Market Insights

Bilan du transport maritime de conteneurs en 2021

Rédigé par Jérôme de Ricqlès | 03 décembre 2021

L’année 2021 restera celle de tous les excès dans le transport maritime de conteneurs. Les compagnies vont maintenant devoir gérer l’atterrissage, qui s’annonce plus ou moins souple.

Après une année 2020 marquée par le choc du Covid-19, on pouvait s’attendre à une certaine résilience en 2021 dans le transport maritime de conteneurs. Il n’en a rien été. La période s’est révélée extrêmement chaotique, nourrie par un cocktail d’excès :

  • Excès de la demande des consommateurs occidentaux (États-Unis / Europe), boostée par le e-commerce.
  • Excès dans les tarifs pratiqués par les compagnies maritimes sur le marché spot (jusqu’à 18 000 USD le conteneur 40’en FAK en juin-juillet sur l’axe Asie / Europe).
  • Excès dans la dégradation du service offert par les compagnies, qui ont globalement pratiqué une politique du « à prendre ou à laisser » au plus fort de la crise des taux l’été dernier.
  • Excès dans l’inflation associée au processus du "quoi qu’il en coûte", les plans de soutien massifs décidés à l’échelle mondiale favorisant cette tendance. La Banque centrale européenne a revu à la hausse son hypothèse pour 2021, estimant désormais à +2,2% l’inflation attendue pour l’ensemble de l’année. Le pic est attendu au 4è trimestre (+3,7%) selon les dernières prévisions économiques de la Commission européenne. Les chiffres de croissance du PIB sont donc à relativiser à la lumière de cette inflation.
D’autre part, on constate une aggravation du déficit du commerce extérieur de l’Union européenne avec la Chine : la balance commerciale pour la période allant de janvier à septembre est passée de -136,6 Md€ en 2020 à -165,8 Md€ en 2021. Globalement, la balance commerciale de l’UE reste positive, avec un excédent de 92,0 Md€ d’euros, mais ce solde se contracte (+134,2 Md€ en janvier-septembre 2020).

La pandémie a parfois eu "bon dos" pour expliquer les changements de paradigme du marché. Les compagnies maritimes ont surtout habilement manœuvré pour profiter le plus longtemps possible des vents porteurs, se drapant au besoin dans les habits vertueux de la transition écologique, aussi démagogique que nécessaire sur un plan macro-économique et sociétal.

Le triomphe sans équivoque de notre scénario 2

Pour dresser le bilan de l’année 2021, nous vous proposons de repartir de nos prévisions publiées en janvier 2021 et des 3 scénarios échafaudés à l’époque.

  • Scénario n°1: une inversion du rapport de force au 2nd semestre

Force est de constater qu’il n’y a pas eu retournement de tendance en matière de taux de fret fin juin. Il a fallu attendre octobre pour constater une inflexion certaine et palpable. Aujourd’hui, on trouve de l’espace disponible, et les prix semblent s’installer sous le seuil psychologique des 10 000 USD / 40’ à l’import d’Asie pour les taux web spots. Attention, cependant : des soubresauts ne sont pas à exclure en fin d’année dans la phase de pré Nouvel An chinois. Les surcharges ponctuelles et les blank sailings peuvent toujours avoir un impact important sur le prix de transport final.

  • Scénario 2 : les compagnies gardent la main

Ce scénario, qui consacrait la toute-puissance des compagnies maritimes, s’est largement vérifié tout au long de l’année. Les principaux acteurs du Top 10 enregistrent des résultats records pour le premier semestre, après une année 2020 déjà flamboyante. "Arrêtez, la piscine déborde !", s’exclamait un acteur du secteur sur LinkedIn dans un commentaire à l’un de nos articles. Une formule choc, mais on ne peut plus pertinente ! Les compagnies maritimes ont su faire preuve d’une agilité extrême, mettant à profit cette manne pour se désendetter, investir, accélérer la digitalisation... et verrouiller le marché. Les États sont ravis de la performance de leurs champions respectifs, les torses sont bombés et les poches sont pleines.

  • Scénario 3 : "qui sème le vent récolte la tempête..."

Ce scénario était basé sur un interventionnisme des États et des instances de régulation. Sur ce point, on a en substance assisté à beaucoup de gesticulations pour finalement peu de résultats.

