Alors qu’une très grande majorité de porte-conteneurs continuent de faire le tour par le Cap de Bonne-Espérance pour éviter les attaques en mer Rouge, le mois de février démontre globalement une étonnante capacité d’adaptation du marché. L’épisode du Covid a manifestement conduit à élaborer des plans qui permettent d’améliorer la résilience globale des entreprises. Les blocages redoutés dans les ports européens en février n’ont pas eu lieu. Il est vrai que les volumes à traiter se sont révélés plutôt modestes pour la saison dite haute.
S’il n’y a pas eu de disruption totale du marché, il serait très exagéré d’en conclure que tout va bien. La situation actuelle est compliquée à gérer pour les compagnies maritimes d’un point de vue opérationnel pour maintenir la qualité de service. Elle engendre aussi une dégradation de leur bilan carbone. Selon Constante Dijkastra, spécialiste du secteur maritime pour l’association Transports & Environment interrogée par Novethic, un navire augmente ses émissions de CO2 de 45% en passant par le cap de Bonne-Espérance.
La crise est encore plus pénalisante pour les chargeurs qui, dans leur grande majorité, avaient suivi un consensus de marché sage en matière de prévisions budgétaires, tablant pour 2024 sur des niveaux de taux de fret Asie-Europe du Nord entre 1500 et 1800 USD/40’. Aujourd’hui, les prix oscillent plutôt autour de 3500-4000 USD en moyenne, avec des marges de discussions supplémentaires en faveur des chargeurs pour les marchandises sous contrat, même si ces derniers ont été suspendus.
Les chargeurs qui étaient volontairement restés au tarif spot, dans la foulée d’un marché 2023 qui leur a été extrêmement profitable, boivent une très "grosse tasse" depuis mi-novembre 2023. Premier enseignement donc, du spot sous le prix du contrat, c’est comme des taux négatifs en finance, ça ne peut pas durer très longtemps. C’est une anomalie de marché et le retour de manivelle est toujours brutal. Dans notre analyse de marché annuelle sur les appels d’offres 2023-2024, publiée le 4 octobre c’est-à-dire avant les perturbations en mer Rouge, Upply invitait d’ailleurs les chargeurs à "se positionner de façon précoce dans la saison des appels d’offres".
Certes, la portée des contrats est limitée en maritime. Entre le chargeur qui n’arrive pas à faire des prévisions fiables de chargement et la compagnie qui ne parvient pas à fournir les conteneurs vides ou les espaces convenus sur les premiers navires, il y a toujours matière à friction dans l’exécution. Mais mieux vaut un contrat un peu bancal que pas de contrat du tout.
Alors que les grandes compagnies maritimes ont enregistré lors du T4 2023 des résultats financiers soit dans le rouge, soit à peine à l’équilibre pour les meilleures, le facteur exogène des attaques menées par les Houthis a engendré une hausse des taux de fret qui amène les niveaux de prix au conteneur au-dessus des coûts de revient pour les compagnies. Le premier trimestre 2024 est sauvé !
Au début de l’automne 2023, les compagnies maritimes voyaient arriver avec une certaine inquiétude pour 2024-2025 une vague de nouvelles capacités, dans un contexte tarifaire déjà dégradé. Elles profitent aujourd’hui d’un effet d’aubaine inattendu avec cette crise en mer Rouge, cherchant maintenant des navires pour combler les trous dans les rotations rallongées (...)