Analyse Transport & Logistique - Commerce international

Quelles leçons tirer des investissements chinois dans les ports EU ?

07 mai 2019

Avec sa stratégie d’investissement en Europe, et l’annonce récente de la participation de l’Italie à la Nouvelle Route de la Soie, la Chine est l’objet de nombreuses discussions. Depuis 2013, le pays a fait l’acquisition de parts dans 14 ports européens (sans compter les ports avec lesquels elle a signé des protocoles d’accord). Alors qu’il continue d’y avoir débat sur les motivations de cette stratégie, cet article cherche surtout à savoir si les flux des échanges entre l’Europe et la Chine suivent les tendances des investissements chinois.

Depuis 2013, la Chine a acheté des parts dans 14 ports en Europe, sans compter les ports avec lesquelles elle a signé des protocoles d’accord (voir le tableau à la fin de cet article). Les investisseurs principaux sont COSCO Shipping Ports et China Merchants Port, deux entreprises publiques chinoises. China Merchants Port, une filiale the China Merchants Group, a fait l’acquisition de parts dans des ports en France (4), en Belgique (1), en Grèce (1) et à Malte (1), en rachetant 49% de l’entreprise Terminal Link (Groupe CMA CGM) en 2013. COSCO a investi dans 8 ports en Europe, dont 5 se trouvent sur la Méditerranée, et 3 sur la mer du Nord.

À l’exception des terminaux Euromax à Rotterdam et Gateway à Anvers, la Chine a principalement investi dans des ports de taille moyenne, avec pour objectif de les transformer en portes d’entrée commerciales importantes. Le cas le plus connu est celui du Pirée en Grèce, qui, depuis 2017, est le 7e plus gros port en Europe en termes de trafic. En faisant abstraction des nombreux débats au sujet de ces acquisitions, cet article pose une question de fond : les flux commerciaux chinois suivent-ils le rythme des prises de participation ? Cette question mérite d’être soulevée car le but de la Chine est de construire un réseau mondial de transport pour optimiser la chaîne logistique et booster le commerce international.

Des résultats mitigés

Les résultats trimestriels de transport de biens depuis/vers la Chine dans ces ports sont mitigés. Bien qu’il y ait une augmentation globale du volume de marchandises envoyées depuis/vers la Chine, on remarque surtout une augmentation importante de l’import depuis la Chine vers l’Europe, et un volume fluctuant, et légèrement en baisse pour les exportations vers la Chine (Figure 1). Ces résultats sont identiques aux tendances globales des échanges entre l’Union européenne et la Chine. L’augmentation provient principalement de trois ports : Le Pirée, Anvers et Rotterdam. Mais pour certains des ports acquis récemment par la Chine, il semble être trop tôt pour évaluer l’impact des investissements sur les échanges. À Zeebrugge, où COSCO a fait l’acquisition en septembre 2017 de 85% de APM Terminals, on a pu constater une augmentation importante des volumes d’échanges au cours des 2e et 3e trimestres de 2018. Néanmoins, cette croissance provient principalement d’échanges avec la Russie et le Brésil. La Chine n’est que le 3e plus gros contributeur de cette tendance à la hausse.

 Figure 1 : Trafic trimestriel des principaux ports européens (en milliers de tonnes) depuis/vers la Chine (2010-2018)

La Chine a investi dans des terminaux de deux des ports du Top 3 européen : Rotterdam et Anvers. Ces deux ports ont connu une augmentation plus importante de leurs échanges avec la Chine que le port d’Hambourg (figure 2), troisième de ce top 3, bien qu’ils disposent tous les trois de bonnes connexions ferroviaires. Par ailleurs, depuis 2013, le volume des marchandises envoyées en Europe depuis la Chine via Rotterdam a largement augmenté. À titre de comparaison, le volume des marchandises transportées depuis/vers la Chine via Hambourg a stagné. 

Figure2

Figure 2 : Trafic trimestriel des trois premiers ports européens (en milliers de tonnes) depuis/vers la Chine (2010-2018), source : Eurostat

Le Pirée, seul exemple de réussite

Les chiffres montrent que les échanges avec la Chine transitent principalement par les trois ports européens les plus importants, et n’irriguent pas de façon égale les autres terminaux bénéficiant d’investissements chinois. Le Pirée, dont le volume des échanges a largement augmenté, semble, jusqu’à présent, être le seul exemple de réussite des investissements chinois en Europe. La Chine est-elle en mesure de reproduire ce succès dans d’autres ports comme elle le souhaite ? À Zeebrugge par exemple ? Les marchandises chinoises finiront-elles, à moyen ou long terme, par arriver dans d’autres ports ? L’explication qui suit, en trois points, nous permettra d’éclaircir ces questions.

