Analyse Transport & Logistique

Bilan 2024 du transport routier européen

13 décembre 2024

La demande de transport routier reste faible, dans un contexte morose pour l’économie européenne. Cette situation tire les prix vers le bas et pénalise les marges des transporteurs, dont les coûts augmentent toujours. Cette équation fatale complique les efforts de décarbonation.

1. Une économie européenne éprouvée

L’activité économique européenne est restée médiocre en 2024, avec une prévision de croissance du produit intérieur brut limitée à 0,9% dans l’Union européenne (UE) et à 0,8% dans la zone Euro, selon les dernières estimations de la Commission européenne. C’est un peu mieux que les 0,4% de croissance enregistrés en 2023 dans l’UE comme dans la zone euro. Mais la situation est très contrastée : d’un côté, il y a des pays moteurs tels que l’Espagne et la Pologne, avec des croissances annoncées à plus de 3%, et de l’autre des pays en repli comme l’Allemagne (-0,1%) ou l’Autriche (-0,6%).

  • Le déclin de l’Allemagne est particulièrement préoccupant, compte du poids de ce pays dans l’économie européenne. Alors qu’une légère croissance de +0,1% était encore espérée lors des prévisions du printemps 2024, le pays s’apprête à connaître sa deuxième année consécutive de récession. L’Allemagne subit notamment le contrecoup de la guerre en Ukraine qui a fait monter les prix du gaz, et de la contraction de la demande chinoise qui affecte ses exportations. Plus de 60 000 suppressions d'emplois ont été annoncées par l'industrie allemande depuis douze mois.

  • En France, la situation est plus favorable avec une perspective de croissance légèrement supérieure à la moyenne européenne. Il s’agit cependant d’un résultat à nuancer. La croissance a surtout bénéficié d’un effet "Jeux Olympiques" qui a permis d’atteindre +0,4% au 3è trimestre, contre + 0,2% au premier et au deuxième trimestres. Mais le dernier trimestre devrait se solder par une croissance nulle. De plus, ces chiffres positifs ne seraient portés que par la consommation des ménages. Après avoir déjà reculé de 1,8% au cours des trois trimestres précédents, l’investissement des entreprises a enregistré son quatrième trimestre consécutif de baisse, chutant de 1,4% sur le seul troisième trimestre 2024. Les menaces sur l’emploi industriel sont dès lors très fortes. "Le chômage a légèrement augmenté à 7,4% au troisième trimestre 2024 et les annonces de plans sociaux se multiplient", note l’institut Rexecode.

2. Une instabilité politique cruciale en France et en Allemagne

L’année 2024 a été également marquée par une instabilité politique accrue dans les deux principales économies européennes. En France, à l’issue de la défaite du camp présidentiel lors des élections européennes du mois de juin, Emmanuel Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale. Les élections législatives qui ont suivi n’ont donné la majorité absolue à aucune formation politique, ce qui a ouvert la voie à une période de grande instabilité. La France a dû attendre 51 jours pour la nomination d’un nouveau Premier ministre, Michel Barnier. La mission prioritaire du nouveau gouvernement était de faire voter un budget 2025 au goût amer, marqué par des réductions de dépenses et des hausses d’impôts. Un scénario fatal au nouveau gouvernement, qui a été censuré le 4 décembre. La France se retrouve donc à nouveau en pleine incertitude politique, et dans un contexte budgétaire très défavorable puisque les prévisions de déficit public ont été revues à la hausse, à plus de 6% du PIB. Tout cela est peu rassurant pour les milieux économiques.

L’Allemagne aussi connaît une profonde crise politique. Début novembre, le limogeage par le chancelier Olaf Scholz de son ministre des Finances FDP Christian Lindner a conduit à un éclatement de la coalition tricolore FPD-SPD-Verts qui était au pouvoir depuis septembre 2021. Comme en France, c’est le vote du budget 2025 qui a été fatal à cette coalition. Des élections anticipées devraient se tenir en mars 2025.

3. Un processus de désinflation solide

Le processus de désinflation amorcé fin 2022 s’est globalement poursuivi. Certes, un rebond à +2% a été constaté en octobre, après +1,7% en septembre, sous l'effet d'une hausse des prix du pétrole et d’effets de base relatifs aux prix de l’énergie. Cependant, la trajectoire globale est favorable puisque le taux d’inflation pour l’ensemble de l’année 2024 devrait descendre à 2,4%, contre 5,4% en 2023, selon les dernières prévisions de la Commission européenne. L’inflation globale devrait toujours revenir à l’objectif de 2 % au quatrième trimestre 2025, conformément aux projections de juin 2024, estime la Banque centrale européenne.