Certes, les États-Unis ont réagi, sous l’impulsion de la nouvelle administration Biden/Harris, en impliquant le Congrès et en donnant plus de pouvoir à la FMC (Commission maritime fédérale). Mais les résultats sont maigres par rapport aux enjeux, avec tout au plus quelques directives sur les pratiques en matière de frais portuaires à facturer.

En Europe, rien n’a changé. Alors que la France s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne pour 6 mois à compter du 1er janvier 2022, les priorités sont clairement orientées vers les problématiques de verdissement accéléré des activités de transport et la pêche, bien plus que vers la régulation du marché. Toutefois, les premières commissions préparatoires à l’étude du renouvellement du statut dérogatoire des exemptions accordées aux consortia maritimes de ligne doivent intervenir en 2022, et c’est peut-être de là que viendra un possible changement de paradigme. Si les compagnies maritimes réunies au sein des alliances continuent à offrir un service aussi décousu, elles perdent le principal argument justifiant le statut dérogatoire. Compte tenu de la taille qu’elles ont atteinte, il n’est pas du tout évident que le service sera pire qu’aujourd’hui en cas de fin des exemptions.

Enfin, en Chine, même si la communication reste assez restreinte, on sent un souhait de normalisation et de retour à une réalité raisonnable en matière de taux de fret pour ne pas entraver les volumes à faire transiter, alors que la pandémie n’est pas enrayée et que les logistiques amont de matières premières restent sous tension.

Les points à retenir

1/ Des signes d’atterrissage au 4è trimestre

Une forme d’autorégulation du marché est en train de poindre. L’impact inflationniste des taux de fret maritime sur les prix au détail commence à être pointé du doigt, ce qui peut inciter à la raison. Si l’on ajoute à cela le déploiement attendu de nouvelles capacités, on peut estimer raisonnablement que la période de surchauffe est passée. Les taux de fret au-dessus de 5 chiffres par conteneur 40’ s’éloignent, à notre avis durablement, sur l’Asie/Europe. L’élasticité extrême des tarifs pratiqués sur cet axe (de 4 000 à 14 000 USD pour un même conteneur de 40’) n’a pas beaucoup de sens dans la durée, pour aucune des parties prenantes.

Les négociations de fin d’année pour les contrats longs sont d’ailleurs moins faciles que prévues pour les compagnies maritimes. Les chargeurs, qui commencent à reprendre leurs esprits après le coup de massue de 2021, sentent que le vent tourne un peu plus en leur faveur, surtout s’ils parviennent à conclure les négociations d’appel d’offres après le nouvel an Chinois.

2/ Un rapport de force plus équilibré

À court terme, il serait toutefois illusoire de penser que le rapport de force pourrait s’inverser au point de ramener les taux de fret des compagnies maritimes sous le seuil des coûts d’exploitation, comme c’était le cas durant la période pré-pandémique. Les compagnies seront d’autant plus vigilantes que leurs propres coûts ont significativement augmenté.

Avoir réussi à remonter le "panier moyen" autour de 6 000 à 7 000 USD le conteneur 40’ sur l’axe Asie/Europe en 2021 constitue un résultat magistral en comparaison des 2 500-3 000 USD de 2020, d’autant plus que cette année, les volumes étaient au rendez-vous. Les résultats du 4ème trimestre des compagnies maritimes resteront très bons, même si l’on pourra déceler des signes d’érosion des taux de fret sur les niveaux les plus hauts.

3/ Une nouvelle stratégie d’intégrateurs

Plusieurs grandes compagnies maritimes ont commencé à élargir leur périmètre d’activité. C’est notamment le cas de Maersk, qui revendique le statut d’intégrateur global, et dans une moindre mesure de CMA CGM et de Cosco. Cette stratégie leur permet de profiter d’un double effet de levier sur la facturation du fret. Ces compagnies remettent au goût du jour le concept de "one stop shopping", dans une version digitalisée.

4/ La mutation des supply chains

Avec la pandémie, les chargeurs ont mesuré le risque de dépendance en matière de sourcing. L’heure est à la diversification, voire à la recherche de proximité. Une stratégie également alimentée par les préoccupations environnementales. Après la baisse de 2020, les émissions mondiales de CO2 retrouvent leur niveau pré-pandémique.

Dans ce contexte, les questions de report modal et de sourcing alternatifs sont très présentes dans les réflexions des chargeurs. Cela pourrait avoir progressivement un impact sur les volumes maritimes, mais il s’agit de mutations sur plusieurs années.