Market Insights

Perspectives économiques : une amélioration sous tension

Rédigé par Anne Kerriou | 10 septembre 2024

Les prévisions de croissance pour 2024 et 2025 laissent entrevoir une légère amélioration de l’économie mondiale. Mais les performances restent inférieures à celles de la période pré-pandémique et les tensions géopolitiques ne faiblissent pas.

Après le fort rebond post-pandémique, l’économie mondiale a connu en 2022 et 2023 un ralentissement brutal de la croissance. La situation semble désormais se stabiliser. Néanmoins, la croissance reste très inégale selon les pays et la maîtrise de l’inflation reste fragile. D’autre part, les tensions géopolitiques ont tendance à s’accroître, alors même qu’elles ont une influence de plus en plus importante sur l’organisation des supply chains.

Des prévisions de croissance en légère amélioration

À l’occasion de l’actualisation de ses prévisions économiques en juin dernier, la Banque mondiale a légèrement revu à la hausse la croissance attendue pour l’année en cours. Le PIB mondial devrait progresser de 2,6% en 2024, ce qui mettrait un terme à trois ans d’érosion de la croissance. La Banque mondiale souligne néanmoins que ce chiffre reste "bien en-deçà de la moyenne de 3,1% enregistrée au cours de la décennie précédant la pandémie de Covid-19". En 2025 et 2026, le taux de croissance devrait rester assez stable, à +2,7%.

Le FMI, l’OCDE et la Banque centrale européenne se montrent un peu plus optimistes, avec une progression dépassant les 3% en 2024 et 2025.

*Estimation ; **Prévisions – Source des données : Banque mondiale, juin 2023.

  • Les économies avancées

L’estimation de croissance du PIB dans les économies avancées passe de +1,2% à +1,5% pour 2024, et de 1,6% à 1,7% pour 2025, selon les données de la Banque mondiale. Les États-Unis conservent un rôle moteur, avec une augmentation du PIB évaluée à 2,5% en 2024 (comme en 2023, puis à 1,8% les deux années suivantes. Dans le même temps, la zone Euro devra se contenter de 0,7% de hausse en 2024, puis 1,4% et 1% en 2025 et 2026. Ces prévisions sont à peu près en lignes avec celles publiée en mai par la Commission européenne, qui font état d’une hausse de 0,8% en 2024 et de 1,4% en 2025. Le Japon devrait faire jeu égal avec la zone Euro en 2024 puis progresser moins vite les deux années suivantes (+1% en 2024 et +0,9% en 2026).

  • Les économies de marché émergentes et en développement

Dans l'ensemble des économies en développement, la croissance devrait décélérer légèrement par rapport à 2023, pour s’établir en moyenne à 4 % en 2024-2025. "Elle devrait s’accélérer dans les pays à faible revenu, pour atteindre 5% en 2024, contre 3,8% en 2023. Dans 75% d'entre eux, toutefois, les perspectives de croissance pour 2024 ont été revues à la baisse par rapport aux prévisions établies en janvier", précise la Banque mondiale.

Scrutée par tous les observateurs tant elle est déterminante pour la santé mondiale, la croissance chinoise devrait être légèrement supérieure à la moyenne des pays émergents et en développement, avec une progression du PIB qui devrait s’établir à 4,8% en 2024, avant de ralentir pour atteindre 4,1% en 2025 et 4,0% en 2026. Trois autres pays d’Asie devraient se distinguer par une croissance nettement supérieure à la moyenne mondiale au cours de cette période 2024-2026 : l’Inde, le Bangladesh et l’Indonésie.

 

**Prévisions – Source des données : Banque mondiale

Une inflation qui peine à atteindre le seuil des 2%

Selon la Banque mondiale, l’inflation suit une tendance favorable puisqu’elle devrait tomber à 3,5% en 2024, puis 2,9% en 2025. Cependant, dans les économies occidentales et en particulier aux États-Unis, atteindre le seuil cible des 2% d’inflation annuelle semble particulièrement laborieux. Les estimations de baisse de la Banque mondiale sont d’ailleurs inférieures aux projections établies il y a six mois, ce qui devrait conduire nombre de banques centrales à faire preuve de prudence dans l’abaissement des taux directeurs. "Les taux d’intérêt mondiaux devraient rester élevés au regard des tendances récentes, pour s’établir autour de 4% sur la période 2025-2026, soit environ le double des taux moyens enregistrés entre 2000 et 2019", prévient la Banque mondiale. "L’inflation des prix des services freine les progrès de la désinflation, ce qui complique un retour à la normale de la politique monétaire", confirme le FMI.

