L’organisation européenne Transport & Environment (T&E) vient de publier une étude consacrée à la proposition de règlement "FuelEU Maritime", présentée par la Commission en juillet 2021. Le moins que l’on puisse dire est que son diagnostic n’est pas tendre. "Les politiques de l'UE visant à assainir le transport maritime conduiront au remplacement des combustibles maritimes classiques par du gaz naturel liquide (GNL) fossile, avec peu d'avantages pour le climat", affirme T&E.
La législation proposée repose sur une limitation de l’intensité des émissions de gaz à effet de serre. Elle se traduirait par un pourcentage de réduction de plus en plus important par rapport à une valeur de référence entre 2025 et 2050, en passant par une série d’étapes intermédiaires tous les 5 ans.
Selon T&E, dans l'état actuel de la proposition, les navires ne seront peu ou pas du tout incités à adopter des solutions plus durables telles que l'hydrogène vert ou les carburants à base d'hydrogène connus sous le nom de "e-carburants". T&E préconise de rendre obligatoire un objectif de 6% d'e-carburants pour le transport maritime d'ici 2030, estimant que "c'est le moyen le plus simple de garantir l'offre et la demande de carburants durables, tout en offrant une prévisibilité commerciale aux compagnies maritimes et aux fournisseurs de carburant".
Les choses ne sont pourtant pas si simples. L’industrie du transport maritime n’a pas attendu la prise de conscience des opinions publiques pour se saisir de la question environnementale. L’IMO 2020 fut le premier jalon réussi de la baisse des émissions, alors que les compagnies maritimes étaient à l’époque en proie à de graves difficultés financières. Les comptes se sont aujourd’hui redressés rapidement et dans des proportions spectaculaires, et l’on peut dire que les compagnies jouent le jeu en accélérant leurs investissements en matière de transition énergétique.
L’étude de T&E semble ignorer une réalité fondamentale du secteur : il n’existe tout simplement pas d’alternatives immédiates au moteur à combustion interne à l’heure actuelle. La profession ne peut donc travailler que sur une amélioration des émissions sous des formes hybrides de type "flex fuel", avec dans certains cas un renfort de propulsion vélique.
La panacée de l’hydrogène vert est certes "la" solution qui pourrait cocher toutes les cases... mais nous en sommes encore aux balbutiements techniques, et il est illusoire de croire que des grands navires marchands utilisant ce type de propulsion pourront être déployés avant 15 à 20 ans. Sans compter qu’il faudrait s’assurer que cet hydrogène ne soit pas produit à partir d’énergie fossile, sauf à déplacer le problème. T&E, dans son étude, prend d’ailleurs la précaution de préciser que l’origine des e-carburants doit faire l’objet de règles strictes.
La seule technologie zéro émission véritablement éprouvée et utilisable à court terme pour de la navigation au long cours serait le nucléaire, mais ce n’est pas une option mentionnée par T&E.
Le transport maritime représente 3% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, et 90% des échanges internationaux. En Europe, il s’agit d’un maillon essentiel du système de transport puisqu’il contribue à environ 75% du volume des échanges extérieurs de l’Union européenne et 31% du volume de ses échanges intérieurs. À l’heure où il fait des efforts sincères pour limiter son empreinte, il mérite donc sans doute mieux qu’une radicalité excessive, qui serait avant tout une menace pour la croissance européenne.
Tout le monde ou presque s’accorde aujourd’hui sur la nécessité de la transition énergétique, pour des raisons écologiques mais aussi économiques. Mais en l’occurrence, l’idéologie sous-jacente nous éloigne du problème de fond qui n’est pas politique mais technique !