La baisse du taux d’inflation doit beaucoup à la diminution des prix de l’énergie. L'inflation des produits alimentaires et des biens industriels non énergétiques s’est stabilisée autour des moyennes historiques, tandis que les pressions inflationnistes sont restées fortes dans les services.

En octobre, la Banque centrale européenne a abaissé son taux directeur pour la troisième fois depuis le début de son cycle d'assouplissement en mai. Les taux à long terme dans la zone euro ont diminué et devraient désormais rester légèrement supérieurs à 2%. L'ajustement à la baisse depuis le printemps reflète en grande partie les anticipations d'une inflation plus faible.

Pourtant, ce facteur favorable n’a pas permis de doper la croissance à la hauteur des espérances. Malgré la désinflation, les ménages et les entreprises se montrent prudents dans leurs dépenses et investissements, en raison d’un contexte économique et politique incertain.

4. Le secteur du transport routier en grande difficulté

Cette situation pèse lourdement sur l’activité des transporteurs routiers. Les transporteurs des pays de l’Est ont été durement affecté par le marasme de l’économie allemande, qui a affaibli la demande. Ils se tournent donc vers d’autres marchés, suscitant une concurrence féroce qui rejaillit sur les prix de transport.

  • Des prix en baisse

L’indice Upply des taux de fret routier en Europe, qui s’établit à 122,4 points au troisième trimestre 2024 sur le marché spot, a chuté de 4,4 points par rapport au trimestre précédent et de 6,1 points en glissement annuel. Parallèlement, l’indice des taux de fret routier sur le marché contractuel est resté stable en glissement trimestriel à 127,2, mais il s’est replié de 2,2 points en glissement annuel.

taux_fret_routier_europe_t3_2024

Source : Upply Freight Index

  • Des coûts en hausse

Un seul facteur a été favorable aux entreprises de transport en 2024 : la baisse des prix du carburant, liée à la diminution des prix du pétrole. "Malgré les réductions substantielles de production mises en œuvre par l’OPEP+ et les tensions géopolitiques persistantes tout au long de l’année, le prix du Brent est actuellement en baisse de 5% par rapport au début de l’année", soulignait l’IFPEN dans un tableau de bord publié fin novembre. Cette trajectoire s’explique par une faible demande mondiale de pétrole, en particulier en Chine. D’autre part, les États-Unis disposent désormais de capacités de production suffisantes pour calmer de trop fortes tensions inflationnistes. "Le Brent tend progressivement à se stabiliser autour de 75 $/baril, ce qui semble être son nouveau point d’équilibre", estime l’IFPEN.

En revanche, sur les autres postes de coûts, les transporteurs ont subi de fortes hausses. Les coûts de personnels, qui représentent le poste de coût le plus important avec le carburant, ont considérablement augmenté depuis deux ans. La forte inflation de 2022 et 2023 a pesé sur les revendications salariales, alors même que le secteur peine à attirer du personnel, en particulier sur les postes de conducteurs. En Allemagne, dans le secteur du transport routier, le salaire minimum pour les conducteurs de poids lourds a augmenté de 3,42% au 1er janvier 2024, pour atteindre 12,41 € de l’heure. Une nouvelle hausse de 3,3% est prévue au 1er janvier 2025, portant ce montant à 12,82 €/h. Ces augmentations ne concernent que le salaire minimum mais cela va bien évidemment influencer les salaires négociés dans les branches professionnelles et les entreprises. En Pologne, selon une enquête de l’Institut polonais du transport routier, le salaire de base moyen des chauffeurs routiers professionnels en Pologne en 2023 était d’environ 1189 euros (environ deux fois le salaire minimum en Pologne), soit une augmentation de près de 17% par rapport à 2022. En France, selon le dernier bilan 2024 du CNR des coûts du TRM, les coûts du personnel de conduite affichent une croissance de 7,5%.

Les autres postes de coûts sont également en augmentation. Selon le CNR, l’évolution des coûts du transport routier de marchandises hors carburant s’élève en moyenne annuelle à +5,5% en France. Outre les coûts de personnel de conduite, les hausses concernent les coûts de structure (+5%), les coûts de détention de matériel (+3,5%) ou bien encore le relèvement des tarifs de péages (+3%).