À l’inverse, en Chine, la faible inflation est le reflet de difficultés économiques qui incitent les ménages à épargner, conduisant à un affaiblissement de la demande.

Sources des données : Eurostat, US Labour Department, National Bureau of Statistics of China

Des perspectives "prudemment optimistes" pour le commerce mondial

Selon le Global Trade Update publié par ONU commerce et développement (CNUCED) le 2 juillet dernier, le commerce mondial a poursuivi au premier trimestre 2024 la croissance amorcée au second semestre 2023. La valeur des échanges de biens a augmenté d'environ 1 % en glissement trimestriel et celle des échanges de services d'environ 1,5 %, les estimations faisant état d’une croissance de 2% pour chacun de ces segments au 2è trimestre. Le rapport indique que si les tendances positives persistent, le commerce mondial en 2024 pourrait atteindre près de 32 000 milliards de dollars, mais il est peu probable qu'il dépasse le niveau record enregistré en 2022.

Q1 et Q2 2024 : estimations - Source : ONU commerce et développement.

La tendance à la hausse du premier trimestre 2024 a été alimentée par une dynamique commerciale positive, mais inégale. La croissance est principalement due à l’augmentation des exportations de la Chine (+9% en glissement trimestriel), de l’Inde (+7%) et des États-Unis (+3%), alors que les exportations de l’Europe ont stagné et que celles de l’Afrique ont diminué de 5%. La croissance se révèle donc variable géographiquement, mais aussi par type de produits. La Cnuced note un regain d’intérêt pour les produits liés à la transition énergétique et à l’intelligence artificielle. "La demande dans certains secteurs tels que les véhicules électriques, les panneaux solaires, les batteries et les semi-conducteurs haut de gamme devrait continuer à augmenter dans de nombreux pays", et "le commerce de ces produits pourrait continuer à croître nettement plus vite que la moyenne", estime le rapport, tout en soulignant que que les politiques gouvernementales pourraient freiner certaines de ces tendances.

Globalement, sur l’ensemble de l’année 2024, le commerce mondial devrait renouer avec la croissance après le trou d’air de 2023, et le rebond enregistré dans les services devrait s’amoindrir.

Un environnement conflictuel aux effets durables

Pandémie de Covid-19 en 2020, déclenchement de la guerre Russie-Ukraine en 2022, résurgence du conflit israélo-palestinien en 2023 : trois chocs majeurs ont ébranlé le monde en 4 ans, avec à chaque fois des conséquences importantes sur l’organisation des chaînes logistiques. Ces événements ont replacé au centre du jeu les questions de souveraineté et d’indépendance stratégique, amenant les États à développer de nouvelles politiques publiques qui ont un impact sur les flux de transport.

"Les risques géopolitiques accrus, la nécessité d'une transition énergétique vers les sources renouvelables et les avancées technologiques significatives en matière de puissance de calcul et d'intelligence artificielle (IA) ont conduit à une augmentation des interventions des États dans l'économie. Des politiques telles que l'Inflation Reduction Act des États-Unis, l'initiative Made in China 2025 et la Net Zero Industry Act de l'Union européenne sont largement motivées par des considérations stratégiques liées à l'évolution rapide du paysage environnemental, technologique et géopolitique", souligne la Cnuced.

Pour diminuer leur vulnérabilité, les États et les entreprises ont tout d’abord cherché à diversifier leurs sources d’approvisionnement. Cela peut passer par une relocalisation d’une partie de la production dans des pays plus proches des lieux des consommation finale (nearshoring) et/ou dans des pays "amis" (friendshoring). Ce mouvement entraîne des modifications substantielles des échanges, même s’il s’agit nécessairement d’un processus assez long compte tenu des imbrications et de la complexité des chaînes logistiques. L’évolution des tendances en matière d’interdépendance commerciale des États illustre bien les mouvements en cours.

