, sec et sans odeurs, et surtout sans perforations résultants de chocs passés et/ou de la corrosion. La corrosion de surface n’est pas un motif de refus valable par le chargeur. La mise à disposition d’un conteneur percé est en revanche un motif légitime de retour du conteneur vide au dépôt pour substitution avec un conteneur conforme, aux frais de la compagnie. L’enfermement (bref !) d’un membre du personnel dans le conteneur en plein jour, pour procéder au contrôle, reste le moyen le plus efficace pour éviter ce genre de déconvenues !
Le calage et l’arrimage de la marchandise à l’intérieur du conteneur relèvent intégralement de la responsabilité du chargeur et sont à sa charge, dans le cas du transport FCL/FCL. Cette exigence est devenue plus grande aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a une vingtaine d’année pour les raisons suivantes :
(1) Liberty Clauses : ces clauses permettent aux compagnies maritimes, dans certaines circonstances, de pouvoir s’affranchir d’un certain nombre d’obligations ou de bénéficier de droits dont elles ne pourraient se prévaloir dans des conditions classiques.
(2) Jettison Clause : en cas de danger extrême, cette clause permet de larguer un conteneur.
Photo : Anne Kerriou