Les navires vont-ils de nouveau passer massivement par le canal de Suez, après deux ans de perturbations ? Le plan de paix de Donald Trump pour Gaza a fait ressurgir une attente très forte des marchés.
Le plan de paix en 20 points de Donald Trump pour Gaza, dont la première phase a été signée par Israël et le Hamas début octobre, a d’ores et déjà permis des avancées, à commencer par la libération des otages isaréliens détenus depuis le 7 octobre 2023. Bien que fragile, cette détente dans le conflit israélo-palestinien fait ressurgir l’hypothèse d’un retour massif des navires vers la mer Rouge et le canal de Suez, délaissés depuis l’automne 2023 en raison des attaques menées par les rebelles houthis du Yémen en soutien au Hamas.
Dans cette analyse, nous vous proposons de passer en revue les arguments qui plaident en faveur d’un retour rapide, et ceux qui au contraire penchent en faveur du statu quo. Nous demanderons ensuite à l’IA ce qu’elle en pense, et nous vous présenterons notre synthèse.
Les arguments en faveur d’un retour rapide
- Rétablir la libre circulation des navires
La liberté de navigation est un socle du droit maritime mondial, et l’entorse tolérée depuis octobre 2023 n’a que trop duré. L’administration Trump s’est prononcée dès le printemps en faveur d’un retour de la libre circulation des navires par la mer Rouge, et cette position est vraisemblablement renforcée par la signature de l’accord sur Gaza.
L’évolution des cotations boursières des armateurs indique que les marchés donnent du crédit à cette hypothèse, en spéculant à la baisse sur les cours des actions des compagnies maritimes.
- Alléger les coûts d’exploitation des compagnies maritimes
Les taux de fret spots actuels couvrent difficilement les charges opérationnelles des compagnies maritimes. Le surcoût direct du déroutement via le cap de Bonne-Espérance, par rapport à la route empruntant le canal de Suez, s’établit aujourd’hui autour de 800 US$/ 40’ (contre 1 000 US$ en début de crise). Même dans un marché déprimé, l’économie à court terme pourrait être bonne à prendre, quitte à facturer des frais de congestion portuaire pour compenser au moins partiellement la baisse des taux de fret que le retour par Suez ne manquerait pas d’engendrer.
- Alléger les coûts des importations et exportations
Le retour du passage par le canal de Suez devrait engendrer une baisse des taux de fret. À l’heure où les importations et les exportations américaines sont pénalisées par l’alourdissement des droits de douane aux États-Unis, par l’introduction de taxes sur les navires détenus ou opérés par des intérêts chinois, et par les contre-mesures chinoises, la baisse des coûts d’acheminement serait la bienvenue. Elle profiterait aussi au marché européen.
- Améliorer les temps de transit et le bilan environnemental
Un retour massif des navires par le canal de Suez permettrait pour les chargeurs une amélioration des temps de transit, ce qui peut être un atout non négligeable pour le pilotage de leurs supply chains dans le contexte actuel très mouvant des droits de douane. Par ailleurs, le déroutement par le cap de Bonne-Espérance induit une surconsommation de carburant, inhérente à l’allongement de la route (environ 20%). Cela alourdit significativement le bilan carbone des transporteurs mais aussi de leurs clients.
- Soutenir l’économie égyptienne
Le manque à gagner pour l’Egypte, pays clé de la stabilité dans la zone, est évalué à environ 7 milliards de dollars par an depuis le début de la crise. Les revenus provenant du canal de Suez ont chuté de 54,1 % pour atteindre 2,6 milliards de dollars entre juillet 2024 et mars 2025, les tensions persistantes en mer Rouge ayant entraîné une baisse de 44,8 % du nombre de transits de navires. Alors que l’Egypte a joué un rôle clé dans les négociations pour le plan de paix à Gaza, un soutien occidental pour favoriser le retour du trafic pourrait être très apprécié. Les navires rouliers de BYD passent, le reste du marché pourrait leur emboîter le pas dans la foulée des accords de Gaza.
