Les volumes de fret ferroviaire Chine-UE ont renoué avec la croissance en 2024, profitant notamment d’une forte hausse sur le segment des véhicules. En revanche, dans l’autre sens, les flux poursuivent leur déclin.
Après deux années de forte décroissance, les volumes de fret ferroviaire entre la Chine et l’Union ont nettement rebondi en 2024, selon les statistiques de l’opérateur European Rail Alliance. Avec un total de 380 434 EVP, ils affichent une progression de 80,2% par rapport à 2023.
Cette hausse est exclusivement imputable à la croissance des flux au départ de Chine vers l’Europe, qui progressent de 130,8% pour atteindre 330 704 EVP. Car à l’inverse, de l’Europe vers la Chine, les volumes ont chuté de 26,7%, s’élevant à 49730 EVP. Il s’agit du plus faible score depuis 2017.
Graphique 1 - Source des données : ERAI
Cette évolution reflète la trajectoire du commerce extérieur entre la Chine et l’Union européenne. Selon les statistiques préliminaires des douanes chinoises, les exportations de la Chine vers l’UE, exprimées en valeur, sont reparties à la hausse en 2024. Elles s’élèvent à 516,5 milliards de dollars, en croissance de 3% par rapport à l’année précédente. À l’inverse, les importations chinoises en provenance de l’UE accusent un repli de 4,4 %, s’établissant ainsi à 269,4 milliards de dollars. Il faut remonter à 2020, l’année de l’épidémie de Covid, pour trouver un niveau plus bas.
Graphique 2 - Source des données : Douanes chinoises
Les caractéristiques du trafic ferroviaire Est-Ouest
Durant l’année 2024, les taux de fret sont repartis à la hausse sur les lignes maritimes conteneurisées entre l’Asie et l’Europe, en raison des perturbations créées par les attaques des rebelles houthis du Yémen en mer Rouge. Cela a permis au fret ferroviaire de regagner en compétitivité.
Graphique 3 - Source : Upply Freight Index
Dans le sens Chine-UE, la Pologne est depuis 2020 la porte d’entrée dominante devant l’Allemagne pour le fret ferroviaire, et son poids ne cesse de se renforcer. En 2024, 292 950 EVP sont entrés via la Pologne, soit 88,6% des flux totaux. Cela représente un bond de 149% par rapport à 2023, après deux ans de déclin liés au ralentissement de la demande et surtout au déclenchement de la guerre en Ukraine, qui a perturbé les opérations.
Les flux ferroviaires Chine-Allemagne ont également renoué avec la croissance, mais restent à un niveau historiquement bas de 23 790 EVP. L’axe Chine-Belgique arrive en troisième position, loin derrière, avec 7 900 EVP (+7,8%), tandis que la Hongrie, au 4è rang avec 4 046 EVP, affiche un trafic stable malgré un premier semestre dynamique.
Graphique 4 - Source des données : ERAI
L’analyse détaillée par type de produit montre que le trafic progresse quasiment sur tous les segments dans le sens Est-Ouest. Les machines et les appareils mécaniques et électriques (codes HS 84 et 85) dominent le marché puisqu’ils représentent 30% des volumes si l’on cumule les résultats des deux catégories. Mais 2024 se caractérise aussi par une forte croissance sur le segment des véhicules (+192% à 31304 EVP pour les produits correspondant au code SH 87), ou encore des meubles, literie et appareils d’éclairage (code HS 94), en augmentation de 182,7%. Enfin, si l’on cumule les chiffres dans le secteur des vêtements, textiles et chaussures (codes SH 60, 61, 62, 63, 64), on constate que ce type de produits arrive en 3è position après les machines et les véhicules avec un total de 31108 EVP et une croissance de 268,4% en glissement annuel.
Graphique 6 - Source des données : ERAI
Les caractéristiques du trafic ferroviaire Est-Ouest
Dans une analyse portant sur les résultats économiques de la Chine au troisième trimestre 2024, publiée le 8 janvier dernier, la Direction générale du trésor française notait "un accroissement de la divergence entre production et consommation". La consommation reste faible conjoncturellement (+3,3 % sur les trois premiers trimestre) et structurellement (32 % du PIB), précise la note. Dans le sens UE-Chine, cette situation pèse incontestablement sur les volumes de fret ferroviaire qui sont au plus bas, souffrant de la contraction de la demande en Chine.
