Les échanges commerciaux de la Chine avec le Sud global sont en nette croissance, tirés d’un côté par la stratégie Chine plus un et de l’autre par le développement de nouveaux marchés. Mais les défis restent nombreux.
Face au triple défi auquel est confrontée la Chine, à savoir un marché intérieur faible, des réglementations occidentales plus restrictives en termes d’échanges commerciaux et une surcapacité dans certains secteurs, l'expansion de la présence économique de la Chine vers le Sud global n'a jamais été aussi nécessaire. Nous allons examiner dans quelle mesure cet engagement accru s'est manifesté dans les échanges commerciaux. En raison de l'absence d'une définition unifiée du Sud global, nous avons choisi de nous concentrer sur les exportations chinoises vers les BRICS Plus et l'ANASE, principales économies émergentes de chaque région.
Le développement sur le marché du Sud global
Au cours des cinq dernières années, la Chine a considérablement augmenté ses exportations vers les BRICS Plus et l'ANASE. En 2023, les exportations chinoises vers ces pays (valeur/USD) ont presque égalé ses exportations vers l'UE et les États-Unis combinés (graphique 1), avec une croissance de 56% par rapport à 2019.
Graphique 1 - Source des données : Douanes chinoises
Pour éclairer cette évolution, nous avons classé ces pays en deux catégories en fonction de l'objectif principal des exportations chinoises.
- Un groupe de pays au service de la tendance actuelle "Chine plus un", tels que le Vietnam, la Thaïlande, la Malaisie et l'Inde.
Ils représentent 43% des exportations chinoises vers les 20 pays étudiés et ont contribué à 42% de la croissance des exportations entre 2019 et 2023. Leurs importations en provenance de Chine se concentrent sur les biens intermédiaires destinés à être assemblés pour être exportés vers les marchés occidentaux[1]. Par exemple, des recherches récentes ont mis en évidence un synchronisme entre la croissance des exportations vietnamiennes vers les États-Unis et l'augmentation des exportations chinoises vers le Vietnam.
Graphique 2 - Source des données : UN Comtrade
- Un autre groupe moins directement impliqué dans la diversification de la chaîne d'approvisionnement, les exportations chinoises servant principalement les marchés locaux ou régionaux.
La Russie, le Brésil, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite en sont des exemples typiques, et la Chine a fait des progrès notables dans son développement vers ces marchés (graphique 2). Il est évident que le commerce Chine-Russie a été stimulé par une cause géopolitique spécifique, à savoir le conflit russo-ukrainien. En dehors de la Russie, les trois autres pays illustrent l’émergence de nouveaux marchés pour les produits finis chinois. La croissance positive s'est maintenue, même lorsque les exportations chinoises de marchandises ont globalement diminué en 2023. En outre, les importations de produits finis chinois de ces pays sont passées de produits de consommation conventionnels, tels que l'habillement et la décoration d'intérieur, à des produits à plus forte valeur ajoutée tels que les voitures et/ou les biens d'équipement, renforçant l'attractivité de ces pays en tant que débouchés pour les exportations chinoises.
Si l'on compare les échanges commerciaux de la Chine avec ces deux catégories de pays, on constate que les demandes qui stimulent les exportations de la Chine vers le Sud global continuent de provenir en grande partie du marché occidental. L'expansion rapide des exportations chinoises vers l'ANASE et les BRICS Plus ne réduit pas nécessairement la dépendance de la Chine à l'égard de l'Occident, mais se manifeste simplement sous une forme différente. Mais d'un autre côté, la Chine a également progressé dans l’extension vers de nouveaux marchés. La part importante des biens intermédiaires chinois dans les importations brésiliennes, émiraties et saoudiennes peut également révéler l'évolution du rôle de la Chine, qui passe d'un fournisseur de produits à un fournisseur de transition industrielle et technologique.
Perspectives
Les États-Unis et l'Union européenne vont introduire de nouvelles réglementations douanières sur les produits chinois en 2024, ce qui pourrait affecter l'évolution de la dynamique politique et économique du commerce de la Chine avec ces marchés émergents. Nous examinons ici les exportations chinoises vers les deux catégories de pays que nous avons identifiées, en nous appuyant sur les exemples du Vietnam, de l'Inde, du Brésil et des Émirats arabes unis.