Les arguments en défaveur d’un retour rapide
- Une zone toujours sous tension
Pour les assureurs, cette région est toujours classée en zone de guerre. Et comme l’a montré l’attaque récente contre le navire néerlandais Minervagracht dans le Golfe d’Aden, la situation est en effet loin d’être stabilisée. La signature de la première phase du plan de paix entre Israël et le Hamas est certes intervenue après cet incident. Mais cette paix est encore beaucoup trop fragile pour parler de normalisation.
- Un retour par Suez nécessairement progressif
Plusieurs paramètres laissent à penser que le retour des navires par le canal de Suez prendra du temps. Tout d’abord, les compagnies maritimes et les grands NVOCC n’ont aucun intérêt à précipiter le mouvement. Le détournement via le cap de Bonne-Espérance permet actuellement d’absorber une partie de la surcapacité qui sévit sur le marché. Le retour via Suez renforcera cette surcapacité et influencera donc à la baisse les taux de fret, alors même que ceux-ci sont déjà très bas sous l’effet d’une demande molle. D’autre part, d’un point de vue opérationnel, la réorganisation des services est un mouvement complexe, qui aura un impact fort en matière de congestion portuaire. Il faudrait compter au minimum deux à quatre mois pour réguler l’activité dans les grands ports.
Les chargeurs non plus ne sont pas excessivement demandeurs d’un retour massif par le canal de Suez à ce stade. Les chaînes logistiques se sont finalement adaptées à la nouvelle configuration, qui offre plus de stock flottant gratuit et une minoration de l’exposition aux frais de détention et surestaries à l’arrivée.
Pour toutes ces raisons, la plupart des analystes de marché et des professionnels ne prévoient un retour massif que dans le courant de l’année 2026, dans le meilleur des cas.
Ce qu’en dit l’IA
Alors que Upply, plate-forme tech au service des professionnels du transport, explore les pistes d’innovation offertes par l’intelligence artificielle, nous avons souhaité nous livrer à une expérimentation dans notre domaine de l’analyse de marché. Nous avons passé au "shaker" de Chat GPT les arguments ci-dessus, élaborés par notre cerveau humain. Voyons les grandes tendances qui en ressortent :
🧭 Synthèse
- ✅ Court terme : des arguments économiques, logistiques et géopolitiques forts militent pour un retour rapide.
- ❌ Réalité opérationnelle : les risques sécuritaires, les intérêts économiques des transporteurs et les ajustements logistiques freineront une reprise immédiate.
- 📅 Prévision : un retour progressif semble inévitable, probablement à partir de 2026, sauf changement majeur dans la situation sécuritaire.
👉 Recommandation stratégique
- Pour les chargeurs et importateurs/exportateurs : anticiper un scénario de transition progressive, en continuant d’optimiser les schémas logistiques et les stocks flottants, tout en préparant des plans de bascule flexibles pour tirer parti d’un éventuel retour par Suez à partir de 2026.
- Pour les compagnies maritimes : surveiller étroitement l’évolution géopolitique et ajuster les stratégies de capacité afin d’éviter un déséquilibre du marché.
En résumé, si la logique économique et géopolitique plaide pour un retour rapide, la réalité du marché et de la sécurité maritime impose une stratégie de retour progressif, planifié et conditionné.
Notre touche finale
À moins qu’un nouvel événement exogène majeur n’intervienne, la probabilité d’un retour massif des navires via le canal de Suez dans le courant de l’année 2026 est plus forte que le maintien indéfini du statu quo actuel. C’est d’autant plus vrai que ce statu quo, qui engendre des surcoûts, atteint durablement la rentabilité des compagnies maritimes. Le contournement reste une régression historique, d’un point de vue environnemental et opérationnel.
Si une des grandes compagnies maritimes mondiales prend la décision d’un retour massif, il sera difficile pour les autres de ne pas suivre le mouvement.