  • Premièrement, l’actuel ralentissement économique chinois crée de l’incertitude quant au développement futur de ports en Europe, et plus particulièrement, il pose la question de savoir si l’économie chinoise peut soutenir la croissance rapide des réseaux de transport. Ces deux dernières années, la Chine a ralenti le rythme de ses acquisitions portuaires en Europe, le pic d’activité étant en 2016/2017. Il est possible que ce ralentissement dure un certain temps.
  • Deuxièmement, le degré de coopération entre les équipes chinoises implantées localement aura également un impact sur les performances des terminaux. Si l’on prend Zeebrugge comme exemple, APM Terminals (devenu CSP Terminals) constitue actuellement la participation la plus importante de COSCO en Europe derrière Le Pirée. À la suite de l’investissement de COSCO, le Shanghai Lingang Group a investi 85 millions d’euros dans la construction d’une plate-forme logistique à l’intérieur du port de Zeebrugge. Cette rencontre constitue à la fois une opportunité et un risque pour les investisseurs chinois en termes de communication, de style managérial, de conformité réglementaire, pour mettre en œuvre une stratégie de développement stable et de long terme.
  • Troisièmement, à un niveau macro, le succès de ces investissements dépendra de la capacité de la Chine à faire de ces ports une priorité économique et politique. La Nouvelle Route de la Soie (NRS) est soutenue par une forte volonté politique. Lorsqu’un projet va dans le sens des intérêts politiques – par exemple la diffusion de normes ou l’image nationale – et économiques de la Chine, il devient prioritaire. Le Pirée remplit ces deux critères. Économiquement, ce port permet de connecter les voies terrestres et maritimes de la NRS. Politiquement, étant l’investissement portuaire chinois le plus médiatisé en Europe, il sert d’exemple de réussite de coopération sur un projet d’infrastructure entre la Chine et l’Europe. Trieste, l’étoile montante, remplit également ces deux critères, bien qu’aucune entreprise publique chinoise n’y ait fait d’acquisition jusqu’à présent. Politiquement, Trieste pourrait servir d’exemple parfait de la coopération avec l’Italie, le premier pays du G7 à rejoindre la NRS. Économiquement, Trieste permet à la Chine d’étendre le réseau de transport Ambari-Le Pirée de la Méditerranée vers l’ouest, et donne un accès direct au réseau ferré européen. 

Il est encore trop tôt pour tirer de réelles conclusions de ces investissements. Le développement d’un port se fait sur le long terme : l’impact des acquisitions et le rôle de la situation économique globale ne peuvent être évalués que plusieurs années après l’investissement. Après l’acquisition par COSCO d’une concession de 35 ans pour Le Pirée en 2008, la Grèce a traversé une grave crise économique, et le port n’a pas connu de croissance avant 2010. 

Dans l’ensemble, cette stratégie chinoise d’acquisition de ports s’intègre dans son plan de développement d’un réseau de transport multimodal, et plus précisément, elle s’insère parfaitement dans son projet de création d’un réseau Eurasien mer-rail. En attendant, l’UE développe également un réseau de transport multimodal : le Réseau transeuropéen de transport ou RTE-T. La Chine a, à de nombreuses reprises, rendue publique son intention d’établir une coopération entre la Nouvelle Route de la Soie et le RTE-T. Mais le nouveau mécanisme de surveillance des investissements étrangers mis en place par l’UE, qui liste le RTE-T comme un élément stratégique, montre la préoccupation de l’Union face aux investissements chinois dans des projets d’infrastructure. Y aura-t-il de la coopération ou de la compétition entre le RTE-T et la NRS, notamment dans les régions de la Méditerranée ainsi que de l’Europe centrale et de l’Est ? Nous examinerons cette question dans un prochain article.

Crédit photo : Photo by Tom Fisk from Pexels

 

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Docteur en sciences politiques, Ganyi nous livre un regard affûté sur les évolutions du transport et de la Supply Chain dans le monde, par le prisme des tendances politiques et économiques.
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