Cette situation n’a pas été bien sûr l’apanage des transporteurs français. Elle s’est reflétée dans tous les pays de l’UE et au-delà. Partout, la concurrence féroce a empêché la répercussion des augmentations de coûts sur les prix du transport. La pression engendrée par la baisse des revenus et la hausse des coûts a mis sous pression le fonds de roulement des entreprises de transport, avec des conséquences souvent dramatiques.

5. Un marasme qui gagne l’Europe de l’Est

En France, selon les données d’Altarès, on comptabilisait 1339 défaillances d’entreprises de transport de marchandises en France, soit une hausse de 37,8% en glissement annuel. Sur ce total, 939 se sont soldées par une liquidation judiciaire. Les petites structures de moins de 10 salariés sont particulièrement touchées.

défaillances_transport_routier_neuf_mois_2024

Source des données : Altarès

Même constat dans d’autres pays d’Europe de l’Ouest. Selon les chiffres de Statbel, cités par Allianz Trade, le nombre de faillites dans le secteur du transport en Belgique a augmenté de plus de 50% depuis le début de cette année. Et en Allemagne, le taux de défaillance des entreprises de transport et d’entreposage est environ deux fois supérieur à la moyenne globale des entreprises. Au Royaume-Uni aussi la fédération des transporteurs routiers a attiré l’attention sur la fragilité du secteur. Près de 500 transporteurs ont dû fermer leurs portes en 2023 et la tendance 2024 laissait entrevoir une augmentation de 10% des faillites. La Road Haulage Association (RHA) a lancé un appel urgent au gouvernement.

Mais l’un des événements marquants de 2024 est de constater que les difficultés concernent aussi désormais les pavillons d’Europe de l’Est et notamment celui qui est devenu n°1 en Europe, le pavillon polonais.

Les entreprises de transport routier polonaises jouent un rôle clé dans l'économie du pays, car elles représentent 7% du PIB et 6,5% de l'emploi. Or la situation économique en Europe, et plus particulièrement en Allemagne, a engendré une baisse de la production et par ricochet de la demande de transport. Confrontées, comme partout ailleurs en Europe, à l'augmentation simultanée des coûts, les entreprises de transport polonaises doivent faire face à un resserrement de l’étau de la dette.

Comme dans toute crise, les éléments s’enchaînent. Les retards de paiement explosent, les péages routiers ont encore augmenté le 1er novembre 2024 et les coûts du personnel roulant ont été revalorisés par deux fois en 2023. Le manque de personnel fait rage : il manquerait encore 30 000 chauffeurs selon les organisations patronales. Elles indiquent d’ailleurs que 60% des transports réalisés à l’étranger sont effectués avec du personnel extra-communautaire, notamment des Ukrainiens, des Biélorusses, des Géorgiens et même des Indiens et des Philippins. La guerre en Ukraine a en partie asséché la filière de recrutement des chauffeurs. Mais elle a un autre effet : elle apporte une concurrence low-cost nouvelle, celle des transporteurs ukrainiens qui bénéficient depuis 2022 d’un accord facilitant l’exercice de leur activité dans l’UE. L’accord a été prorogé pour 2025, avec quelques aménagements pour répondre à la grogne des transporteurs polonais. Une surveillance et un contrôle plus efficaces des transporteurs étrangers a été mise en place depuis le 1er novembre 2024, avec le système de surveillance SENT. Cela concernera principalement les transporteurs ukrainiens, qui peuvent actuellement transporter des marchandises vers et depuis l'Ukraine sans permis. Il s'agit d'éviter les abus, par exemple le cabotage non autorisé par ces transporteurs en Pologne et le transport sans autorisation entre la Pologne et d'autres pays de l'UE.

"Tous les indicateurs concernant notre secteur sont en baisse, de plus en plus d’entreprises ferment. Si notre pays n'agit pas, il se peut que nous ne puissions pas recréer les conditions grâce auxquelles nous avons conquis les marchés européens", a déclaré le président de l'Association des Transporteurs Routiers Internationaux, Jan Buczek.

6. Une consolidation qui se joue surtout entre grands groupes

Bien que les petites entreprises souffrent davantage et qu’une course à la taille critique puisse être une solution pour résister à la pression à la baisse exercée par les grands chargeurs sur les prix, la sérieuse crise que traverse le transport routier européen ne semble pas activer pour l’instant une vague massive de consolidation, même si quelques grosses entreprises de transport routier ont procédé à des acquisitions ciblées. Le match se joue plutôt au niveau des grands groupes de transport et de logistique multi-activités.

