Analyse Transport & Logistique

L’érosion post-Brexit du trafic des ports britanniques

21 mai 2025

DOSSIER 5/5. Les ports britanniques ont traité 422,8 millions de tonnes de marchandises en 2024. L’industrie portuaire britannique se place ainsi parmi les plus importantes d’Europe, mais elle a perdu du terrain depuis le Brexit.

Le Royaume-Uni compte 51 ports majeurs, qui s’étendent de Douvres, dans le sud-est du pays, jusqu’à l’Irlande du Nord avec Belfast. Cet écosystème portuaire a traité 422,8 millions de tonnes (Mt) en 2024, ce qui représente une érosion de 0,7% par rapport à 2023. Par rapport à 2019, dernière année entière avant le Brexit, le repli s’élève à 10,4%, avec un trafic global qui atteignait cette année-là 471,7 Mt. Si l’on remonte encore un peu plus dans le temps, on constate que le trafic portuaire britannique atteignait même les 500 Mt en 2012.

Trafic global

La baisse constatée ces dernières années est attribuée à la conjonction du Brexit et d’une économie en panne. En 2020, première année du Brexit, le trafic a chuté brutalement, perdant 9% à 428,9 Mt. La sortie de l’Union européenne n’est sans doute pas seule en cause : cette année-là a également été marquée par l’épidémie de Covid-19. Cependant, le trafic global n’a jamais retrouvé son niveau pré-Brexit ou pré-Covid.

Trois ports génèrent à eux seuls 30% du trafic total, avec 130,7 Mt : Londres, Grimsby & Immingham et Southampton. Le port de Londres conserve sa pole position depuis le début de la décennie. Il a progressé de 0,5% en 2024 pour atteindre 51,8 Mt, mais reste encore loin de son niveau de 2019 (-4%). Numéro 2 sur le podium, l’ensemble portuaire de Grimsby & Immingham souffre davantage que le leader britannique, avec un repli de 0,7% par rapport à 2023 et de 10,9% par rapport à 2019, qui l’amène à 45,6 Mt. Les deux premiers ports britanniques réalisent donc un trafic qui se situent dans le même ordre de grandeur que le numéro 3 français, le grand port maritime de Dunkerque. Le tiercé de tête britannique inclut enfin le port de Southampton, dans le sud du pays, qui présente la particularité d’avoir résisté à l’effet Brexit avec un trafic sensiblement stable par rapport à 2019.

Trafic de conteneurs

Le trafic conteneurisé britannique suit le mouvement général. En 2023[1], le Royaume-Uni a traité 9,08 MEVP, soit un recul de 6% par rapport à 2022 et de 12,9% par rapport à 2019. Dès 2020, l’effet Brexit cumulé à l’effet Covid a eu un impact de taille avec une diminution de 6,8% en un an. Le rebond de 2021 n’a pas suffi. Depuis, chaque année, les ports britanniques perdent environ 6% de leur volume.

Trois ports réalisent un trafic supérieur au million d’EVP : Felixstowe, Southampton et Londres. Le premier domine largement avec 3 millions d’EVP, tandis que les deux autres sont au coude à coude autour de 1,7 MEVP. Ce trio de tête consolide 75% des trafics conteneurisés du pays, les 25% restants se répartissant dans 11 autres ports. Pour mémoire en 2019, ils étaient au nombre de 12 à traiter des trafics conteneurs. En cinq ans, Warren Point, situé en Irlande du Nord, a vu ses flux conteneurisés disparaître.

  • Les principaux pays partenaires

Les trois premiers ports à conteneurs britanniques présentent des profils différents en termes de répartition géographique des trafics. L’Asie domine pour Felixstowe et Southampton puisqu’elle représente 76% des trafics pour le premier, soit 2,4 MEVP en 2023, et 65% pour le second, soit 1,1 MEVP. Pour Londres, cette part se limite à 29%, soit 471 608 EVP. Felixstowe affiche en revanche un trafic assez marginal avec le continent américain, puisqu’il ne s’élève qu’à 13 135 EVP (0,4%). C’est dans le port de Southampton que le continent américain pèse le plus avec 16,9% des volumes, soit 297 031 EVP, juste devant Londres (16,2% à 263 894 EVP).

