Analyse Transport & Logistique

Chute brutale des taux de fret maritime sur l’axe Asie-Europe

21 octobre 2024

Les taux de fret dégringolent rapidement sur la route Asie-Europe via le cap de Bonne-Espérance. Les compagnies maritimes opèrent désormais en-deçà de leur seuil de rentabilité sur cet axe.

Le quatrième trimestre 2024 s’annonce très délicat à aborder en matière de rentabilité pour les compagnies maritimes. En effet, pour des chargements au mois d’octobre entre l’Asie et l’Europe du Nord via le cap de Bonne-Espérance, qui est aujourd’hui la route la plus utilisée, les taux FAK spot se situent sous le seuil des 3000 USD/40’.

L’indice Upply des taux de fret maritime sur l’axe Asie-Europe, qui reflète l’évolution des prix spots et contractuels, montre également un net décrochage à partir du mois d’août.

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Source : Upply Freight Index

Ce marché Asie-Europe, très important pour les compagnies maritimes, se lézarde au plus mauvais moment, alors que la saison des appels d’offres commence à battre son plein et que les services 2025 se dessinent sans réelles avancées qualitatives convaincantes à ce stade.

Cette situation de mise sous pression de la rentabilité des compagnies maritimes était attendue, mais nettement plus tard, dans le courant de l’année 2025.

1/ Pourquoi le marché Asie-Europe via le cap de Bonne-Espérance est-il en train de "craquer" si brutalement ?

  • La demande européenne est toujours mal orientée. Les volumes actuels, et pire encore les prévisions reflétées par les demandes de réservation, sont médiocres pour le quatrième trimestre chez toutes les compagnies interrogées.
  • Les capacités continuent d’arriver, avec encore trop de nouvelles très grandes unités sur cette route.
  • Les chargeurs ne croient plus à un retour d’une bonne qualité de service. Ils veulent donc désormais acheter au meilleur prix, même en sachant parfois pertinemment que leurs fournisseurs travaillent à perte.
  • Le passage par le cap de Bonne-Espérance est désormais intégré au fonctionnement du marché du transport maritime conteneurisé sur l’Asie-Europe. Dans la mécanique de négociation des chargeurs, les perturbations du Canal de Suez n’entrent donc plus en ligne de compte car elles ne créent plus d’effet de surprise et de tension associée.

2/ Ce retournement de marché va-t-il faire plonger les compagnies dans le rouge ?

À ce stade, nous estimons que la rentabilité des compagnies maritimes sera préservée en 2024, pour deux raisons majeures :

  • D’une part, en dehors de l’axe Asie-Europe, les autres marchés Est-Ouest et le Nord-Sud, bien que sous pression, restent rémunérateurs, particulièrement le Transpacifique qui laisse encore autour de 2000 USD de marge par conteneur aux compagnies en ce moment.
  • D’autre part, les résultats engrangés au cours des trois premiers trimestres par les compagnies devraient être suffisants pour permettre une augmentation d’environ 10% des résultats nets, même avec une détérioration au 4è trimestre.

3/ De quelles armes disposent les compagnies pour tenter de restaurer le marché des taux de fret sur l’axe Asie-Europe ?

  • À ce stade, mis à part un événement majeur imprévisible de type pandémie, guerre, ou catastrophe climatique, nous ne voyons aucun facteur susceptible d’enrayer l’effondrement des taux de fret sur l’axe Asie-Europe.
  • Emprunter à nouveau le canal de Suez pourrait être une alternative qui permettrait d’améliorer un peu les marges, mais les risques sont trop élevés. Il n’est pas certain que les chargeurs acceptent cette solution, et les compagnies se mettraient en tort vis-à-vis de leur responsabilité si elles exposaient la marchandise qui leur est confiée à des risques connus, tant que la mer Rouge est officiellement reconnue comme zone de guerre par les instances internationales.
  • Mettre à l’ancre la moitié des très grands porte-conteneurs (+ de 20 000 EVP) pour rééquilibrer le marché. Là encore, cette option paraît impossible. Les compagnies ne peuvent pas le faire de façon concertée, et la probabilité qu’elles le fassent de façon concomitante et non-concertée est très faible.
  • Se débarrasser massivement des navires de plus de 18 ans d’âge. 

4/ Qui peut résister à l’orage ?

Quand la houle se forme, MSC s’en sort traditionnellement mieux que la moyenne. Cette compagnie est taillée historiquement pour performer dans l’adversité, grâce à sa taille et à sa maîtrise des coûts d’exploitation. Ceux-ci restent les plus bas du marché, en partie grâce à la scrubberisation massive de la flotte. Par ailleurs, MSC contrôle aujourd’hui une grande partie de la chaîne de valeur, en s’appuyant sur ses propres terminaux portuaires, alors que ses concurrents restent encore trop tributaires de prestataires extérieurs.

Avec la reconfiguration à venir des alliances maritimes, MSC est la seule compagnie qui, avec l’appui de ZIM sur le Transpacifique, offre sous son nom une couverture planétaire élargie indépendante en matière de palette de services de ligne. Si elle n’est pas entravée politiquement dans sa croissance par des autorités étatiques ou assimilées, rien ne devrait arrêter ce rouleau compresseur qui entre dans la bagarre avec un très beau trésor de guerre engrangé pendant le Covid, et finalement peu redistribué, ce qui est moins le cas de ses concurrents directs comme CMA CGM. 

Alors qu’en France, le débat dans les sphères politiques est aujourd’hui grandement focalisé sur l’opportunité de taxer ou pas les profits exceptionnels de CMA CGM, il serait urgent d’éclairer notre représentation nationale et l’opinion publique sur le fait que notre fleuron maritime, après avoir grandement aidé le pays sur des dossiers sensibles (Brittany Ferries, Gefco, Bolloré, Neoline, etc.) pourrait rapidement faire face à des vents contraires.

En maritime, la roue tourne toujours très vite. Les victoires d’hier ne protègent pas des retournements du lendemain, c’est bien pour cela que pour tenir, il faut toujours être gros, voire le plus gros. Cette vision philosophique et stratégique soutenue en son temps par Jacques Saadé se vérifie une fois de plus à l’approche d’une année 2025 qui s’annonce très difficile, tant les fondamentaux du marché sont dégradés.

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Expert du transport maritime depuis 25 ans, Jérôme met toute sa connaissance du secteur au profit d'Upply. Capitaine de navire dans l'âme, il est également l'auteur du Lexique anglais-français du transport maritime conteneurisé (Paris : CELSE, 2001).
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