Sur cet axe, les flux Allemagne-Chine sont largement dominant mais perdent du terrain, leur part passant de 86% du total en 2023 à 78,6% en 2024. Les volumes ont chuté de 33% à 39079 EVP, soit le même niveau qu’en 2017. Sur la route Pologne-Chine, ils ont augmenté de 24,3% en 2024 en glissement annuel, atteignant 8626 EVP, mais ils se situent bien en-dessous du niveau de 2017.
Autrement dit, dans le sens UE-Chine, on ne constate pas de véritable appétence pour les services ferroviaires. L’ascension de 2020-2021 était très liée à des facteurs exceptionnels, à savoir la crise du Covid-19 et les perturbations du transport maritime, marqué alors par des difficultés d’accès aux capacités et une flambée des prix.
Graphique 7 - Source des données : ERAI
L’analyse par type de produits montre une chute drastique des flux de véhicules et pièces associées (code HS 87). Cette catégorie reste la plus importante dans le sens Ouest-Est, mais accuse une baisse de 41,7% à 8579 EVP. La dégringolade est encore plus flagrante pour les machines (code HS 84) et les équipements électriques (code HS 85), avec une baisse qui dépasse les 70% dans les deux cas. La baisse de la demande sur ces segments de produits a particulièrement touché l’Allemagne.
Perspectives
Le fret ferroviaire Chine-UE devrait rester confronté à des vents contraires en 2025. D’une part, le conflit entre la Russie et l’Ukraine persiste, ce qui crée des incertitudes et ne permet pas le plein déploiement des projets. D’autre part, la demande en Chine devrait rester modérée, ce qui pèsera sur les flux dans le sens Ouest-Est. Dans l’autre sens, les ambitions de la Chine sur le marché européen, notamment dans le secteur automobile, pourraient constituer un facteur favorable au développement des flux. Cela est d’autant plus vrai que, si l’administration Trump met en place les tarifs douaniers annoncés sur les produits chinois, la Chine aura plus que jamais la nécessité de se tourner vers d’autres marché, et notamment l’Europe.
Cependant, il n’est pas certain que cela bénéficie dans de larges proportions au fret ferroviaire. En effet, alors même que le conflit en mer Rouge n’a pas cessé en 2024, les taux de fret ont globalement baissé au second semestre au fur et à mesure que le passage des navires par le cap de Bonne-Espérance devenait la nouvelle norme. Il y a bien eu une petite surchauffe en fin d’année, mais celle-ci est restée modérée et elle n’a pas duré. L’accord de cessez-le-feu conclu mi-janvier entre Israël et le Hamas peut ouvrir la voie à une nouvelle baisse des prix du transport maritime sur l’axe Asie-Europe, qui saperait encore un peu plus la compétitivité du fret ferroviaire. Quelques jours après la conclusion de cet accord, les Houthis ont eux-mêmes annoncé une trêve dans les attaques contre les navires et le 22 janvier, ils ont libéré l’équipage du Galaxy Leader, retenu en otage depuis plus d’un an.
Le cessez-le-feu est extrêmement fragile, et les attaques peuvent donc reprendre à tout moment. La compagnie maritime MSC a d’ailleurs fait savoir le 21 janvier qu’en l’état actuel des choses, ses navires continueront à passer par le cap de Bonne-Espérance. Cependant, si le processus d’apaisement se confirme, permettant à nouveau le passage des navires par le canal de Suez, cela risque de faire baisser significativement les taux de fret maritime, car le rallongement des routes maritimes avait en partie permis d’absorber une surcapacité qui promet d’être massive si la situation se normalise. Les exportations chinoises pourront alors compter sur un transport maritime peu cher, et un accès aux capacité fluide. Pour l’instant, le fret ferroviaire entre la Chine et l’UE reste un outil perfectible, d’un point de vue à la fois opérationnel et tarifaire.
Cependant, la stratégie de la Chine dans le domaine du fret ferroviaire ne se limite évidemment pas aux échanges avec l’Union européenne. Globalement, le China Railway Express, qui inclut les flux vers la Russie et vers des pays d’Europe hors UE, a acheminé l’an dernier 2,08 millions d’EVP (+9,2%), dont 1,14 million dans le sens Est-Ouest (+12,9%) et 935 780 EVP dans l’autre sens (+5%). Le nombre de voyages a également progressé avec un total de 19 392 trains (+10,7%), dont 10 546 dans le sens Chine-Europe et 8 846 dans le sens Europe-Chine (+8,1%).