Nous fêterons en 2021 le 65è anniversaire du conteneur, un système de conditionnement des marchandises qui a révolutionné le commerce international. Son inventeur, l’Américain Malcolm Mac Lean, serait certainement très fier, et à juste titre, de ce succès planétaire, s’il était encore de ce monde. Mais il serait peut-être aussi quelque peu inquiet de voir les errements actuels du marché.
En raison de la crise économique induite par la pandémie de la Covid-19, les échanges mondiaux sont orientés à la baisse. Selon les prévisions mentionnées dans le dernier rapport de la Cnuced consacré au transport maritime, les volumes internationaux de conteneurs devraient terminer en repli de 5,8% en 2020, avec un total de 143,3 millions d’EVP. L’Asie-Europe devrait régresser de 6,9%, le Transpacifique de 6,6% et le Transatlantique de 5,6%. Parallèlement, la digitalisation et la traçabilité des équipements n’a jamais été aussi performante qu’aujourd’hui. Pourtant, malgré ce déclin des volumes et l’accès à des outils de gestion pointus, les exportateurs européens, américains et chinois ne parviennent pas à expédier toutes leurs marchandises comme ils le souhaitent, faute de conteneurs en nombre suffisant.
Les compagnies maritimes intègrent classiquement dans leurs outils de prévision les déséquilibres structurels du marché :
En exploitation normale, la connaissance du marché et des pics saisonniers habituels permet aux compagnies maritimes d’acheminer par anticipation des conteneurs vides depuis l’Europe et les États-Unis, pour faire face à la demande plus importante dans l’autre sens. Transporter "de l’air" n’est pas très valorisant, mais les compagnies s’accommodent de ce mal nécessaire en tentant d’en limiter l’impact financier. La gestion des conteneurs vides est intégrée dans les budgets comme une composante de la structure de coût, qu’il convient bien évidemment de contenir au maximum.
Équilibre offre-demande, saisonnalité, options de transport, etc, ... : la pandémie de Covid-19 a mis à mal tous les schémas de prévisions classiques. Mais l’organisation des compagnies maritimes ne leur a pas permis de s’adapter agilement à la nouvelle donne.
Comme nous venons de le voir, la situation américaine est structurellement problématique. Mais plusieurs facteurs sont venus amplifier le phénomène. On constate tout d’abord une surchauffe de la demande sur le marché transpacifique Eastbound, à destination de la côte Est comme de la côte Ouest. Habituellement, à cette époque de l’année, le retail américain a déjà constitué ses stocks en prévision des fêtes. En conséquence, les prix du transport maritime connaissent une accalmie. Ce n’est pas le cas cette année, la consommation des ménages se révélant particulièrement dynamique aux États-Unis.
La multiplication des annulations de voyages par les compagnies maritimes a privé l’industrie de capacités de repositionnement de conteneurs vides.
Un autre facteur aggrave la situation : un nombre maintenant significatif de conteneurs maritimes… ne prennent plus le bateau ! Les Routes de la Soie, essentiellement ferroviaires, captent une partie des équipements, privant les compagnies de ressources en conteneurs vides dans les ports.
Face à la chute des volumes au plus fort de la première vague de la Covid-19, les compagnies maritimes ont immédiatement pris des dispositions pour adapter les rotations des navires, qu’elles gèrent depuis très finement. Mais sur la question des conteneurs, elles manquent d’agilité.
Confrontées à des équilibres financiers délicats, ces dernières années, alors que le rapport de force était clairement favorable aux chargeurs, les compagnies maritimes ont massivement mis un terme aux contrats de location de conteneurs pour maîtriser leurs coûts. Mais en se recentrant sur leur propre équipement, elles se sont privées d’un système qui leur donnait la souplesse de passer contrat là où elles avaient besoin d’équipements et de restituer les conteneurs vides dans des zones où leurs perspectives de chargement étaient faibles. Les conteneurs de location représentaient en moyenne 30% de la flotte conteneurs exploitée par une compagnie. Cet effet "d’amortisseur" ayant quasiment disparu, ce qui avait d’ailleurs provoqué de graves difficultés financières pour les loueurs à l’époque, il est aujourd’hui délicat pour les compagnies de revenir en arrière et de rouvrir des contrats de location sur un marché qu’elles ont mis à mal il y a quelques années...
La gestion des conteneurs vides est loin d’être optimale au sein des compagnies maritimes. Les relations internes entre les services commerciaux, considérés comme des centres de profits, et le service "logistique des conteneurs", identifié comme un centre de coût, sont souvent tendues. Dans les conditions actuelles du marché, ces dysfonctionnements atteignent un paroxysme très préjudiciable à la fluidité.
Le sujet de la mise à disposition des conteneurs vides est devenu suffisamment épineux pour que des autorités publiques s’en émeuvent. Aux États-Unis, une enquête est actuellement menée par la Commission fédérale maritime auprès des exportateurs agro-alimentaires sur le sujet de l’éventuelle rétention des conteneurs par les compagnies maritimes. Si l’entrave à la bonne marche des exportations américaines était établie, mettant de fait à mal le Maritime Act, certains transporteurs pourraient avoir à rendre des comptes sur des notions de refus de vente.
Il est grand temps, pour les compagnies, de prendre à bras le corps le sujet. En observant la situation de près, on constate que le marché n’est finalement pas tant confronté à une pénurie de conteneurs qu’à une inadéquation entre l’endroit où se trouvent ces conteneurs et l’endroit où l’on en a besoin. Des solutions existent :
Cependant, au-delà des actions de court-terme, il est plus que jamais nécessaire de se pencher sur la question de l’équilibre des flux par trade. Ce point crucial des négociations entre les compagnies et leurs clients 3/4PL est plus sensible que jamais dans l’environnement actuel, car le manque de visibilité sur les prévisions de chargement complexifie très sérieusement la tâche des compagnies.