Après avoir vécu un effondrement de l’activité au moment de la première vague épidémique de coronavirus au printemps, les grands marchés européens du transport routier ont progressivement renoué avec des niveaux d’activité satisfaisants, à partir du mois de juin et jusqu’en octobre. Un phénomène qui s’est d’ailleurs traduit par une hausse, certes limitée, des prix de transport en Europe au 3è trimestre.
Mais la 2è vague de la Covid-19 de l’automne est venue saper cette amorce de redressement. Dans sa dernière étude mesurant l’impact de la pandémie sur le transport routier, l’Union internationale des transports routiers (IRU) a revu à la hausse les prévisions de pertes de chiffre d’affaires. En juin, l’IRU évaluait leur montant à 62 milliards d’euros. Selon les estimations publiées en novembre, les transporteurs routiers européens devraient finalement enregistrer un manque à gagner d’environ 108 milliards d’euros en 2020, soit une diminution de revenus 20% par rapport à 2019.
Dans ce contexte, les investissements ont logiquement régressé, et cela s’est ressenti notamment sur le marché des véhicules industriels. Selon l’Association européenne des constructeurs automobiles (ACEA), le nombre d’immatriculations a chuté de 32,6% entre janvier et septembre 2020, par rapport à la même période de 2019. Ont été particulièrement touchées l’Allemagne (-30,6%), la France (30,5%), l’Espagne (-25,7%) et l’Italie (-19,8%).
Le troisième trimestre s’est illustré par une nette reprise de l’économie européenne, après l’effondrement engendré par les confinements du printemps pour endiguer l’épidémie de Covid-19. Le PIB de l’Union européenne a rebondi de 11,5% au cours de cette période. La reprise a été constatée partout en Europe, parfois de façon plus ou moins prononcée.
Le secteur du transport routier a accompagné cette reprise, dès la fin du 2è trimestre. En Allemagne, comme l’indique l'Office fédéral allemand du transport de marchandises (BAG), les routes à péage (MAUT) ont enregistré une augmentation de fréquentation de 0,3% en octobre 2020 par rapport à septembre 2020 et +1% par rapport à octobre 2019. Le kilométrage des camions étant étroitement lié à la production industrielle en Allemagne, cet indice témoigne de la reprise économique allemande en octobre 2020.
En Pologne, au troisième trimestre, l'économie a rebondi rapidement, avec un bémol selon les experts : la croissance de la consommation a été largement tirée par la "demande différée", c’est-à-dire non réalisée pendant la 1ère vague. Les transporteurs ont néanmoins repris la route sur les chapeaux de roues.
En France, l’amélioration était tangible en juillet avant de ralentir considérablement.
L’amélioration économique du 3è trimestre a été grandement tirée par les ventes du commerce de détail (produits industriels et alimentaires) et le e-commerce.
Dans l'UE, le volume des ventes du commerce de détail a augmenté de 5,7% pour les produits non-alimentaires (+29,2% pour les ventes par correspondance et par Internet, -13,0% pour le textile, l’habillement et les chaussures) et de 4,6% pour le secteur "alimentation, boissons et tabac", tandis qu’il a diminué de 9,5% pour les carburants.
En France, selon le rapport de la conjoncture du commerce de détail publiée par la Banque de France, en octobre, les ventes du commerce de détail ont progressé de +6,0% sur un an (données en volume) après +3,3% en septembre. Ce dynamisme était observé à la fois pour les ventes de produits alimentaires (+5,3%) et celles de produits industriels (+6,2%). Les plus fortes croissances concernent l'électronique grand public (+16,6%), le bricolage (+23,8%) et les jeux et jouets (+46,6%), les ménages ayant vraisemblablement anticipé certains achats de Noël notamment par crainte du confinement à venir.