- Vietnam et Inde
Le Vietnam et l'Inde sont des pays caractéristiques de la stratégie "Chine plus un", dont environ 70 % des importations en provenance de Chine sont des biens intermédiaires. Au cours du premier semestre 2024, la reprise de la demande en Europe et aux États-Unis, conjuguée aux perturbations en mer Rouge, a contribué à un rebond des exportations chinoises vers le Vietnam et l'Inde. Par exemple, les importations indiennes et vietnamiennes de semi-conducteurs chinois - des biens intermédiaires essentiels pour l'électronique grand public - ont augmenté de 21% et de 55%[2], dépassant la croissance globale de leurs importations en provenance de Chine. Toutefois, comme l'ont souligné de nombreux analystes, la hausse actuelle du fret maritime est davantage le résultat d'une anomalie logistique que d'une demande solide du marché final, ce qui induit une saison haute plus précoce. En l'absence d'une demande solide et constante sur le marché final, la ruée actuelle sur les principales routes commerciales pourrait ne pas durer, ce qui entraverait les flux d’exportation chinois vers le Vietnam et l'Inde.
Au-delà du climat mondial mouvementé en matière d’échanges commerciaux, les exportations chinoises vers les deux pays ne sont pas à l'abri de diverses mesures de restriction.
Le contrôle croissant des États-Unis sur la production chinoise investie dans l'ANASE affecte la fourniture de biens intermédiaires au Vietnam et à d'autres pays d'Asie du Sud-Est. Les chaînes d'approvisionnement liées aux panneaux solaires en sont un exemple typique. Les exportations chinoises de panneaux solaires (valeur/USD) vers le Vietnam ont chuté modérément, d'environ 2%, au cours des cinq premiers mois de 2024. Mais globalement, une baisse de 24% dans cette catégorie a été enregistrée dans les importations de l'ANASE en provenance de Chine[3]. Par ailleurs, compte tenu du consensus bipartisan américain sur la Chine, un accroissement des réglementations sur les produits d'origine chinoise semble probable, quel que soit le prochain président des États-Unis.
En ce qui concerne l'Inde, ce sont davantage les mesures de restriction commerciale qu'elle impose elle-même que les réglementations de l'UE et des États-Unis qui entravent les exportations chinoises (graphiques 3 et 4). Motivée par des préoccupations géopolitiques, en particulier le conflit frontalier non résolu avec la Chine, l'Inde cherche fortement à réduire sa dépendance à l'égard de l'approvisionnement chinois. D'un côté, la part de la Chine dans les biens intermédiaires indiens a bondi à 26% en 2023, contre 19% avant la pandémie (2019)[4]. Mais d’un autre côté, les perspectives à long terme sont entravées non seulement par les mesures de restriction des échanges, mais aussi par la protection du marché indien, qui n'aide pas à stimuler les investissements directs étrangers en Inde – un paramètre pourtant essentiel pour le secteur manufacturier indien.
Graphique 3 - Source des données : Global Trade Alert.
À long terme, les perspectives économiques dynamiques de ces pays émergents peuvent nourrir un potentiel de marché pour les produits finis. L'Asie du Sud-Est constitue sans aucun doute un marché essentiel pour les produits chinois, en particulier les véhicules électriques et le commerce électronique, mais ce marché est plus concentré sur la Thaïlande, la Malaisie et Singapour que sur le Vietnam. Au premier semestre 2024, le Vietnam était à l'avant-dernière place pour les exportations chinoises de véhicules électriques.
Les entreprises chinoises sont par ailleurs très intéressées par le marché indien, mais elles sont confrontées à d'importantes barrières réglementaires. Outre les droits de douane accrus sur les produits chinois, l'Inde a également introduit des réglementations concernant les investissements provenant de pays partageant des frontières terrestres à la suite de l'affrontement frontalier entre la Chine et l'Inde en 2020. En conséquence, la Chine n'a réalisé aucun investissement nouveau d'une valeur supérieure à 100 millions USD en Inde entre 2020 et 2023[5]. De même, bien que les entreprises qui investissent dans le secteur automobile indien puissent obtenir un quota d'importation pour les VE avec des droits de douane moins élevés, les VE chinois ne peuvent guère bénéficier de cette facilitation en raison des restrictions à l'investissement et continuent d'être soumis à des droits de douane plus élevés. Dans d'autres cas, certaines entreprises, telles que SHEIN, utilisent les co-entreprises comme moyen de (re)pénétrer le marché indien.
- Brésil et EAU
Les produits chinois gagnent du terrain au Brésil et aux Émirats arabes unis. Nous examinerons ici le cas des véhicules électriques chinois.
Contrairement aux VE chinois dans l'UE, qui sont encore en attente de la reconnaissance du marché, les VE chinois sont déjà bien perçus dans les marchés émergents. Certains modèles chinois sont des best-sellers au Brésil, aux Émirats arabes unis et en Thaïlande, ce qui ouvre la voie à une nouvelle expansion. Au cours du premier semestre 2024, les exportations chinoises de VE en nombre d'unités vers le Brésil ont été multipliées par 22, faisant de ce pays le troisième marché d'exportation de VE chinois, juste derrière la Belgique et le Royaume-Uni (graphique 4). De même, les importations de VE chinois des Émirats arabes unis ont augmenté de 160 %, ce qui en fait la plus grande destination du Moyen-Orient pour les VE chinois. Ce succès est d'autant plus important que le développement des VE chinois sur les principaux marchés étrangers - l'UE et l'ANASE (en particulier la Thaïlande) - s'est ralenti.
