Commerce international

L’évolution du commerce UE-Chine dans le secteur automobile

28 janvier 2025

Depuis le début de la décennie, les constructeurs automobiles européens perdent du terrain sur le marché chinois. À l’inverse, la Chine conquiert des parts de marché en Europe, et pas seulement sur le segment du véhicule électrique.

En 2023 et 2024, des records ont été atteints dans le secteur automobile. Jamais autant de véhicules électriques n’avaient été importés depuis la Chine pour les consommateurs européens. Jamais non plus les exportations de véhicules européens vers la Chine n’avaient été aussi basses. Pourtant, la première décennie des années 2000 a été marquée par des exportations importantes de véhicules vers la Chine. Et les années 2010 avaient vu tous les grands constructeurs européens s’implanter en Chine. Mais les années 2020 semblent marquer un net retournement de tendance. On se souviendra de cette période comme de celle des fermetures d’usines européennes en Chine et d’exportations massives de véhicules électriques chinois vers l’Europe.

Alors que les États-Unis et le Canada, qui importent très peu de véhicules électriques en provenance de Chine, ont décidé d’imposer un droit de douane de 100% sur ce produit, l’Union européenne a pour sa part lancé une enquête sur les subventions publiques du secteur automobile électrique en Chine, qui a abouti à l’application des droits de douanes allant de 7,8 à 35% selon le constructeur[1] (en plus des 10% déjà existants), depuis le 30 octobre 2024.

L’analyse qui suit caractérise les échanges commerciaux UE-Chine dans ce secteur, marqués par des rebondissements politiques spectaculaires.

Une surproduction chinoise qui crée des tensions

Le marché chinois de l’automobile est en plein essor. Selon l’Association chinoise des constructeurs automobiles, les ventes de véhicules ont progressé de 12% entre 2022 et 2023 en Chine. C’est un marché extrêmement compétitif, où les acteurs chinois tels que SAIC, Geely ou BYD ont progressivement pris le dessus sur des producteurs européens et américains. Cette concurrence interne sans merci incite depuis quelques années les constructeurs chinois à aller chercher des parts de marché à l’étranger, afin de rester compétitifs en Chine.

Selon des estimations, environ 30 millions de véhicules[2] auraient été produits en 2024, alors que les consommateurs chinois n’en auraient acheté… que 22,8 millions[3]. Les constructeurs chinois ont donc dû trouver des débouchés à l’export pour plus de 7 millions de véhicules. Pour donner un ordre de grandeur, 1,7 millions de véhicules neufs ont été immatriculés en France en 2024, selon les estimations de la Plateforme automobile. Le potentiel disruptif sur les marchés internationaux de cette surproduction est donc majeur.

En Chine, l’année 2024 marque aussi l’avènement des véhicules électriques. Les consommateurs chinois ont acheté plus de 10,97 millions de véhicules hybrides ou électriques, soit près d’un véhicule sur deux neuf acheté en Chine[4]. En Europe, en 2023, seul un peu plus d’un véhicule sur cinq vendu était hybride ou électrique[5]. Et dans la catégorie des véhicules électriques, les exportations en provenance de Chine représentaient plus de 20% des ventes dans l’Union européenne[6].

Un secteur automobile européen en perte de vitesse en Chine

Les constructeurs français et allemands dominent très largement les exportations de véhicules européens vers la Chine puisqu’ils représentaient 96% du total pour l’année 2023[7]. La disparité entre les deux producteurs reste cependant importante. L’Allemagne pèse bien plus lourd, aussi bien en termes d’exportations de véhicules individuels vers la Chine qu’en termes d’implantation des constructeurs sur place.

Après plusieurs tentatives d’implantation industrielle entre 2002 et 2017, le groupe Stellantis (anciennement PSA) et sa co-entreprise Dongfeng, ne sont jamais parvenus à percer en Chine, faute de répondre aux demandes des consommateurs chinois. Après avoir atteint 2,37% de parts de marché en 2014, le groupe a dégringolé à 0,28% des parts de marchés chinoises en 2022 – soit moins de 58 000 véhicules vendus[8].

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Tableau 1 : Évolution des exportations de véhicules individuels français vers le Chine entre 2017 et 2023 (en millions d’euros). Source : Eurostat (ce tableau combine les catégories statistiques 870321-24 ; 820331-33 ; 820360 ; 820370 ; 820380).

