Commerce international

L’impact de la reprise hétérogène en Chine sur les échanges avec l’UE

31 août 2023

La Chine enregistre une reprise économique modeste malgré l’abandon de la politique Zéro Covid, surtout dans l’industrie manufacturière. Une situation qui pèse sur l’évolution des échanges commerciaux avec l’Union européenne.

Au cours du premier semestre 2023, l'économie chinoise a montré des résultats mitigés, avec un ralentissement de la reprise au deuxième trimestre. Si l’on compare les performances du secteur des services et celles de l'industrie manufacturière, on constate des trajectoires hétérogènes, qui induisent des évolutions contrastées du commerce de la Chine avec ses partenaires de l'UE. Observerons-nous davantage de convergence ou au contraire de divergence dans les performances du secteur des services et celles de l'industrie manufacturière au cours prochains mois ? Comment cela affectera-t-il le commerce entre l'UE et la Chine pendant le reste de l'année 2023 ? L’analyse des données économiques et commerciales les plus récentes apporte des éléments de réponse.

Des rythmes de reprise variables selon les secteurs

Compte tenu de la faiblesse de la demande mondiale et de la diversification des sources d'approvisionnement, la Chine a cherché à relancer son économie par la consommation intérieure, après sa réouverture à la fin de l'année 2022. Comme en Europe et en Amérique du Nord après l'assouplissement de la réglementation Covid, la reprise en Chine a également été plus marquée dans le secteur des services, en particulier dans le secteur de la restauration (graphiques 1 et 2), que dans l’industrie manufacturière.

Par ailleurs, malgré ces rythmes de reprise hétérogènes, les deux secteurs ont commencé à s'essouffler au deuxième trimestre après le rebond initial du premier trimestre, avec un taux de croissance du PIB de seulement 0,8 % en glissement trimestriel. Les activités manufacturières se sont contractées au deuxième trimestre (PMI inférieur à 50), et la situation macroéconomique préoccupante a également commencé à freiner les dépenses de la population dans le secteur des services.

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Graphique 1 - Source des données : Bureau national des statistiques de Chine.

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Graphique 2 - Source des données : Bureau national des statistiques de Chine.

Des évolutions contrastées pour les échanges commerciaux Chine-UE

Les relations commerciales entre la Chine et l'UE montrent également des tendances contrastées. Les exportations chinoises vers ses cinq premiers partenaires commerciaux de l'UE sont en baisse, tandis que le taux de croissance des importations chinoises en provenance d'Europe a varié selon les secteurs et les États membres (graphiques 3 et 4).

L’analyse par secteur d’activité montre qu’à l’export vers la Chine, les produits de consommation et les aliments et boissons ont connu une croissance à deux chiffres, tandis que l'approvisionnement de la Chine en biens industriels et en véhicules provenant de l’UE s'est effondré. Ces derniers segments représentant près de 75 % des exportations de l'UE vers la Chine, leur sous-performance a tiré vers le bas la croissance totale des exportations de l'UE vers la Chine.

Cette évolution de la nature du commerce s'est traduite par des variations significatives de la demande chinoise selon les pays européens (graphique 4). Au cours du premier semestre, les exportations allemandes ont diminué de 3 %, tandis que la France et les Pays-Bas ont connu une croissance à deux chiffres. graph3_croissance_exportations_ue_chine

Graphique 3 - Source des données : Eurostat.

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Graphique 4 - Source de données : Douanes chinoises.

Tout d'abord, le rebond des services de restauration après la réouverture profite aux principaux exportateurs européens de produits agricoles et alimentaires comme la France et les Pays-Bas. Par exemple, au cours des cinq premiers mois de 2023, les céréales françaises ont connu une augmentation de plus de 60 %, et les exportations de viande néerlandaise vers la Chine ont également augmenté de 45 %[1]. En revanche, la reprise du secteur de la restauration n'a pas suscité un essor de la demande dans le secteur des vins, en raison du niveau élevé des stocks et de la morosité de la macroéconomie. En outre, cette tendance est également en ligne avec la diminution globale des importations chinoises de vin dans le monde depuis 2018[2] , tant en valeur qu'en volume.

