Prix de transport, cadre social, réduction des émissions de CO², digitalisation : analysons ensemble les enjeux qui vont animer le transport routier de marchandises en 2020, à la lumière des enseignements que l’on peut tirer de 2019.
L’évolution des prix de transport
En dehors du marché espagnol, qui a connu en 2019 une croissance de 5% des volumes et une augmentation des prix, même si celle-ci s’est limitée à 0,7%, les grands marchés nationaux du transport routier de marchandises en Europe ont connu des baisses significatives des prix de vente.
L’Allemagne, numéro 1 européen, a une nouvelle fois enregistré une érosion des prix en 2019. Les incertitudes sur le Brexit et l’isolationnisme américain ont mis à mal le principal moteur de l’économie allemande : la production automobile. Cette industrie, qui cherche à moyen terme son second souffle dans le véhicule partagé et électrique, ne repartira pas selon les analystes avant 2021. Les indicateurs resteront à l’orange en 2020 : une croissance du PIB estimée à 0,5% à peine. En conséquence, la demande de transport sera atone, et les prix de transport devraient stagner voire encore baisser légèrement.
La France résiste mieux que son voisin d’outre-Rhin aux aléas du contexte mondial. Malgré les tensions sociales qui perturbent l’activité économique, la croissance du PIB devrait s’élever à 1,3% pour 2019. Un chiffre nettement supérieur, donc, à celui de l’Allemagne. Cela n’a pas empêché l’amorce d’une inversion de tendance dans le transport routier. "Jusqu’à la fin du 1er semestre 2018, le TRM français pour compte d’autrui, mesuré en tonnes-kilomètres, enregistrait tendanciellement une croissance continue. Mais la tendance s’inverse sur les 12 mois suivants, et de juillet 2018 à juin 2019, l’activité du TRM se stabilise, avec un léger fléchissement de -0,1% en glissement annuel", constate le CNR (Comité national routier) dans une étude sur les coûts du TRM publiée en novembre 2019. Cette atonie du marché s’est ressentie dans les prix de transport, qui, selon notre base de données Upply basée sur des transactions réelles, sont clairement orientés à la baisse, notamment au dernier trimestre.
Pour 2020, la progression du PIB en France est évaluée à 1,2% : le double de l’Allemagne mais un niveau identique à 2019... Dans le TRM, "il n’est pas attendu de redressement. Le climat des affaires [dans ce secteur] se dégrade au 3ème trimestre 2019", relève le CNR. En 2020, les prix de transport devraient donc stagner voire encore baisser.
L’Espagne devrait garder la même dynamique et entamer une 7ème année consécutive d’augmentation des prix et des volumes de transport.
En conclusion, le marché du transport 2020 devrait très certainement ressembler à 2019 : une baisse lente mais continue des prix est attendue en Europe.
Le cadre social européen
Dans la nuit du 11 au 12 décembre 2019, un compromis entre le Conseil, le Parlement et la Commission européenne a été trouvé à Bruxelles sur les nouvelles règles devant s’appliquer au transport routier et aux conducteurs dans le cadre du Paquet Mobilité : instauration d’une période de carence pour le cabotage, interdiction de la nuitée dans les cabines le week-end, obligation du retour du véhicule dans le pays de l’entreprise toutes les 8 semaines, encadrement des véhicules légers.
Mais la semaine suivante, la Commission européenne a fait une déclaration politique indiquant que ce compromis était contraire au "Green Deal" au motif qu’obliger un camion à retourner dans son pays toutes les 8 semaines sera source d’émissions de CO² supplémentaires, et que soumettre les pré et post-acheminements aux règles sur le cabotage handicapera le transport combiné.
Cette démonstration d’incohérence illustre la bataille intense menée en coulisse entre les partisans de l’Ouest (pro-accord) et de l’Est (anti-accord) de l’Europe. Elle a surtout comme conséquence de retarder l’échéance de son application qui apparaît pourtant irréversible.
Les arguments annoncés paraissent discutables, car une bonne planification permet d’éviter le retour à vide des équipements. De plus, au-delà même de l’aspect humain, améliorer les conditions de travail des chauffeurs relève d’une nécessité économique pour reconquérir l’attractivité qui manque au métier, à l’Ouest comme à l’Est de l’Europe ! La pénurie de conducteurs touche en effet les deux blocs.