Par ailleurs, les exportations françaises de véhicules vers la Chine sont quatre fois moins importantes que les exportations de véhicules allemands. La Chine n’est plus un marché primordial pour les constructeurs français, que ce soit en termes de production locale en Chine ou d’exportations vers la Chine. Cela peut expliquer leur appui à l’investigation sur les subventions du secteur automobile électrique chinois en Europe, ainsi que le soutien de la France aux sanctions européennes envers les constructeurs implantés en Chine.

Les constructeurs allemands, même s’ils continuent d’être présents sur le marché chinois, voient aussi leurs résultats chuter, avec une contraction de 25% entre 2018 et 2023 en nombre d’unités vendues[9]. La réputation des marques allemandes ne suffit pas, face aux subventions à l’achat de marques nationales en Chine et la préférence croissante des consommateurs pour des véhicules électriques que les constructeurs allemands produisent peu. Entre 2020 et 2024, les marques allemandes ont perdu des parts de marché, passant de 24% à 15%[10]. Pourtant, face aux difficultés rencontrées en Chine, l’Allemagne a fait le choix d’y augmenter ses investissements, promettant 2,5 milliards euros de plus pour les usines locales de ses constructeurs.

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Tableau 2 : Évolution des exportations de véhicules individuels allemands vers la Chine entre 2017 et 2023 (en millions d’euros). Source : Eurostat (ce tableau combine les catégories statistiques 870321-24 ; 820331-33 ; 820360 ; 820370 ; 820380).

Les exportations allemandes de véhicules sont également en baisse nette (de 9 points de pourcentage) entre 2022 et 2023, même si elles demeurent bien plus importantes que celles de la France.

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Tableau 3 : Évolution des exportations allemandes de véhicules individuels vers la Chine par catégorie de véhicules entre 2017 et 2023 (en millions d’euros). Source : Eurostat (catégories statistiques prises en compte pour les véhicules thermique : 870321-24 ; 820331-33 ; véhicules hybrides : 820360 ; 820370 ; véhicules électriques : 820380).

Malgré l’effort allemand pour exporter des véhicules hybrides et électriques vers la Chine à partir de 2018, 2023 marque une baisse nette des exportations de véhicules individuels allemands vers la Chine, et ce quel que soit le type de véhicule.

Dit autrement, que ce soit à l’export ou par la production directement sur le marché chinois, les perspectives françaises et allemandes sont peu réjouissantes. En parallèle, la Chine a pour sa part exporté un nombre records de véhicules électriques vers les États de l’Union européenne en 2024.

Le secteur automobile chinois à la conquête de l’Europe dans l’électrique… et le thermique

Les ventes de véhicules chinois ont décollé en Europe à partir de 2021. Dès 2022, la Chine double ses exportations. Et en 2023, la valeur en millions d’euros de ses exportations vers l’Europe avoisine les montants exportés vers la Chine depuis l’UE27. Autrement dit, les courbes d’exportations européennes et chinoises se croisent. Cela semble dessiner une tendance de plus long-terme, car la production chinoise est en pleine essor.

L’essentiel des exportations chinoises est composé de véhicules électriques. En 2023, la Chine a multiplié par 17 ses exportations de véhicules électriques par rapport à 2021, première année où l’on observe une augmentation des exportations. C’est cette croissance massive qui a mené la Commission européenne à lancer une enquête sur les véhicules électriques en provenance de Chine.

Les ambitions de la Chine sur le marché automobile européen ne s’arrêtent pas au véhicule électrique. En 2023, la Chine a également exporté autant de véhicules thermiques vers l’UE que la France en a exporté vers la Chine. Les exportations chinoises vers l’UE27 sur ce segment ont doublé par rapport à 2022, et quintuplé par rapport à 2021. Or, si les constructeurs chinois de véhicules électriques sont soumis à des sanctions, ce n’est pas le cas des véhicules thermiques. Alors que les consommateurs chinois se tournent de plus en plus vers l’électrique, il est probable que les constructeurs de véhicules thermiques chinois cherchent de nouveaux débouchés pour leurs produits. L’UE, où 78% des véhicules neufs immatriculés dans l’Union européenne en 2024 étaient thermiques, semble à ce titre un marché intéressant.

