Le trafic mondial de fret aérien a enregistré une surprenante progression de 4,4% en mars en glissement annuel, vraisemblablement due à des anticipations de commandes. Les prix de transport ont ainsi remonté sur certains axes.
1/ L’évolution de l’offre et de la demande
- Trafic de mars 2025
Stocker et consommer avant la tempête tarifaire : la guerre commerciale relancée par l’administration Trump a dopé le trafic mondial de fret aérien, après un début d’année morose. Selon les chiffres de l’Association du transport aérien international (IATA), les volumes exprimés en tonnes-kilomètres ont progressé de 4,4% en mars en glissement annuel, et de 3,2% en glissement mensuel, en données corrigées des variations saisonnières. Ils atteignent ainsi environ 23 milliards de tonnes-kilomètres, selon nos estimations.
Le rebond du mois de mars est un phénomène classique dans l’industrie du fret aérien, mais son ampleur laisse à penser que la perspective d’une forte hausse des droits de douane américains a "incité les entreprises et les consommateurs à anticiper leurs achats", estime l’IATA. La reprise est d’ailleurs encore plus marquée sur les liaisons internationales, où le trafic progresse de 5,5% en glissement annuel et de 4,1% en glissement mensuel, hors ajustements saisonniers.
* FTK : tonnes-kilomètres de fret – Source des données : IATA
En mars, les trois principaux corridors mondiaux de fret aérien sont en croissance : +7,3% pour l'Asie-Amérique du Nord, première route mondiale, +8,3% pour l'Europe-Asie et +8,5% pour le corridor Europe-Amérique du Nord. En revanche, certains axes internationaux accusent une baisse : c’est le cas en particulier du corridor Moyen-Orient/Europe, en repli de 7,5%, et surtout de l’axe Afrique-Asie, qui plonge de 40,2%. Cette détérioration rejaillit d’ailleurs sur les résultats des compagnies aériennes de ces zones : comme le montrent les chiffres de l’IATA, les transporteurs du Moyen-Orient et de l’Afrique sont les seules à enregistrer globalement un repli des volumes au mois de mars.
À l’inverse, les compagnies de la région Asie-Pacifique ont mené la croissance du fret aérien international avec une hausse de 9,6% en glissement annuel, supérieure aux 5,2% enregistrés en février. Elles devancent d’une courte tête les compagnies nord-américaines, qui ont enregistré la plus forte hausse par rapport au mois précédent, avec une progression de 7 points de pourcentage pour atteindre 9,5%, "probablement sous l'effet d'une augmentation des échanges commerciaux avant l'entrée en vigueur des droits de douane américains sur les produits chinois", décrypte l’IATA.
- Cumul annuel à fin mars 2025
Le rebond du mois de mars permet à l’industrie du fret aérien d’afficher un trafic en croissance au premier trimestre 2025, malgré le mauvais démarrage.
* FTK : tonnes-kilomètres de fret – Source des données : IATA
- Capacités
La capacité mondiale de fret aérien a augmenté en mars, progressant de 4,3% en glissement annuel au niveau global, et de 6,1% sur le seul segment international. Il s’agit d’un retournement de tendance par rapport à la baisse de 0,2% en glissement annuel observée en février. Au niveau global, l’offre a même progressé un peu moins vite que la demande, permettant une légère hausse de 0,1 point du coefficient de remplissage, qui s’élève ainsi à 47,5%. Cependant, l’histoire est un peu différente sur les liaisons internationales, qui représentent la majeure partie de l’activité. Sur ce segment, le coefficient de remplissage perd 0,3 point à 53,7%.
Les capacités disponibles en soute des avions passagers représentent toujours la majorité de l’offre, mais l’on observe un phénomène symptomatique en mars : les capacités offertes à bord des avions cargo sont en croissance de 0,1 point par rapport à la même période de 2024, alors que leur part de marché avait plutôt tendance à s’éroder, tombant même à 43,7% en février 2025. Les compagnies aériennes ont manifestement renforcé l’offre alors que la demande était stimulée par la perspective des droits de douane additionnels.
2/ L’évolution des prix
Les prix du fret aérien ont tendance à se stabiliser, conformément à ce que l’IATA a prévu pour l’année 2025. Toutefois, deux marchés se distinguent parmi les axes observés par Upply : l’intra-Asie et l’Asie-Europe, en croissance en glissement mensuel au mois de mars. En glissement annuel, l’Asie-Europe est également en progression significative.
Source : Upply Freight Index
Ces résultats sont plutôt très positifs pour les compagnies aériennes, dans un contexte de baisse importante des coûts du carburant. "Le prix moyen du Brent en mars est tombé à 72,6 dollars, marquant huit mois consécutifs de baisse en glissement annuel. Cela représente une baisse de 15,1% par rapport à l'année dernière et de 3,5 % par rapport à février. Les coûts du kérosène ont chuté encore plus fortement, reculant de 17,3% en glissement annuel à 88,9 dollars américains et de 6,0% en glissement mensuel, marquant ainsi un deuxième mois consécutif de baisse", souligne l’IATA.
3/ Les perspectives
Selon l’IATA, les indicateurs économiques mondiaux ont affiché des signes plutôt positifs en début d’année 2025. La production industrielle mondiale, corrigée des variations saisonnières, a augmenté de 3,2% en glissement annuel, comme en janvier. Le volume des échanges commerciaux a également progressé de 2,9% en glissement annuel.
Cependant, la nouvelle politique américaine en matière de droits de douane et le manque de visibilité sur sa concrétisation atténuent considérablement des signaux positifs. Dans un premier temps, ces annonces ont pu être bénéfiques au secteur du fret aérien comme on le voit sur les résultats de mars, et cela devrait encore être en partie le cas en avril, en raison d’une anticipation des commandes. Mais à plus longue échéance, une vraie menace pèse sur le secteur. Elle pourrait être d’autant plus sérieuse qu’au-delà des droits de douane additionnels globaux, le fret aérien va souffrir spécifiquement d’une autre mesure : l'interdiction des importations en franchise de droits vers les États-Unis pour les envois en provenance de Chine, de Hong Kong et de Macao. Jusqu’à présent, ces expéditions étaient exemptées de droits lorsque leur valeur ne dépassait pas 800 USD. Désormais, elles sont taxées à 120% du montant déclaré ou à 100$ par colis à partir du 2 mai 2025, puis soumise à une franchise forfaitaire de 200$ par colis à partir du 1er juin 2025. Cette disposition va frapper de plein fouet le e-commerce transfrontalier, un secteur qui a fortement dopé les volumes de fret aérien ces dernières années.
Bien sûr, le trafic de fret aérien ne se limite pas aux échanges entre la Chine et les États-Unis. Mais ces flux sont très importants, et déterminant pour la tendance générale de l’année. L’industrie du fret aérien, comme l’économie en général, est donc suspendue aux décisions qui seront prises aux États-Unis à l’issue de la période de négociations de 90 jours. En cas d’apaisement, la situation pourrait être favorable pour les compagnies aériennes, dans un contexte par ailleurs positif pour elles de baisse des coûts du carburant. Mais en cas de blocage et d’application effective de lourds droits de douane additionnels, des pays qui n’ont jusqu’à présent pas appliqué de mesure de rétorsion, en particulier l’Union européenne, n’auraient pas d’autre choix que de s’y résoudre pour conserver leur crédibilité dans les négociations commerciales. On entrerait alors dans une zone de turbulence de bien plus grande ampleur, susceptible d’amoindrir significativement les perspectives de croissance.