En 2021, le rebond économique avait littéralement dopé les résultats financiers des grandes groupes mondiaux du transport et de la logistique. Certaines voix s’étaient même élevées, à l’époque, pour pointer du doigt certains groupes, soupçonnés d’être des "profiteurs de crise". L’année 2022 démontre à quel point ces indignations étaient exagérées, face à ce qui ne relevait finalement que d’un mécanisme de marché très classique : en période de forte demande, l’accès aux capacités se complique et les prix montent. Et en cas de retournement de tendance, le phénomène s’inverse...
Au premier semestre 2022, l’activité économique est restée dynamique. Les taux de fret ont donc continué à grimper dans tous les secteurs du transport durant cette période. En revanche, le marché s’est nettement retourné à partir du 2è semestre. Sur l’ensemble de l’année, la croissance du PIB mondial a été divisée par deux par rapport à 2021, passant de + 6% à + 3,1%, selon les chiffres de la Banque mondiale. Le commerce mondial de marchandises a subi de plein fouet ce ralentissement. Le taux de croissance des échanges de biens a chuté de +9,8% en 2021 à +2,7% en 2022, indiquent les statistiques de l’Organisation mondiale du commerce.
Sur le front de la demande, les opérateurs de transport et les logisticiens ont donc commencé à sentir une inflexion au second semestre, mais les performances du premier semestre ont permis à la plupart d’enregistrer des résultats records sur l’ensemble de l’exercice.
Les chargeurs ont commencé à retrouver un certain pouvoir de négociation en fin d’année. D’une part, les phénomènes de congestion des chaînes logistiques ont commencé à s’estomper. D’autre part, les prix du transport international, et en particulier les taux de fret maritime, sont repartis à la baisse. Sur certains axes, en particulier sur l’Asie-Europe et le Transpacifique, la chute a même été plus rapide et brutale que ce qu’anticipaient les compagnies maritimes.
Le transport routier a suivi une tendance similaire, mais dans des proportions moindres, avec un temps de décalage et pas forcément pour les mêmes raisons qu’à l’international. En 2021, la progression des taux de fret routier en Europe a démarré un peu plus tard que dans le transport international et s’est révélée beaucoup plus limitée puisqu’elle était de l’ordre de 3,6% pour l’ensemble de l’année par rapport à 2021, contre des croissances à deux chiffres sur la plupart des corridors dans le transport maritime de conteneurs et dans le fret aérien. Le déclenchement de la guerre en Ukraine, en février 2022, a accéléré le mouvement de hausse, en raison des mécanismes de répercussion des augmentations du prix du carburant. Dans le transport routier européen, l’augmentation des taux de fret s’est ainsi poursuivie jusqu’au 3è trimestre 2022, alors que les prix ont décroché un peu plus tard à l’international.
Historiquement, le rapport de force entre chargeurs et prestataires a quasiment toujours été favorables aux premiers. La période juillet 2020 - juillet 2022, avec ses difficultés d’accès aux capacités et ses prix de transport stratosphériques, fait figure d’anomalie bien ponctuelle. Alors que s’amorce une baisse des volumes à transporter, les chargeurs ont repris la main et n’hésitent pas à en profiter, notamment dans le secteur maritime où ils ont eu la sensation d’être particulièrement mal traités pendant deux ans...
Peut-on alors parler d’un retour aux fondamentaux de la supply chain qui prévalaient avant la pandémie de Covid 19 ? Certainement pas.
Les directions Supply Chain avaient parfois du mal à se faire entendre sur le chapitre de l’analyse de risques, souvent délaissé au profit de la maîtrise des coûts. Il serait exagéré d’imaginer que la tendance s’est totalement inversée. Maintenant que la fluidité des opérations retrouve des niveaux satisfaisants, la pression sur les coûts revient. Mais les arguments en faveur d’une sécurisation des approvisionnements sont cependant mieux entendus. La pandémie de Covid 19 puis la guerre en Ukraine ont donné corps à l’impensable (ou l’impensé).
La traduction la plus concrète de cette nouvelle prise en compte des facteurs de risque est sans conteste le mouvement de reconfiguration des chaînes logistiques, consistant à diversifier les sources d’approvisionnement et les lieux de production, notamment vers des pays "amis" et/ou vers des pays plus proches des bassins de consommation. La pandémie de Covid 19 a engendré une prise de conscience de la vulnérabilité des supply chain, qui a conduit les entreprises à inscrire à leur agenda la mise en place d’une stratégie de "dérisquage". Mais ce qui n’était encore qu’à l’état de réflexion fin 2021 a clairement été accéléré par la guerre en Ukraine. La diversification commence à se concrétiser sur le terrain.
Sur la question du rapport de force chargeurs-transporteurs, on peut avoir en revanche la sensation que le système pré-pandémique est nouveau à l’œuvre. Pourtant, la traditionnelle logique dominant/dominé risque d’être bouleversée par deux enjeux majeurs : la transition énergétique et la pénurie de main d’œuvre (...)
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