Les mouvements observés en 2024 suivent la tendance de 2023. En premier lieu, les grands transporteurs maritimes ont continué leurs achats dans le transport terrestre. En janvier, Hapag Lloyd a racheté ATL, une société de transport britannique de 120 camions. Par ailleurs, CMA CGM a finalisé en février le rachat de Bolloré Logistics. Même si la principale activité de Bolloré Logistics est la commission de transport maritime et aérien, la transaction apporte également des activités d’entreposage et représente une belle porte d’entrée sur le transport terrestre européen.

Dans un autre registre, Sennder a signé un accord d’une valeur de 1 milliard d’euros pour acquérir l'activité de transport terrestre européen (EST) de C.H. Robinson, ce qui devrait faire de Sennder l'un des cinq principaux acteurs du transport de lots complets en Europe.

Enfin, l’opération majeure de l’année en Europe reste le rachat de DB Schenker par DSV pour 14,3 milliards d'euros, transaction qui devrait être finalisée en 2025. Le chiffre d’affaires cumulé des branches transport routier de DB Schenker et DSV s’élève à 13,8 milliards d’euros.

7. Le défi de la décarbonation du transport routier

Début 2024, l’Union européenne s’est fixé de nouveaux objectifs en matière de décarbonation : la réduction des émissions des poids lourds neufs de 45% à partir de 2030 par rapport à 2019, et de 90% en 2040. Un calendrier serré qui stimule les avancées technologiques. Les constructeurs ont choisi de développer notamment le camion électrique à batterie pour réduire rapidement l’impact écologique du transport routier. Les premiers camions électriques adaptés au transport de longue distance sont déjà sur le marché. Selon un bilan dressé par l'Association des constructeurs européens d'automobiles (ACEA), au moins 45 modèles de camions électriques à batterie sont disponibles aujourd'hui dans différentes configurations. Les camions fonctionnant à l'hydrogène (pile à combustible électrique et moteur à combustion à hydrogène) constituent la deuxième grande technologie zéro émission mais le marché est moins développé, même si les premiers camions sont en service.

Mais l’adoption de ces véhicules zéro émission par le marché est considérablement freinée par le différentiel de coût entre un véhicule diesel et un véhicule électrique, et l’érosion des marges en 2024 complique encore un peu plus l’équation.

Le marché global est en déclin : les immatriculations de camions en Europe ont chuté de 7,5% au cours des trois premiers trimestres de 2024, totalisant 249 708 unités. Le diesel reste largement prédominant avec 95,3% des immatriculations, soit 237 937 véhicules (-7,3%). Dans le même temps, le nombre d’immatriculations de camions électriques à batterie a atteint 5510 unités, en baisse de 6,6%. Mais l’on constate de fortes disparités. L’Allemagne arrive en tête avec 2377 camions électriques immatriculés au cours des 9 premiers mois de l’année 2024, soit une croissance de 56,8% par rapport à la même période de 2023. La France arrive en 2è position avec 857 immatriculations, mais cela représente un déclin de 58,4% en glissement annuel.

Des programmes d’aide à l’acquisition de camions zéro émission ont été mis en place. En France, l’ADEME a lancé le programme d’économie d’énergie E-TRANS, qui vise à accompagner financièrement les professionnels du transport routier et les collectivités territoriales pour électrifier leurs flottes de véhicules lourds, à travers une aide à l'achat, à la location longue durée ou au rétrofit de poids lourds. Autre exemple en Pologne : la Commission et la BEI Banque européenne d'investissement ont approuvé un programme polonais de soutien à l’achat ou à la location de véhicules zéro émission, doté d'un montant total de 2 milliards de zlotys (environ 470 millions d’euros).

Pourtant, selon l’ACEA, cela reste insuffisant. "Pour permettre une adoption rapide de ces véhicules par le marché, il est urgent de mettre en place des conditions favorables, notamment un réseau dense d'infrastructures de recharge adaptées aux véhicules lourds, une tarification efficace du carbone et des mesures supplémentaires qui soutiennent le renouvellement des flottes et les investissements des opérateurs de transport", estime l’association européenne des constructeurs.

La réglementation est là, les exigences des chargeurs aussi, mais l’évolution des prix du transport routier montre que la rémunération actuelle des services de transport routier ne permet par la réalisation d’investissements à la hauteur des ambitions affichées.

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Avec plus de 20 ans d'expérience internationale dans la Supply Chain, William est expert du transport routier pour Upply. Innovant et entrepreneur dans l’âme, il a successivement travaillé dans la gestion opérationnelle de divers secteurs - chimie, automobile, matériaux de construction, aussi bien en tant qu’expéditeur que prestataire de services.
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