Le e-commerce fait clairement figure de grand gagnant de l’année 2020. Une croissance globale de 12,7% est attendue en Europe. En France, selon la Fevad, le chiffre d’affaires annuel du e-commerce, tous produits et services confondus, devrait progresser de +6% sur un an pour atteindre 109,6 milliards. Le recul des ventes de transport, voyages et billetterie a pesé sur la croissance, qui atteignait +11,5% en 2019. En revanche, la crise sanitaire a eu un effet d’accélérateur sur les secteurs de l’Alimentaire-PGC (produits de grande consommation), de la Beauté-Santé et de la Mode-Habillement, précise la Fevad.
Les grandes plates-formes mondiale de e-commerce comme Alibaba ou Amazon, mais aussi à des acteurs comme l’Allemand Zalando, tirent leur épingle du jeu. Au troisième trimestre, ce dernier a augmenté ses ventes de près de 22% à 1,85 milliard d'euros. En plus de sa croissance organique, Zalando a profité également sur sa plate-forme de l’afflux des ventes des détaillants dont les magasins étaient fermés ou restreints à cause de la pandémie.
Les opérateurs de transport de colis bénéficient clairement de cette tendance. Deutsche Post DHL a relevé ses prévisions de bénéfices pour 2020 ; le PDG Frank Appel a annoncé que le résultat d’exploitation dépasserait les 4,1 milliards d’euros (contre 3,5 initialement prévus). Principale raison : une activité express lucrative et une explosion du nombre de colis expédiés : 5 semaines avant Noël, les expéditions de colis de 2020 avaient déjà dépassé le chiffre de toute l’année 2019. La Poste française s’attend également à un pic sans précédent. La forte augmentation des volumes constatée au moment du premier confinement ne s’est pas démentie ensuite, souligne DPD Group, évoquant six mois "exceptionnels".
Secteur essentiel pour l’activité du transport routier européen, l’industrie automobile a réussi à sortir un peu la tête de l’eau au second semestre 2020 sur certains marchés, mais le premier semestre a été terrible. Globalement, dans l’Union européenne, les ventes de voitures ont chuté de 28,8% durant les neuf premiers mois de 2020 par rapport à l’année précédente, atteignant un total de 7 millions d’unités, indique l’ACEA. L’Espagne a constaté le plongeon le plus brutal (-38,3%), suivi de l’Italie (-34,2%), la France (-28,9%) et l’Allemagne (-25,5%). La production s’est contractée dans des proportions sensiblement identiques. L’Union européenne à produit 9,7 million de voitures entre janvier et septembre 2020, soit 29,2% de moins que pour la même période de 2019. Les 20 principaux pays producteurs sont concernés par des baisses à deux chiffres, mais la France détient le record, avec -49,1%. Entre janvier et septembre, elle passe ainsi du 3è rang européen derrière l’Allemagne et l’Espagne au 5è rang, devancée par la République tchèque et la Slovaquie.
Des signaux positifs sont apparus en septembre, ce qui explique d’ailleurs en partie la croissance positive des volumes transportés par la route au 3è trimestre et au début du 4ème. Le secteur automobile a connu en septembre une progression de 3,1 % sur un an, tiré par les ventes de véhicules en Italie et l'Allemagne, le indiquent Les Échos.
Effectivement, outre-Rhin, certains constructeurs ont constaté une nette amélioration. Ainsi, BMW a étonnamment fait plus de bénéfices au troisième trimestre 2020 qu'un an auparavant. Dans l'industrie automobile, les commandes allemandes reçues en septembre ont augmenté de 5,1% par rapport au mois précédent et étaient ainsi 5,8% au-dessus du niveau d'avant la crise en février. Toutefois les managers restent prudents. Le PDG de BMW, Oliver Zipse, estime que le groupe automobile est sur la bonne voie pour atteindre ses objectifs annuels, mais souligne l'incertitude croissante face à l'augmentation du nombre de cas de Covid-19 : "De nouveaux confinements peuvent gravement affecter notre développement commercial au quatrième trimestre et au début de 2021", a-t-il indiqué. "Malheureusement, nous n'avons aucune raison d'augmenter nos prévisions. Au contraire, si le développement de la Covid-19 se poursuit, le comportement des clients sera de se rester en sécurité et de ne pas d’acheter des voitures », confirme Hildegard Müller, la présidente de l'Association de l'industrie automobile allemande (VDA).
