Analyse Transport & Logistique

2022, une année décisive pour le Paquet Mobilité 

18 janvier 2022

L’année 2022 marquera l’entrée en vigueur de plusieurs mesures essentielles du "Paquet Mobilité", fixant un nouveau cadre réglementaire pour le transport routier de marchandises en Europe. Les transporteurs s’y préparent.

En 2017 et 2018, la Commission européenne a présenté 3 initiatives destinées à améliorer l’efficacité du transport routier en Europe, mais aussi les conditions sociales et opérationnelles dans lesquelles s’exerce cette activité. Ce corpus législatif est connu sous le nom de "Paquet Mobilité". Il prévoit une série de mesures qui vont modifier substantiellement le cadre légal et la gouvernance du transport routier en Europe.

La mise en œuvre a démarré le 20 août 2020, avec l’application de la réforme des temps de conduite et de repos. Elle introduit l’interdiction du repos hebdomadaire en cabine et impose également au transporteur d’organiser le travail de telle sorte que les conducteurs puissent rentrer chez eux ou au centre opérationnel auquel ils sont rattachés toutes les 4 semaines. En 2022, de nouvelles dispositions majeures du Paquet Mobilité 1 vont entrer en vigueur.

Inquiétude des professionnels

Bien que prévisible, le déploiement de ces nouvelles dispositions inquiète les professionnels du transport, en particulier dans les pays dont les transporteurs exercent une part importante de leur activité à l’international. D’une part, ils sont toujours dans l’attente de clarifications sur l’application et l’interprétation de ces nouveaux textes. D’autre part, l’impact opérationnel et économique inquiète.

Certaines fédérations professionnelles commencent déjà à sonner l’alerte, à l’instar de la fédération belge Febetra. Dans un message posté sur Twitter le 29 décembre, son directeur pointe un risque de chaos par rapport à la saisie manuelle des franchissements de frontière, qui devient obligatoire le 2 février 2022, en attendant la nouvelle version du tachygraphe intelligent qui doit permettre l’enregistrement automatique à partir de 2023.

L’inquiétude est aussi d’ordre économique, en particulier pour les transporteurs d’Europe de l’Est très actifs sur les marchés d’Europe occidentale. Plusieurs dispositions du Paquet Mobilité vont en effet alourdir très significativement leurs coûts d’exploitation. La dernière révision de la directive européenne sur le détachement impose notamment que les travailleurs détachés bénéficient des mêmes règles en matière de rémunération que les travailleurs locaux.

Certes, le législateur a prévu des dispositions spécifiques pour le transport routier, où la main d’œuvre est par définition mobile, via la directive 2020/1057 du 15 juillet 2020. Ces règles, qui précisent notamment le champ d’application du détachement et apportent des précisions sur les exigences administratives et les mesures de contrôle, s’appliqueront à partir du 2 février 2022. Il n’en reste pas moins que ces nouvelles dispositions vont alourdir les coûts salariaux. Selon l’organisation professionnelle TLP (Transport Logistyka Polska), qui a demandé au gouvernement polonais un plan de soutien pour permettre au secteur de passer le cap, l’augmentation oscillerait entre 20% et 40% pour les entreprises de transport routier polonaises, selon le type de transport effectué et l’organisation actuelle du travail.

Plusieurs dispositions du règlement 2020/1055 du 15 juillet 2020 relatif à l’accès au marché et à la profession vont également peser sur les coûts. C’est le cas du retour obligatoire des véhicules à leur base opérationnelle toutes les 8 semaines. Cette mesure entrera en vigueur le 21 février 2022. Et les transporteurs de l’Est ne sont pas les seuls à la déplorer puisqu’en octobre dernier, TLN, la fédération néerlandaise du transport et de la logistique, en avait demandé le report.

Concernant le cabotage, la limite de 3 opérations sur 7 jours reste inchangée. Mais l’introduction d’une période de carence de 4 jours entre deux opérations, également à partir du 21 février, change également la donne en matière de rentabilité des voyages... à condition d’être contrôlée. Les États membres devront avoir communiqué à la Commission leur stratégie nationale de contrôle au plus tard le 21 août 2022.

 

 

Réorganisation des opérations

Les transporteurs ont commencé à anticiper en réorganisant leurs opérations. L’entreprise lithuanienne Girteka a ainsi décidé d’étoffer ses implantations à proximité de l’Europe de l’Ouest en installant une deuxième base en Pologne. Plus de 2 000 camions y sont déjà enregistrés. L’entreprise prévoit d’employer 8 000 conducteurs sur cette base d’ici la fin de 2022, auxquels s’ajouteront environ 450 techniciens. Il s’agit de la plus grande implantation de Girteka, qui revendique l’ambition d’entrer dans le Top 10 des entreprises de transport et logistique en Europe d’ici 2026 en doublant son chiffre d’affaires (996 M€ en 2020).

Son confrère Hegelmann, qui fait état d’un chiffre d’affaires de 700 M€, suit la même logique. Il investit dans la construction d’un hub de services pour les transporteurs routiers à Żarska Wieś, dans le sud-ouest de la Pologne, près de la frontière allemande. Ce complexe de services répond en priorité aux besoins du groupe Hegelmann, mais pas seulement. "Nous l'utiliserons pour aider les petites entreprises de transport à répondre aux exigences du paquet mobilité", déclarait Siegfried Hegelmann, gérant du groupe Hegelmann dans le communiqué publié en juillet 2021 pour annoncer la construction du centre. Les chauffeurs revenant d’Europe de l’Ouest pourront par exemple y passer leur temps de repos obligatoire, puisqu’un hôtel de plus de 750 lits est prévu. Le centre, dont l’ouverture est prévue mi-2022, offrira également des bureaux, un vaste espace de stationnement, une aire de service pour camions et un entrepôt de pièces de rechange et de pneus.

Élargissement aux VUL

La nouvelle réglementation européenne a pour but d’améliorer les conditions de travail des conducteurs et d’instaurer des conditions commerciales plus équitables pour tous les transporteurs européens. Dans cette optique, la Commission européenne a également pris en compte la montée en puissance des véhicules utilitaires légers dans le transport de marchandises.

À compter du 21 mai 2022, les exploitants de véhicules utilitaires légers de +2,5t seront soumis à des règles d’accès à la profession, même si les exigences sont moindres que pour les exploitants de véhicules de +3,5t, notamment en termes de capacité financière.

Impact sur les prix du transport 

L’introduction de ces nouvelles mesures intervient dans un contexte de pénurie de conducteurs et de tensions inflationnistes qui pèse déjà sur les coûts des transporteurs routiers. "Le Paquet Mobilité entraînera de nouvelles contraintes sur les capacités et de l’inflation", estimait en septembre dernier Luis Gomez, président de XPO Logistics Europe, dans un entretien au Financial Times.

Cet alourdissement des coûts devrait avoir des répercussions sur les prix de transport. La tendance était déjà perceptible en 2021, comme l’a montré la dernière étude Ti/Upply sur les taux de fret routier européens.

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Diplômée de l'École Supérieure de Journalisme de Lille, Anne a exercé l’essentiel de sa carrière dans la presse spécialisée Commerce international & Logistique, avant de rejoindre Upply.
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