Dans un contexte de taux de fret très bas, les surcharges mises en place par les compagnies maritimes augmentent l’enveloppe globale.
Les compagnies maritimes peinent actuellement à imposer des augmentations générales de tarifs, dans un contexte de demande faible et d’offre durablement excessive. Parallèlement, le climat géopolitique pèse sur leurs coûts, alors que les résultats d’exploitation se dégradent depuis plusieurs mois. Cette conjonction de facteurs est donc propice à la mise en place de surcharges temporaires, pour compenser au moins partiellement ce qui ne peut l’être par les taux de fret de base.
La démarche n’est pas nouvelle. Les compagnies maritimes utilisent depuis longtemps le système des surcharges pour répercuter sur la marchandise des surcoûts en théorie non prévus, tout en tentant ainsi de restaurer leurs marges. Lorsque les taux de fret maritime ont flambé, après la pandémie de Covid, les compagnies ont mis la pédale douce sur les surcharges, les taux de fret étant alors plus que suffisants pour couvrir les coûts. Mais aujourd’hui, la donne a radicalement changé.
Un renchérissement des surcharges en 2024
Certaines surcharges étaient attendues comme la nouvelle surcharge ETS, correspondant à l’application du système d’échanges de quotas d’émission de CO2 dans le transport maritime, à compter du 1er janvier 2024. D’autres prennent une ampleur plus inattendue, comme les surcharges pour risques de guerre.
Nous constatons donc une probabilité très forte de renchérissement du facteur "surcharges" dans les achats de fret conteneurisé. Dans certains cas, le cumul de ces surcharges peut représenter 20% des taux de fret. Si les grands chargeurs sont en position de force pour intégrer tout ou partie de ces surcharges plus ou moins temporaires dans leurs négociations de fret annuelles (BCO contracts), sur le marché spot, en revanche, les surcharges s’ajoutent aux tarifs de base. Les compagnies maritimes feront d’autant plus d’efforts pour les faire appliquer que ces surcharges peuvent contribuer à rétablir une tarification du spot au-dessus du contrat, corrigeant ainsi une anomalie de marché qui n’a que trop duré aux yeux des opérateurs.
1/ Le cas particulier des surcharges ETS
Le système d’échanges de quotas d’émissions (ETS) de l’Union européenne sera appliqué dans le transport maritime à partir du 1er janvier 2024, avec une montée en charge progressive sur 3 ans. Les compagnies maritimes seront en effet tenues de déclarer leurs émissions de CO2 et d’acheter un montant équivalent de quotas sur le marché EU ETS selon le calendrier suivant :
- en 2024, 40 % des émissions déclarées devront être converties en quotas
- en 2025, 70 % des émissions déclarées devront être converties en quotas
- à partir de 2026, 100 % des émissions déclarées devront être converties en quotas
L’entrée en vigueur de ce dispositif représente donc un coût pour les compagnies maritimes, qui ont annoncé l’application d’une surcharge ETS. Celle-ci présente la particularité de ne pas être temporaire, puisqu’elle va au moins s’étendre sur plusieurs années. Les quatre principales compagnies maritimes européennes ont publié au début de l’automne une première estimation de ce que pourrait être le montant de ces surcharges début 2024.
NB : ces estimations, fournies par les compagnies maritimes, sont sujettes à modification. *Maersk publie sur la base d’un conteneur 40’. Nous avons divisé le montant par deux pour présenter une estimation en EVP alignée sur le reste du marché, mais cela ne signifie pas que la compagnie adoptera ce mode de calcul. Les communiqués officiels des compagnies peuvent être retrouvés en cliquant sur les liens ci-après. Sources des données : CMA CGM, Maersk, MSC, Hapag Lloyd.
2/ Les surcharges Risques de guerre
Les surcharges pour Risque de guerre sont appliquées lorsque les marchandises transitent à proximité de zones de conflit. Le chargeur contribue en quelque sorte au maintien d’un service malgré des conditions d’exploitations dégradées et dangereuses. La surcharge se justifie en principe par le fait que l’assureur applique lui-même une surtaxe à la compagnie maritime, mais ce n’est pas toujours le cas, d’où un gisement possible de marge supplémentaire pour les compagnies maritimes.