La reprise économique a donc globalement stimulé l’activité du transport routier de marchandises au 3è trimestre, jusqu’à ce que déferle la deuxième vague épidémique.
En France, l’étude réalisée par le Comité National Routier sur les coûts du TRM, Simulation Covid pour 2020 et perspectives 2021 montre que la reprise économique était progressive et suivait une pente plutôt linéaire jusqu’à mi-octobre 2020. Mais la deuxième vague de la Covid-19 a stoppé cet élan pour installer un contexte à nouveau récessif.
Certes, dans une enquête réalisée auprès de 800 transporteurs entre les 16 et 23 novembre 2020, la FNTR constate que seules 17% d’entre elles (contre 33 % en juin dernier) connaissaient un arrêt partiel de leur activité après trois semaines de reconfinement. Mais 49% font face à une baisse de leur activité par rapport à la même période de l’année précédente. Un phénomène qui a affecté particulièrement les TPE, avec une diminution moyenne de près d’un quart de leur activité (contre 17 % pour l’ensemble du panel).
De même, les transporteurs sont touchés de façon très différente selon le secteur de leurs clients. Les activités les plus fragilisées étant le transport de matières dangereuses, l’activité conteneur et internationale ainsi que le transport de voitures.
Même écho outre-Rhin pour l’industrie chimique allemande, la deuxième vague du coronavirus et les confinements qui ont suivi dans de nombreux pays ont pesé sur son activité. "Après une reprise au troisième trimestre, les perspectives commerciales se sont à nouveau dégradées. L'industrie est confrontée à un dernier trimestre difficile", a déclaré Christian Kullmann, président de l'Association de l'industrie chimique (VCI).
Des volumes qui baissent, des perspectives beaucoup moins favorables… Une nouvelle menace est venue noircir encore un peu plus ce tableau déjà sinistre : partout en Europe, on constate une augmentation des arriérés de facture. En Espagne, notamment, la Fédération nationale des associations de transport d'Espagne (FENADISMER) signale que les délais de paiement dans le secteur du transport routier de marchandises étaient en novembre 2020 en moyenne de 85 jours, restant ainsi bien au-dessus de la période pré-COVID (78 jours tout de même). Elle précise que 72% des clients des transporteurs ne respecte pas la loi sur les délais de paiement et que 36% payent à plus de 90 jours.
La situation est grave. L’IRU a interpellé les gouvernements à l’échelle mondiale pour sauver les entreprises de transports routiers. Dans une étude portant sur 79 pays, elle a montré que les PME du secteur n’ont quasiment pas bénéficié des plans de sauvetage mis en place lors de la pandémie. Le problème le plus pressant pour les transporteurs routiers : la liquidité. "Le risque de défaut et d'insolvabilité est élevé au cours de l'année à venir. Avec des perspectives économiques sombres et d'énormes pertes prévues dans le secteur, de nombreuses entreprises de transport routier risquent de faire faillite dans les mois à venir", avertit l’IRU.
Le patron allemand de l’assureur Euler Hermes, Ron Van Het Hof, a déclaré que la période de janvier à mars serait critique. "Seuls ceux qui peuvent s’assurer d’un petit matelas à Noël pourront rester à flot jusqu’aux affaires du printemps". Cette période est charnière pour toutes les faillites.
Les transporteurs routiers sont en danger notamment en Europe. Ils ont un besoin urgent de soutien financier, en particulier de subventions en cash, d'une flexibilité de paiement des primes d'assurance et d'un allégement continu des taxes et des charges. Nous y reviendrons au mois de janvier dans nos perspectives 2021.