Des métiers variés, des recrutements et des salaires en hausse, une fonction enfin reconnue au plus haut niveau dans les entreprises : la supply chain a tout pour plaire. Subsiste toutefois encore un handicap de taille : un manque de notoriété "grand public" qui en fait un secteur encore trop ignoré par les jeunes… comme par la sphère politique.
Dans le champ professionnel, la supply chain a gagné ses lettres de noblesse. "On est vraiment sorti de l’image classique de l’intendance. La plupart des directeurs supply chain font aujourd’hui partie des comités exécutifs des entreprises", a rappelé Régis Bourdonnais, directeur du Master Supply Chain Internationale, en ouverture de la conférence sur "l’emploi en supply chain" organisée le 22 mai dernier par Supply Chain Village. "Cette tendance au positionnement dans les Comex, apparue dans les années 2000, a créé une certaine attractivité en augmentant la valeur perçue", souligne Charles Turri, associé du cabinet Mews Partners.
Sur le terrain, les premiers concernés confirment cette attractivité. "Le supply chain manager accompagne et même parfois initie la transformation de l’entreprise. On l’a vu par exemple avec Zara, qui a révolutionné le secteur du prêt-à-porter en introduisant une logistique différente", illustre Philippe Raynaud, directeur supply chain de Bic.
Des parcours riches et variés
Ce dernier met également en exergue la richesse et la variété des parcours potentiels dans la fonction supply chain, à la fois en termes de métiers et de secteurs d’activité. "Le champ des possibles est extraordinaire. On peut exercer des responsabilités fonctionnelles ou opérationnelles, faire de la gestion de projet, gérer des relations sociales : le secteur offre une combinaison quasiment infinie qui permet à chacun de composer son propre parcours professionnel", s’enthousiasme Philippe Raynaud. Une chose est sûre, l’humain est au cœur de l’activité. "Un bon supply chain manager, c’est un bon community manager qui connaît les besoins de chacun et trouve les solutions pour y répondre en identifiant à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise les meilleurs partenaires pour atteindre les objectifs", précise le directeur supply chain de Bic.
Conséquence logique de cette transversalité : le secteur requiert des collaborateurs aux compétences multiples. Au savoir-faire technique doivent s’ajouter des compétences comportementales et managériales, ainsi qu’une forte sensibilité internationale et une capacité à appréhender l’entreprise dans sa globalité. Autre défi : le supply chain manager doit accompagner toutes les évolutions du métier, et notamment intégrer les mutations technologiques.
De nouveaux besoins
Comment dénicher de tels profils ? Le secteur se caractérise par une relative diversité des formations. "Environ 50% des Supply Chain managers sont issus d’écoles de commerce ou d’universités et 30% d’écoles d’ingénieurs", estime Charles Turri. On note aussi une proportion non négligeable d’autodidactes.
En revanche, cette offre de formation initiale n’est pas forcément très lisible. "Si l’on veut devenir médecin ou ingénieur, les parcours sont clairs. Dans la supply chain, les cursus ne sont pas aussi simples. On retrouve quelques cours de sensibilisation à la supply chain qui apportent une vision générale des enjeux dans les écoles d’ingénieur, les écoles de commerce et les universités. Mais il faut attendre le niveau Bac+5, Master et MBA, pour accéder à des formations véritablement dédiées à la supply chain", relève Charles Turri.
Par ailleurs, la montée en puissance des technologies fait émerger de nouveaux besoins, en particulier en matière de data science. Un casse-tête car le marché est tendu, mais aussi une opportunité. "Le digital, la robotique, la data vont rendre notre secteur plus visible et attirer de nouveaux profils. Le e-commerce aussi est une chance pour la supply chain, car il la rend plus palpable", affirme Yannick Buisson, président France et Europe du Sud de FM Logistic.
Des salaires à la hauteur
La supply chain a un autre argument de poids pour séduire des candidats : un marché actuellement très favorable en termes de salaire. "Après la crise de 2008, on a constaté une stabilité des rémunérations jusqu’en 2014-2015. Mais aujourd’hui, le marché est clairement haussier sans être inflationniste, les entreprises restant très vigilantes sur la maîtrise des grilles salariales", analyse Cyril Raynal, directeur général de Turnpoint, cabinet de conseil en recrutement spécialisé dans la supply chain.
Tableau des salaires (hors prime et avantage). Source : Turnpoint
Le rattrapage constaté ces dernières années par rapport aux autres fonctions dirigeantes s’explique bien sûr par la tension du marché, mais aussi par la place stratégique désormais dévolue à la supply chain. "C’est une tendance lourde et irréversible", estime Cyril Raynal.
Naturellement, de nombreux critères ont un impact sur le niveau de la rémunération : degré de management, expérience, compétences spécifiques (gestion de données ou douane, par exemple), budget, place de la supply chain dans l’entreprise, sous-traitance ou non des activités transport & logistique. Le secteur d’activité influe également : le e-commerce, le luxe, l’industrie pharmaceutique et la chimie se situent plutôt dans le haut de la fourchette.
Mais globalement, il y a une guerre des talents car la demande est supérieure à l’offre. "Un professionnel qui change de poste attend aujourd’hui une progression salariale de l’ordre de +10 à +15%. Et il faut savoir qu’un tiers des candidats ne vont pas jusqu’au bout du processus de recrutement car ils ont une autre offre par ailleurs", prévient Cyril Raynal.
Un déficit de reconnaissance
Si la supply chain est un secteur d’activité plébiscité par ceux qui l’ont découvert, elle souffre d’un sérieux déficit de reconnaissance qui ne facilite pas les recrutements.
Économiquement, tout d’abord, son rôle reste largement méconnu, jusque dans les sphères politiques. "Depuis 2017, je me sens un peu seul, au sein de l’Assemblée Nationale, à comprendre l’importance de la supply chain dans la construction d’une société", regrette le député François-Michel Lambert. Dans un contexte de guerre économique entre les États-Unis et la Chine, avec l’Europe au milieu, il s’agit pourtant d’une question stratégique autour d’un triple enjeu géopolitique, économique et écologique martèle le député des Bouches-du-Rhône.
La supply chain manque aussi d’audience auprès des jeunes en quête d’une orientation. Pôle Emploi prévoit la création de 540 000 postes supplémentaires d’ici à 2022. Mais aujourd’hui, 46% des postes sont difficiles à pourvoir, quel que soit le niveau de qualification concerné, souligne Yannick Buisson.
Faire preuve de créativité pour pourvoir les postes
Marie Dochy, manager de la division Achats et Supply Chain du cabinet de recrutement Badenoch & Clark, confirme ces difficultés. "On a trop peu de candidats diplômés aujourd’hui, notamment sur les profils d’ingénieurs. Il faut donc savoir être créatif, militer contre le clonage et les discriminations et penser compétences transférables. Sur un marché tendu, le plug&play ne fonctionne pas", martèle la spécialiste du recrutement.
Clémentine Mermet, directrice Supply Chain de Warner Music, invite aussi à œuvrer pour davantage de mixité, dans un secteur où les métiers sont encore largement identifiés comme "industriels".
Charles Turri avance une autre piste : le déploiement de "Supply Chain Academy" dans les entreprises. "C’est un relai stratégique pour promouvoir le métier et valoriser les talents". De façon générale, le représentant du cabinet Mews Partner invite à communiquer en interne sur l’intérêt de la supply chain pour l’entreprise et sur l’intérêt de passer par ces fonctions durant son parcours professionnel.
Photo @Anne Kerriou