Aujourd’hui, les zones de tensions géopolitiques ne manquent pas. La guerre entre la Russie et l’Ukraine a fait de la Mer Noire un lieu particulièrement exposé. Un navire turc a ainsi heurté une mine début octobre. Depuis plusieurs années, les incidents se multiplient par ailleurs en Mer de Chine. Enfin, la résurgence du conflit israélo-palestinien et ses risques de contagion régionale ont réveillé les menaces sur une zone maritime clé dans le transit marchand planétaire. À l’échelle locale, l’impact est d’ores et déjà sensible pour la desserte des ports israéliens. La compagnie ZIM a annoncé la poursuite des opérations, avec l’application d’une surcharge Risque de guerre premium. Les conséquences de ce conflit dépassent toutefois largement la sphère locale.
Pour les opérateurs pétroliers, le détroit d’Ormuz est connu comme une zone ultra-sensible, mais en cas d’embrasement, le golfe d’Aden et le Canal de Suez, tout proches, sont également très exposés. Et dans ces deux cas, le transport maritime conteneurisé est directement impacté. Un blocage du canal de Suez imposerait aux compagnies maritimes de lignes conteneurisées de mettre en place des contournements massifs par le Cap. Si elle se généralise, cette option déjà utilisée par certains opérateurs nécessiterait de faire entrer beaucoup plus de navires en ligne. Cela ne dérangerait pas forcément les compagnies, au contraire. En revanche, les délais d’acheminement s’en trouveraient considérablement allongés.
3/ Les surcharges carburant complémentaires
Au fil du temps, certaines surcharges ont été intégrées dans le calcul des taux de fret. C’est par exemple le cas de la BAF (Bunker Adjustment Factor), liée à la variation du prix du carburant, ou de la CAF (Currency Adjustment Factor), qui prend en compte la variation des taux de change. Il en est de même pour les surcharges ISPS (sécurité maritime et portuaire) et MARPOL.
Cependant, le risque d’une spéculation autour des produits raffinés est aujourd’hui très élevé. Le différentiel de prix s’est resserré entre l’IFO 380, au-dessus des 500 USD la tonne, et le VLSFO qui se négocie aux alentours des 600 USD la tonne sur les marchés libres de Rotterdam et Singapour. Ce sont déjà des niveaux élevés, et en cas d’embrasement, ils risquent fort de remonter encore, d’où un risque de mise en place généralisée d’une "Emergency Baf Surcharge" (EBS) pour tenir compte des potentiels surcoûts.
Le recours à des carburants alternatifs plus vertueux mais plus chers pourrait également donner lieu à l’introduction de nouvelles surcharges spécifiques, en plus des LSF surcharges (Low Sulfur Fuel surcharges). C’est déjà le cas chez Maersk, pour tenir compte de la montée en charge du e-méthane dans le mix énergétique.
4/ Surcharge Aden
Assez extensible dans son interprétation, cette surcharge couvre à l’origine les surcoûts liés à la sécurisation des convois marchands dans cette zone face au risque de piraterie. L’accroissement des risques dans la traversée du Golfe d’Aden, en cas d’élargissement du conflit israélo-palestinien, pourrait faire grimper significativement cette surcharge au-delà de la couverture initiale du risque de piraterie.
5/ Surcharge Suez Canal
L’administration du canal de Suez vient d’annoncer une surcharge supplémentaire de 15% dans le sens Asie-Europe à compter du 15 janvier 2024 pour certains navires. En cas d’embrasement du conflit, une contribution de la marchandise pour couvrir les coûts de sécurisation militaire du Canal si ce dernier reste ouvert pourrait s’ajouter aux surcharges pour risques de guerre qui sont pour leur part liées aux tarifs d’assurance.
6/ Peu de surcharges pour congestion
À l’inverse, les surcharges pour congestion portuaire, qui ont fleuri lors de la forte reprise de l’activité économique qui a suivi les la levée des confinements liés au Covid, font désormais figure de lointain souvenir. Mis à part en sortie des ports turcs et des ports de Mer Noire, ces surcharges ne sont aujourd’hui quasiment plus activées par les opérateurs maritimes sur l’ensemble de la planète.