L’Union européenne occupe également une place significative dans les trafics des ports britanniques. À Londres, les volumes traités avec l’UE arrivent en tête et représentent plus du tiers avec 602 297 EVP. Pour le port de Felixstowe, il s’agit du 2è courant de trafic avec 412 215 EVP. Toutefois, ces deux ports ont enregistré des baisses importantes en 2023 par rapport à l’année précédente : - 8,4% à Londres et -23,2% à Felixstowe. Enfin, à Southampton, l’UE se positionne derrière l’Asie et le continent américain dans les courants trafics avec 239 488 EVP (+2% par rapport à 2023). La catégorie "autres pays européens", qui inclut les pays de la côte septentrionale de l’Afrique et de l’est de la Méditerranée, pèse environ 10% du trafic pour chacun des ports.

Enfin, le Royaume-Uni ne semble pas avoir conservé des liens commerciaux importants avec ses anciennes colonies intégrées dans le Commonwealth. L’Australasie et l’Afrique ne dépassent pas les 2% de volumes conteneurisés des trois premiers ports. Le Royaume-Uni échange plutôt des marchandises en vrac avec ces pays.

  • Les principaux manutentionnaires portuaires

Les terminaux à conteneurs britanniques sont concédés à des sociétés privées, britanniques ou internationales. Les terminaux du premier port à conteneurs, Felixstowe, sont entre les mains du groupe chinois CK Hutchison Ports. Avec 3,2 MEVP traités en 2023, le groupe chinois se place en première position sur le marché britannique. Il devance une société anglaise, AB Ports (Associated British Ports), qui gère 21 ports en Grande-Bretagne et en Irlande. Ce groupe annonce un volume de 3,1 MEVP traités chaque année. Des trafics qui se concentrent principalement dans les ports de Southampton, Grimsby & Immingham et Hull.

Les autres sociétés concessionnaires de terminaux en Grande-Bretagne ne publient pas de chiffres de volumes. Cependant, en recoupant les données des ports et les chiffres financiers, il semble que le troisième groupe gestionnaire de terminaux à conteneurs soit Peel Ports. Cette société, basée en Écosse, dispose d’un portefeuille de plusieurs ports outre-Manche. Elle est notamment présente dans le port de Londres, via le terminal London Medway, et dans celui de Liverpool. Le premier terminal a été repris à la société Medway Dock and Harbours Company en 2021. Il est l’un des trois terminaux du port de la capitale. Quant à Liverpool, Peel Ports a participé à la construction du deuxième terminal de la cité des Beatles. Les opérations de gestion quotidienne de ce terminal, qui a traité 672 852 EVP en 2023, sont assurées par la filiale de manutention de l’armement MSC, Terminal Investment Limited (TIL). Si l’on ajoute à cela l’implantation à Clyde Port, le groupe totalise un volume d’environ 750 000 EVP. La société Peel Ports a cédé une partie de son capital (31%) à Global Infrastructure Partners, détenu par le fonds d’investissement Blackrock. Ainsi, si la cession des ports de Hutchison Ports se réalise au profit de Blackrock et TIL, le groupe pourrait voir la gestion du terminal de Felixstowe atterrir dans son giron.