La reprise de la vie sociale a également stimulé la demande chinoise pour les cosmétiques et les produits de luxe, ce qui a principalement profité à la France et à l'Italie. Le groupe de luxe français LVMH a fait état d'un net rebond de ses ventes en Chine. Son chiffre d'affaires en Asie (hors Japon) au deuxième trimestre 2023 a augmenté de 34 %, la Chine étant le principal moteur de la croissance. En conséquence, en tant que principal lieu de production de produits de luxe, l’Italie a connu une augmentation de ses exportations de vêtements, de chaussures et de produits en cuir vers la Chine. Elles ont progressé de 26 % en valeur et de 3 % en volume, dépassant le niveau d'avant la pandémie.

À l’inverse, la faible reprise de l'industrie manufacturière a pénalisé les exportations allemandes vers la Chine, qui sont principalement constituées de produits industriels et automobiles. Les exportations allemandes dans le secteur automobile, notamment, ont chuté de 20 % au cours des cinq premiers mois. Cette contre-performance résulte d’une combinaison de facteurs, alliant une volonté de localisation des approvisionnements en Chine, l'augmentation de la part de marché des constructeurs automobiles nationaux chinois et l'affaiblissement de la demande suite à la fin des subventions à l'achat en Chine.

Bien entendu, certains événements ponctuels ont également accentué les variations. Par exemple, l'augmentation radicale du nombre de cas de Covid après la fin de la politique "zéro Covid" a entraîné une hausse de la demande de Paxlovid, un médicament contre le Covid produit par Pfizer en Italie, ce qui a multiplié par 14 ses exportations de produits pharmaceutiques vers la Chine au cours du premier trimestre 2023. Une tendance similaire, mais moins extrême, a également été observée pour les exportations de produits pharmaceutiques des Pays-Bas vers la Chine au cours de la même période. Par ailleurs, les livraisons d'avions Airbus au deuxième trimestre 2023 ont considérablement augmenté les exportations françaises vers la Chine.

Des perspectives maussades

La lenteur de la reprise économique chinoise au deuxième trimestre a ravivé les inquiétudes concernant les performances économiques de la Chine pour le reste de l'année 2023.

Le secteur des services devrait continuer à afficher des performances supérieures à celles des activités manufacturières. Mais dans le même temps, le contexte économique difficile, marqué par des exportations, des investissements et des ventes au détail de la Chine sous pression, devrait empêcher une croissance plus constante et plus vigoureuse du secteur des services.

Le secteur manufacturier chinois orienté vers l'exportation continuera quant à lui à être entravé par la faiblesse de la demande pendant le reste de l'année 2023. Les prévisions de la Banque centrale européenne publiées en en juin, par exemple, font état d'une croissance annuelle des importations de la zone euro de 1,4 % pour 2023. Par ailleurs, la poursuite du découplage entre les États-Unis et la Chine freine également les exportations chinoises. De janvier à mai 2023, la Chine a représenté 13% du total des importations américaines, contre 16% au cours de la même période l'année dernière.

La confiance du secteur privé chinois reste à un niveau assez faible. Sans révéler de chiffres, le Conseil national chinois pour le développement et la réforme (NDRC) a signalé un ralentissement du taux de croissance de l'investissement privé et de sa part dans l'investissement total. L'investissement privé chinois dans le marché immobilier - un pilier essentiel de la croissance économique chinoise - a chuté de 0,2 % au cours des six premiers mois de 2023. Le gouvernement chinois a publié une série de politiques publiques visant à stimuler l’activité des entreprises privées en juillet 2023 et à restaurer le marché de l'immobilier. Reste à savoir dans quelle mesure ces politiques susciteront la confiance du secteur privé.

La consommation intérieure est donc incontestablement sous pression, compte tenu de l'aversion au risque du secteur privé chinois, qui représente 80 % de l'emploi en Chine. Le taux de chômage des jeunes, notamment, a atteint un niveau record de 21 % en juin (graphique 5). L'incertitude quant aux revenus futurs, associée à l'endettement croissant des ménages, a conduit à une plus grande prudence dans les dépenses.

