SÉRIE D’ÉTÉ (1). Nous avons tous besoin d’un peu d’évasion après la période difficile que nous venons de traverser. Alors laissons un temps l’analyse de marché ! Upply vous propose cet été une petite série d’articles sur le thème Transports et Cinéma. Le 7è art a su mettre en valeur les valeurs universelles de ce secteur qui nous est cher.
Le cinéma s’est parfois intéressé au transport routier. Un film de 1953, réalisé par Henri-Georges Clouzot, a marqué les mémoires : Le Salaire de la Peur. On y trouve pêle-mêle l’aventure, la camaraderie et l’esprit de corps, la technicité du métier mais aussi la solitude, la dénonciation sociale de la condition d’ouvrier et la déshumanisation engendrée par ces gros ensembles mécaniques.
Le pitch
Dans un village perdu au fin fond d'un pays d'Amérique latine, quelques Européens échoués là au gré de leurs aventures espèrent gagner de l’argent. Une occasion se présente lorsqu'une compagnie pétrolière américaine qui exploite un gisement dans la région recherche des chauffeurs pour transporter de la nitroglycérine sur plus de 500 kilomètres, afin d’éteindre un incendie sur un puits. Quatre désespérés se présentent : Jo (Charles Vanel) et Mario (Yves Montand), deux Français, Luigi (Folco Lulli), un Italien, et Bimba (Peter Van Eeck), un Allemand. Le voyage commence, sur des routes dont l'état lamentable manque à chaque cahot de faire exploser les camions et leurs chauffeurs...
Le film a remporté l’année de sa sortie la Palme d’Or du festival de Cannes et l’Ours d’Or du festival de Berlin.
L’aventure en toile de fond
Chacun des personnages incarne un stéréotype : Mario représente la jeunesse que l’aventure va conduire vers l’âge adulte, Jo la vieillesse et la peur de la mort, Luigi les classes laborieuses obéissantes et Bimba le passeur dandy désabusé qui connaît déjà l’issue funeste. Quel rapport avec nos chauffeurs d’aujourd’hui ? Un attachement aux valeurs de camaraderie et à une certaine liberté véhiculée par ce métier, mais aussi un certain scepticisme sur l’avenir.
Il faut bien le dire, la mission du chauffeur est aujourd’hui assez éloignée de la notion d’aventure. Plus de 50% des missions font moins de 100 km, avec un transport en général interurbain. Désormais, nul besoin de rouler sur une route en forme de tôle ondulée à pleine allure ou de franchir une mare de pétrole, comme le font Jo et Mario, pour apporter la marchandise à son destinataire. L’aventure reste bien un mythe que déroule à merveille le film... et qui a la vie dure. Les publicités pour les camions continuent à utiliser les grands espaces et la notion de liberté pour faire la promotion de leur matériel !
La critique sociale, toujours d’actualité ?
Le Salaire de la peur est aussi une critique virulente de la société capitaliste : disparité des revenus, chômage, appropriation de terres étrangères par des multinationales… Le fort domine le faible. Tous voudraient être ailleurs que là où ils se trouvent. Mais ils n’ont pas le choix, piégés par leur époque et coincés dans un village sud-américain que seul l’avion peut desservir.
Comment ne pas penser aux chauffeurs qui sillonnent aujourd’hui les routes européennes pendant des semaines, dans des conditions d’hygiène et de sécurité extrêmement précaires. L’Union européenne a fini par en prendre la mesure en mettant sur la table son Paquet Mobilité.
Le film entre aussi en résonance avec notre époque quand Charles Vanel (Jo) dit à Yves Montand (Mario) : "Tu crois que tu es payé pour conduire un camion ? Non, tu es payé pour avoir peur". On ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour les métiers dits essentiels, comme les conducteurs routiers, qui ont poursuivi le travail pendant le confinement. Ils ont assuré la continuité de l’approvisionnement de notre pays en acceptant le risque, à l’image de Mario, Jo, Luigi et Bimba qui acheminaient de quoi éteindre l’incendie. Merci à eux.
Je vous invite donc à voir ou revoir ce film qui est un chef d’œuvre du cinéma et à étudier le jeu de Charles Vanel, particulièrement éblouissant dans cette scène où il quémande de l’argent : "I need money et tu m’connais, quand I need du fric, j’me connais plus !"