Le groupe émirati DP World est également présent dans les terminaux à conteneurs britanniques. Il détient le terminal de Southampton en partenariat avec AB Ports. Il est aussi concessionnaire du London Gateway, le principal terminal à conteneurs de la capitale. Le groupe Forth Ports détient des parts dans la concession du London Container Terminal de Tilbury et à Grangemouth, en Écosse. Enfin, parmi les principaux concessionnaires de terminaux se trouvent aussi PD Ports et Irish Continental Group (IC Group). Le premier est l’opérateur du terminal à conteneurs de Tees & Hartlepool. Situé dans le Nord-Est de l’Angleterre, cet ensemble est principalement actif sur les projets de l’offshore. Il a traité 312865 EVP en 2023. Quant à IC Group, il est présent dans le seul terminal à conteneurs d’Irlande du Nord, à Belfast. Le groupe est d’abord connu dans le monde des transports par sa compagnie ferry, Irish Ferries. Cependant, il a aussi une activité dans le fret par sa compagnie maritime Eucon et les deux terminaux : le terminal à conteneurs de Belfast et le terminal ferry de Dublin. Selon le rapport annuel du groupe, qui consolide l’activité de ces deux terminaux, 339 400 EVP ont été traités en 2024, soit 8,6% de plus qu’en 2023.

  • Une stratégie de "porte de l’Europe" difficile à concrétiser

L’un des avantages brandis par les partisans du Brexit était sans conteste la possibilité de s’affranchir de certaines règles contraignantes qui s’imposaient à tous les pays de l’Union européenne. Cet atout d’être aux portes de l’Europe sans en être membre a amené le gouvernement à proposer la création de "Freeports". Présentée en mars 2021, cette politique vise à créer des plates-formes logistiques et industrielles bénéficiant d’exemption de droits de douane, en connexion avec les principales portes d’entrée et de sortie du Royaume-Uni, à savoir les ports et les aéroports. Une douzaine de sites ont été retenus. Selon le gouvernement, les projets avancent. Cependant, ces zones peinent à voir des groupes logistiques et des industriels s’implanter localement, à quelques exceptions près.

Les ports britanniques pouvaient aussi espérer tirer parti de l’intégration du transport maritime dans le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne, à compter du 1er janvier 2024. Lee transbordement d’un conteneur dans un port britannique permet de réduire la facture par rapport à une liaison directe vers un port de l’Union européenne, puisque seul le dernier tronçon est alors pris en compte dans le calcul des émissions. Pourtant, aucun détournement massif de trafic n’a été constaté.

Le statut des ports britanniques

Au Royaume-Uni, les ports se répartissent en trois catégories : les ports privés, les Trust Ports et les ports municipaux. Les premiers sont nés en 1983, quand la Première ministre de l’époque, Margaret Thatcher, a lancé la plus grande opération de privatisation portuaire en Europe. Le British Transport Docks Board (BTDB), qui gérait les ports britanniques, est devenu a été renommé Associated British Ports (ABP) en 1982 et privatisé l’année suivante. Depuis lors, les nouveaux terminaux ont fait l’objet d’appels d’offres remportés par des sociétés privées britanniques ou étrangères.

La deuxième catégorie, les Trust Ports, rassemble une centaine d’établissements, qui sont dirigés par un comité nommé par les membres du Parlement. Il s’agit généralement de ports avec de petits volumes mais il existe des exceptions puisque le port de Douvres, le port de Londres, Milford Haven ou encore le port de Belfast relèvent de cette catégorie. À la différence de ce qui se passe dans les ports privés, les dividendes tirés de l’exploitation ne sont pas redistribués mais sont intégrés dans les finances du port. Ce statut de Trust Ports est régulièrement remis en cause par les gouvernements britanniques. Certains souhaitent privatiser ces ports comme l’ont été les autres en 1983, quand d’autres plaident pour une adaptation du statut.

Enfin, la troisième catégorie de ports concerne les établissements sous la direction d’autorités locales comme les communes ou les régions. Ils sont généralement des ports plutôt tournés vers la plaisance ou la pêche. Cependant, parmi les ports gérés par les communes se trouvent les terminaux pétroliers d’Orkney et des Shetlands.


[1] Le détail des résultats pour 2024 ne sera disponible qu’en juillet 2025.

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De formation juridique, Hervé Deiss a rejoint la presse spécialisée transport, logistique et maritime depuis plus de 20 ans. Il s’est affirmé au cours de ces dernières années, comme un expert des systèmes portuaires du monde entier.
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