Graphique 4 - Source des données : Douanes chinoises[6]
Toutefois, la concurrence féroce entre les VE chinois sur les marchés étrangers constitue un risque qui pourrait finalement freiner la demande des consommateurs. Par exemple, la fluctuation des prix des VE en Thaïlande en raison d'une guerre des prix a été contre-productive. L'incertitude quant à l'évolution des prix a incité les consommateurs à adopter une position attentiste. Bien que la Thaïlande soit le marché chinois des VE le plus important en Asie du Sud-Est, ce pays est l'un des trois seuls États membres de l'ANASE dont les importations de VE en provenance de Chine en nombre d'unités auront diminué en 2024. Les deux autres, le Vietnam et Brunei, sont les deux pays de l’ANASE qui ont importé le moins de VE chinois au cours de la même période.
Bien qu'ils soient moins impliqués dans la stratégie actuelle "Chine plus un", les échanges du Brésil et des Émirats arabes unis avec la Chine sont toujours affectés par l'évolution des réglementations occidentales sur la Chine, et ce de différentes manières.
Pour le Brésil, la récente enquête antidumping chinoise sur la viande de porc et les sous-produits de l'UE pourrait créer une demande chinoise supplémentaire en provenance du Brésil, alors que ce pays est déjà le plus grand fournisseur de viande de porc de la Chine[7]. Quant aux Émirats arabes unis, leurs relations économiques étroites avec la Chine les auraient empêchés d'accéder aux puces électroniques plus perfectionnées des entreprises américaines. Jusqu'à présent, l'impact direct sur les importations des Émirats arabes unis en provenance de Chine a été marginal, mais la pression exercée par les États-Unis pourrait ajouter de l'incertitude au commerce entre la Chine et les Émirats arabes unis.
Indépendamment des réglementations des pays occidentaux, le développement rapide des importations en provenance de la Chine a également suscité des inquiétudes de la part des fabricants locaux. Par exemple, le Brésil a lancé trois enquêtes antidumping sur des produits chinois. Mais la forte dépendance à l'égard de la Chine pourrait atténuer l'implantation concrète de mesures de restriction des échanges.
Le paradoxe entre localisation et exportation
La diversification actuelle de la chaîne d'approvisionnement mondiale transforme le commerce entre la Chine et le Sud Global. Les exportations de la Chine vers les pays du Sud devraient continuer à croître, sous l'effet d'une dépendance indirecte à l'égard du marché occidental et du développement de nouveaux marchés.
Dans le contexte actuel de dérisquage, et compte tenu de la lenteur de la reprise du marché du commerce de détail dans l'UE et aux États-Unis, la contribution des pays occidentaux à la croissance des flux pourrait diminuer légèrement à long terme. En ce qui concerne les nouveaux marchés, des questions restent en suspens. Les entreprises chinoises localisent également une partie de la production dans ces pays émergents. Lorsque de nouvelles usines entreront en activité d'ici deux à trois ans, la demande de produits finis en provenance directe de Chine pourrait donc également ralentir. Certes, le marché croît lui aussi, mais croîtra-t-il au même rythme que la capacité ? Depuis la pandémie de Covid-19, les entreprises, et pas seulement les entreprises chinoises, construisent des capacités pour se rapprocher des marchés de consommation. Toutefois, si la demande mondiale continue d'évoluer au ralenti, nous devrons nous préparer à de nouvelles tensions commerciales dans les années à venir.
[1] Les produits finis comprennent les biens d'équipement (code BEC 41), les véhicules (code 51) et les produits de consommation (61, 62, 63). Les biens intermédiaires se réfèrent aux codes BEC 21, 22, 42 et 53. Sans autre notification, la source de données pour les produits intermédiaires et finis provient de UN Comtrade.
[2] Ici, nous avons utilisé les données du code HS 8542. De nombreux produits relevant de ce code sont utilisés pour la fabrication de téléphones portables, un secteur crucial pour le Vietnam et l'Inde. Les données proviennent des douanes chinoises.
[3] Ici, nous avons utilisé les données du code HS 8541. De nombreux produits relevant de ce code sont utilisés pour les panneaux solaires. Source des données : Douanes chinoises.
[4] Source des données : UN Comtrade.
[5] Ces chiffres sont basés sur les données publiées par le China Global Investment Tracker de l'American Enterprise Institute, qui suit les investissements chinois d'une valeur supérieure à 100 millions d'USD.
[6] Données basées sur le code SH 87038000.
[7] Sur la base des données générées sous le code HS 0203 de UN Comtrade.