Nous pouvons donc parier sur une ratification de l’accord en 2020, lorsque les organisations seront mises sous tension.
Réduction des émissions de CO² et transition énergétique
En 2019, les émissions de CO² du transport routier de marchandises ont représenté 26% du total des émissions sur la route en Europe. Les initiatives se multiplient pour développer des alternatives au diesel, le mix énergétique s’imposant comme la solution la plus réaliste.
Les constructeurs se doivent de répondre aux attentes du marché, qui sont fortement stimulées par la pression réglementaire qui s’accroît. Un nouveau règlement européen, initié dans le cadre du volet 3 du Paquet Mobilité relatif à la mobilité durable, impose aux constructeurs de réduire les émissions de 15% en 2024 par rapport à 2019, puis de 15% supplémentaires en 2030. Dès 2020, un registre sur la consommation de carburant et les émissions de CO² sera géré par l'AEE (Agence Européenne pour l’Environnement) et les données seront rendues publiques pour les nouveaux poids lourds immatriculés en 2019.
Le verdissement sera notamment visible sur le segment du dernier kilomètre. L’offre de camions électriques va se mettre en place : les immatriculations, tirées par le marché très demandeur du retail, devraient augmenter en 2020. L’AVERE/URF (l’Union Routière de France) a d’ailleurs publié un livre blanc sur "L’électricité pour la filière des véhicules industriels et urbains" dans lequel il fait 10 propositions pour favoriser la transition vers le véhicule électrique industriel : il préconise notamment d’adapter le poids total autorisé en circulation pour les véhicules électriques ou encore de mettre en place un soutien à l’investissement dans le développement des infrastructures de recharge.
Digitalisation du transport : de la théorie à l’action
La proposition de valeur du digital dans le transport routier de marchandises est d’apporter toute une gamme de solutions pour optimiser le transport, gagner du temps et améliorer les conditions d’utilisation des équipements.
Le marché de l’intelligence artificielle dans les transports en général a été estimé à 1,850 milliards de dollars en 2019 à l’échelle planétaire et affiche une croissance de 14,5% par an.
Les grandes manœuvres devraient se produire en 2020 dans la mutualisation des demandes et des offres de transport par le biais de larges plateformes permettant de réduire les kilomètres à vide. Les plateformes ou bourses de fret réalisaient principalement leur chiffre d’affaires à un niveau national. L’irruption de nouveaux acteurs issus de groupes historiques ou nouveaux entrants, qui poussent leurs feux internationalement à un rythme soutenu, devrait changer la donne. Qu’ils soient français, allemands, britanniques ou espagnols, tous se préparent à l’offensive. Dans un secteur en pleine transformation, le digital peut apporter transparence et fluidité au marché.
Dernier kilomètre : vers de multiples solutions…
Encore plus qu’en 2019, l’enjeu du "dernier kilomètre" sera au cœur des préoccupations des commerçants. Il fera l’objet d’une intense réflexion influencée par 2 courants majeurs.
- L’approche omni-canale : on redécouvre les vertus de la livraison en magasin, en points relais ou à proximité chez son voisin. L’offre digitale s’intensifie pour couvrir la multiplicité des possibilités et proposer un mix de solutions. Ce courant est fortement influencé par son grand cousin, le MaaS : Mobility as a Service ; il recherche un optimum dans toutes les solutions de déplacement des personnes proposées au cœur de la ville.
- L’approche sociétale : le dernier kilomètre doit être effectué par un véhicule "propre", électrique de préférence. Il doit être collaboratif, la mutualisation des ressources et des commandes permettant une efficacité optimale. Enfin, la livraison doit être respectueuse de la ville et de ses habitants, c’est-à-dire opérer sans gêner la circulation ou le confort de ses habitants (en évitant les nuisances sonores, par exemple).
La distribution du dernier kilomètre est donc un concentré de toutes les grandes tendances que nous observerons en 2020 dans le transport. C’est un témoin particulier de l’irrémédiable changement d’époque auquel nous assistons !