Market Insights

Une rentrée morose pour les compagnies maritimes

Rédigé par Jérôme de Ricqlès | 26 août 2025

L’essoufflement structurel de la croissance des grands volumes Est-Ouest, conjugué aux nouveaux droits de douane américains, n’est pas de bon augure pour les résultats des compagnies maritimes au deuxième semestre.

L’heure n’est pas au repos pour les services commerciaux des compagnies maritimes. La "chasse au fret" bat son plein, alors que l’édition 2025 de la traditionnelle haute saison estivale déçoit en volumes, autant sur l’axe Asie-Europe que sur le Transpacifique.

Des augmentations de tarifs qui ne passent pas

Les augmentations générales des taux de fret (GRI, general rate increase) annoncées par les compagnies depuis le mois de juin ne passent pas, car même avec le maintien du passage par la route du cap de Bonne-Espérance et le recours aux blank sailings, l’offre globale surpasse la demande. Les compagnies maritimes limitent la commercialisation à environ 70% des capacités des navires, mais le fret manque quand même.

Des plans d’économies sont à prévoir pour la rentrée au sein des compagnies maritimes, avec des marchés de taux de fret qui retrouvent les niveaux bas de l’automne 2023, avant que la désorganisation engendrée par les attaques des Houthis en mer Rouge ne fasse remonter les prix.

Source : Upply Freight Index

Le marché transpacifique s’est enrhumé le premier, mais le virus commence à gagner les routes Asie-Europe. Les taux de fret sont passés sous la barre des 3000 USD le 40’ sur les relations directes Chine-Europe.

Source : Upply

Sur le transatlantique Westbound, nous estimons que les nouveaux droits de douane appliqués par les États-Unis pourraient engendrer une contraction de l’ordre de 5 à 10% au 3è trimestre pour le marché français, par rapport aux volumes habituels constatés à cette période. Les allègements accordés pour certains produits chimiques et dans le secteur aéronautique, dans le cadre de l’accord commercial conclu en juillet entre l’Union européenne et les États-Unis, devraient limiter la casse en volume. En revanche, sur le segment du luxe et des vins et spiritueux, les opérateurs vont devoir collectivement rogner sur leurs marges pour maintenir des prix d’achat de détail acceptables. Il est souvent dit que le luxe, jouant sur sa désirabilité auprès d’une clientèle haut de gamme, est moins sensible aux variations tarifaires que des produits de base, mais ce n’est que partiellement vrai. Le secteur est d’ailleurs à la peine en 2025, selon une étude du cabinet Bain & Company.

Des stratégies différenciées

Face à cette morosité globale, Maersk et Hapag-Lloyd, au sein de l’alliance Gemini, tablent sur une différenciation basée sur la qualité de service pour justifier la mise en place d’augmentations tarifaires. La démarche rencontre un certain succès auprès de grands chargeurs réceptifs au discours qualitatif, mais ceux-ci restent rares.

Pendant ce temps, sur l’essentiel des volumes, MSC, qui représente à lui tout seul 20,8% des capacités mondiales conteneurisées selon le Top 100 d’Alphaliner, joue son rôle "d’aspirateur de fret" avec le concours des grands commissionnaires de transport et de certains gros chargeurs fidèles. Les membres d’Ocean Alliance et Premier Alliance suivent le mouvement, avec un léger décalage dans le temps, ce qui va proportionnellement impacter davantage leurs résultats à court terme.

Le prix du carburant, paramètre clé de la rentabilité au S2

Après un premier trimestre nettement meilleur que ne le prévoyaient les budgets initiaux, les compagnies maritimes mondiales ont constaté un ralentissement au 2è trimestre, comme l’illustre l’évolution des trois principales compagnies maritimes européennes (hors MSC qui ne publie pas ses résultats financiers).

Dans un contexte de demande molle, les importateurs ayant anticipé les commandes pour tenter d’éviter l’alourdissement des droits de douane, le pire scénario pour les compagnies serait que les prix des carburants à la tonne remontent rapidement. Ce poste représente toujours entre 20% et 25% des coûts opérationnels. Une hausse importante pèserait donc lourdement sur des résultats opérationnels déjà sous pression.

Il est aujourd’hui très difficile de prévoir la trajectoire des prix du pétrole. Les nouvelles sanctions adoptées en juillet par l’Union européenne et le Royaume-Uni contre la Russie, ciblant notamment la flotte fantôme de pétroliers, peuvent exercer une pression à la hausse. Le marché a toutefois peu réagi à ces annonces. À l’inverse, l’augmentation de l’offre par les pays de l’Opep+ exerce une pression baissière. Ce mouvement pourrait être renforcé par des avancées diplomatiques concernant la guerre entre la Russie et l’Ukraine et le conflit au Moyen-Orient. Cependant, la situation reste très incertaine, et il faut donc s’attendre à une certaine volatilité au deuxième semestre.

Un gâteau intra-asiatique convoité

Les grandes compagnies pourraient être tentées d’améliorer la rentabilité en se positionnant sur des rotations plus courtes, avec des petits navires bien remplis et des services fréquents. Mais elles trouveront sur leur chemin des opérateurs locaux bien installés, qui sont d’ailleurs bien souvent des sous-traitants historiques de grandes compagnies maritimes pour leurs approches et réexpéditions via les grands hubs d’Asie. C’est le cas, notamment, de PIL et Wan Hai.     

L’Inde est également un marché attractif, bien que le pays soit actuellement malmené par l’administration Trump dans le cadre de la négociation sur les droits de douane. La position actuelle américaine n’est pas en phase avec le bouillonnement économique et démographique de ce pays continent, mais elle pourrait bouger rapidement.

C’est bien d’ailleurs toute la difficulté du jeu des prévisions, que ce soit pour l’atterrissage budgétaire de 2025 ou l’élaboration du budget de 2026. Les échanges commerciaux avec la première économie mondiale reposent désormais sur des sables mouvants.