Source : Estimations de la Cnuced basées sur les statistiques nationales - Note : la dépendance d'une économie vis-à-vis d'une autre est calculée comme le ratio de leur commerce bilatéral par rapport au commerce total de l'économie dépendante. La variation annuelle est calculée en utilisant la moyenne pondérée des échanges durant les quatre derniers trimestres. Les données pour la Fédération de Russie incluent des estimations.

"Les interventions politiques actuellement mises en œuvre ou envisagées par de nombreux gouvernements prennent la forme d'une politique industrielle. D'un point de vue commercial, la politique industrielle cherche généralement à remplacer les importations en soutenant les producteurs nationaux, en imposant des restrictions au commerce et en facilitant les consolidations verticales. Ces types d'interventions ont généralement un effet négatif sur le commerce", souligne le rapport de la Cnuced. En conséquence, l’organisation internationale estime que les perspectives du commerce mondial pour 2024 restent soumises à des risques de baisse.

Elle pointe aussi un risque significatif d’augmentation du protectionnisme, des coûts commerciaux et de l'incertitude. "Les actions unilatérales sous forme de politiques industrielles faussent souvent les échanges. En conséquence, les partenaires commerciaux peuvent réagir en imposant des restrictions commerciales et en déclenchant éventuellement des mesures de rétorsion qui sapent le système commercial mondial fondé sur des règles. L'affaiblissement des règles du commerce international accroît l'incertitude dans les transactions transfrontalières, complexifie les stratégies commerciales, rend difficile la prévision des coûts et des prix et, en fin de compte, augmente les coûts d'expansion sur de nouveaux marchés pour de nombreuses entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises", estime la Cnuced. Incontestablement, ce scénario a pourtant gagné du terrain ces derniers mois, avec un accroissement annoncé des droits de douane sur certains produits. 

Des prix de transport à la merci des aléas géopolitiques

Plus que jamais, dans le transport international de marchandises, la volatilité de taux de fret est extrêmement corrélée aux aléas géopolitiques. Alors que les compagnies maritimes s’apprêtaient à traverser une nouvelle tempête financière, sous l’effet conjugué d’un ralentissement de la demande et d’une arrivée massive de capacité, la situation en mer Rouge a renversé la tendance et fait remonter les taux de fret, en particulier sur l’axe Asie-Europe. Les compagnies maritimes devraient ainsi sauver leur rentabilité en 2024, voire même l’améliorer légèrement. Ce mouvement n’a cependant rien à voir avec le rebond post Covid, qui était véritablement stimulé par la demande et non pas des difficultés opérationnelles. Dans le cas présent, les compagnies maritimes vivent parallèlement un alourdissement net de leurs charges d’exploitation, ce qui laisse présager une saison d’appel d’offre tendue. Elles vont nécessairement amorcer les négociations avec les chargeurs sur des bases nettement supérieures à celles de 2023.  

Dans le transport de fret aérien, les aléas du maritime, auxquels s’ajoute opportunément une progression du e-commerce transfrontalier qui dope la demande, ont permis de poursuivre en douceur l’atterrissage des taux de fret, qui avaient eux-aussi fortement augmenté lors du rebond post-Covid. Globalement, les prix sont plutôt orientés à la baisse par rapport à 2023, mais l’année est meilleure que prévue pour les compagnies aériennes. Elles devraient profiter d’une haute saison assez dynamique, là encore nourrie par les perturbations en mer Rouge qui affectent la fiabilité du transport maritime.

Structurellement moins volatil, le transport routier de marchandises vit une période difficile. Alors que la demande s’affaiblissait, les taux spot sont nettement redescendus en 2023, et la légère amélioration constatée au 2è trimestre 2024 demande à être confirmée. Le marasme se lit aussi dans les taux de fret contractuels, en repli depuis le début de l’année, malgré des charges d’exploitation globalement en hausse pour les transporteurs routiers. Le nombre de défaillances d’entreprise est d’ailleurs en forte hausse. 

Conclusion

À mi-année, on constate que l’économie mondiale se stabilise, après avoir fortement ralenti après le rebond post-Covid. Parallèlement, on assiste à l’émergence tangible d’une nouvelle organisation mondiale des flux, guidée par une volonté des États et des entreprises de réduire leur vulnérabilité. Mais ce nouvel environnement est encore très mouvant, ce qui complique l’élaboration des stratégies à mettre en place pour s’y adapter, tant du côté des chargeurs que du côté des transporteurs.