Enfin, de nombreux analystes estiment que les sanctions appliquées aux véhicules automobiles en provenance de Chine sont trop faibles pour détourner la Chine du marché européen[11]. Elles ont pourtant un impact. Entre la soumission du rapport de la Commission européenne sur les subventions en juillet 2024 et l’adoption des sanctions par les États membres de l’UE à l’encontre des constructeurs chinois le 4 octobre 2024, avec une mise en application le 30 octobre 2024, la Chine a largement augmenté ses exportations.

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Tableau 4 : Évolution des exportations de véhicules électriques de la Chine vers l’UE27 en unité (juin-novembre 2024). Source : Bureau Statistique des douanes chinoises. Catégorie statistique : 820380.

Ainsi, en septembre 2024, la Chine a exporté 50% de véhicules de plus que le mois précédent. Les volumes ont ensuite chuté en novembre, suite à l’entrée en œuvre des sanctions, en-dessous des niveaux enregistrés au mois de juin. Autrement dit, la Chine a anticipé les effets des sanctions en boostant ses exportations entre l’annonce de sanctions potentielles et leur application.

Perspectives

Entre 2015 et 2024, la balance commerciale du secteur de l’automobile entre la Chine et l’UE27 s’est donc inversée. Les ventes de véhicules européens produits sur le marché chinois sont en recul, tout comme les exportations de véhicules européens vers la Chine, toutes catégories confondues. À l’inverse, les exportations chinoises de véhicules vers l’UE27 sont en très forte augmentation dans toutes les catégories de véhicules, même si la locomotive de cette asymétrie commerciale demeure la voiture électrique.

Les sanctions applicables aux véhicules électriques pourraient d’une part freiner en partie les exportations chinoises dans cette catégorie, au moins temporairement. D’autre part, elles pourraient par effet de ricochet amener des sanctions contre les constructeurs européens en Chine et les exportations de véhicules en Chine, ce qui impacterait lourdement les constructeurs allemands, et dans une bien moindre mesure les constructeurs français.

Pour autant, les autres catégories de véhicules – hybrides et thermiques, qui ne sont pas soumises aux sanctions - peuvent continuer d’être exportées sans entrave vers le marché européen. Dans ces catégories, il est probable que les constructeurs chinois continuent d’augmenter leurs parts de marché. Les indicateurs actuels permettent donc d’estimer que les flux de véhicules individuels en provenance de l’UE27 vers la Chine vont continuent à baisser, tandis que les flux en provenance de Chine vers l’UE, toutes catégories confondues, ont encore de beaux jours devant eux.


[1] Commission européenne, "L'UE impose des droits sur les véhicules électriques injustement subventionnés en provenance de Chine, tandis que les discussions sur les engagements de prix se poursuivent", Bruxelles, 29/10/2014.

[2] Marklines – Automotive Industry Portal, "China – Automotive Sales Volumes, 2024", January 2024.

[3] Jiri Opletal, "Early data shows record-breaking 11 million NEVs were sold in China in 2024, penetration rate nearly 50%", CarnewsChina, 08/01/2025.

[4] Association Chinoise des Constructeurs Automobiles, Statistiques pour l’année 2024.

[5] European Environment Agency,"New registration of electric cars EU27”, 06/11/2024.

[6] Association européenne des constructeurs automobiles, "Factsheet : EU-China vehicles trade", 12/06/2024.

[7] Calculs exprimés en valeur à partir des données UE27, française et allemande disponibles sur Eurostat.

[8] Goodcarbadcar – automotive sales data, “Peugeot Sales Data, Trends & Analysis for the Chinese Automotive Market”.

[9] Alexander Brown & Andreas Mischer, "German Carmakers Are Placing a Risk) Bet on China", 09/12/2024.

[10] Alexander Brown & Andreas Mischer, "German Carmakers Are Placing a Risky Bet on China”, 09/12/2024.

[11] Gregor Sebastian, Noah Barkin & Agatha Kratz, “Ain’t no duty high enough”, 29/04/2024.

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Camille Brugier est chercheuse en sciences politiques, spécialiste de la Chine.
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