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Graphique 5 - Source des données : Bureau national des statistiques de Chine[3].

En fait, la consommation intérieure chinoise est davantage un problème structurel qu'un impact temporaire de la faiblesse de l'économie mondiale et des tensions géopolitiques actuelles. Depuis 2018, la croissance de la consommation chinoise a toujours été inférieure à celle du revenu disponible, sauf en 2021, l'année qui a suivi la première vague de la pandémie (graphique 6). Cette situation et très différente de celle d'une économie davantage axée sur la consommation, comme celle des États-Unis, où le commerce de détail a rapidement rebondi (graphique 7).

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Graphique 6 - Source des données : Bureau national des statistiques de Chine.

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Graphique 7 - Source des données : US Census Bureau et Banque fédérale de Saint-Louis

Impacts sur les exportations de l'UE vers la Chine

L’évolution très hétérogène des exportations de l'UE vers la Chine se poursuivra-t-elle au second semestre 2023 ? De façon évidente, certains événements particuliers, comme la forte demande de médicaments suite à l’abandon de la politique Zéro Covid, ont peu de chance de se reproduire au second semestre. Toutefois, la structure globale des échanges commerciaux devrait présenter une certaine similitude par rapport au premier semestre.

  • Premièrement, la faiblesse de la demande et la recherche d'autosuffisance de la Chine continueront de peser sur les exportations allemandes vers la Chine.
  • Deuxièmement, les exportations européennes de céréales vers la Chine pourraient être plutôt résilientes, grâce à la forte demande d'aliments pour animaux, liée en particulier au niveau record du cheptel porcin. En volume, la demande chinoise en céréales françaises a été multipliée par près de six au cours des cinq premiers mois de l'année 2023 par rapport à la même période en 2019.
  • Troisièmement, les liens de plus en plus étroits entre la Chine et l'UE dans le domaine de la construction aéronautique génèrent davantage d'échanges entre l’Europe (principalement la France et l'Allemagne) et la Chine. Alors que les relations bilatérales entre la Chine et les États-Unis continuent de se détériorer, les commandes aéronautiques chinoises penchent de plus en plus en faveur d'Airbus. En 2022, Airbus détenait 54 % des parts de marché en Chine continentale. En outre, la nouvelle ligne d'assemblage d'Airbus en Chine, annoncée lors de la visite de M. Macron à Pékin en avril, créera un flux de pièces d'avion vers l'Est, à destination de la Chine.

En ce qui concerne la demande chinoise de produits de consommation européens, deux points de vigilance apparaissent.

  • Tout d'abord, bien que pour des raisons différentes, l'UE et la Chine sont confrontées à des niveaux de stocks élevés, ce qui entrave les commandes à l'importation. Certes, les stocks ont baissé en juin, mais cela peut s'expliquer par le “festival du shopping 618” qui s’est déroulé au mois de juin en Chine et par la stratégie de réapprovisionnement plus prudente des détaillants chinois.
  • Ensuite, les exportations européennes de produits de consommation étant davantage associées à des achats haut de gamme, les résultats de l'industrie du luxe peuvent s'avérer essentiels pour maintenir la hausse des exportations de certains pays européens vers la Chine. Toutefois, leurs performances pourraient être entravées par le taux de chômage record de la jeune génération, l'âge moyen des consommateurs chinois de produits de luxe étant de 28 ans, selon une enquête du Boston Consulting Group.

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Graphique 8 - Source des données : Bureau national des statistiques chinoises [4].


[1] Il s'agit ici d'une croissance en valeur, mais ces deux pays ont également connu une croissance à deux chiffres en termes de volume.

[2] Ces chiffres sont basés sur les données fournies par le Comtrade des Nations Unies.

[3] À partir de juillet 2023, les autorités chinoises ont cessé de publier le taux de chômage des jeunes (16-24 ans).

[4] Une valeur inférieure à 50 signifie une contraction des stocks.

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Docteur en sciences politiques, Ganyi nous livre un regard affûté sur les évolutions du transport et de la Supply Chain dans le monde, par le prisme des tendances politiques et économiques.
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