En janvier dernier, lors de notre traditionnel exercice de prévisions du début d’année, nous évoquions trois hypothèses pour le transport maritime conteneurisé :
À mi-parcours, nous vous proposons d’affiner ces hypothèses, en commençant par tirer les leçons d’un premier semestre sans équivalent dans toute l’histoire de la conteneurisation.
1 / La tension du marché s’auto-alimente
Blank sailings, pénurie d’équipements, congestion portuaire : petit à petit, le chaos généralisé s’installe sur les marchés pour devenir une nouvelle norme. La notion de prix est totalement dé-corrélée du service associé, et la spirale inflationniste sur les taux de fret échappe à tout contrôle.
2 / Le report modal s’accélère mais ne peut satisfaire l’ensemble de la demande
Les Routes de la Soie ferroviaires montent en puissance mais représentent seulement au total la capacité d’une vingtaine de navires par an. C’est donc une solution à la marge qui a démontré sa pertinence, mais ce n’est pas encore un "game changer".
3 / La demande occidentale exponentielle entretient le gonflement de la bulle
Pour utiliser un mot à la mode, la "résilience" des consommateurs américains et européens étonne, dans l’actuel contexte pandémique. Alors que la fabrication à la commande se généralise, la hausse de prix et surtout l’allongement des délais de livraison à 2 voire 3 mois ne semblent pas décourager la demande du consommateur final qui continue à payer cash à la commande. Cette tendance est une nouveauté, sans doute favorisée par le développement du e-commerce, qui bouleverse aujourd’hui totalement et durablement les comportements d’achat.
4 / Le nearshoring massif et rapide n’a pas eu lieu
Avant même que la pandémie de Covid-19 ne se déclenche, les directions Supply Chain occidentales commençaient à se poser la question de la diversification du sourcing et du nearshoring, pour éviter une trop grande dépendance par rapport à la Chine. La pandémie aurait pu donner un coup d’accélérateur à ce mouvement. Mais force est de constater qu’il n’en est rien. La Chine reste "l’usine du monde", même si les sourcings alternatifs se développement à la marge. Malgré l’augmentation constante du coût des matières premières, la Chine reste à ce jour imbattable sur les prix pour la majorité des produits que nous consommons.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le déficit du commerce extérieur des États-Unis ou de l’Europe avec la Chine continue de se creuser, malgré les volontés politiques de rééquilibrage.
5/ La période post-covid n’est pas encore en vue
La perspective d’un retour rapide au "monde d’avant" s’éloigne, au gré des nouveaux variants et de l’alternance de déconfinements/reconfinements. Sans approche globale planétaire, et non par zone ou par hémisphère, il apparaît aujourd’hui impossible de venir à bout de la pandémie. Les acteurs économiques doivent composer avec cette incertitude.
Fort de ces constats, nous nous proposons de réévaluer pour le second semestre les trois scénarios d’évolution du transport maritime conteneurisé que nous avions proposés en janvier dernier pour 2021.
1/ L’inversion du rapport de force
Ce scénario s’éloigne, en tout cas à très brève échéance, d’une part à cause de l’injection massive de liquidités dans la consommation occidentale pour contenir toute explosion sociale, et d’autre part par manque d’options alternatives.
Les effets d’annonce de taux FAK à 20 000 USD le 40’ entre l’Asie et l’Europe à partir de juillet constituent un "stress test" grandeur nature pour nos économies. Au mieux, la tendance est révélatrice d’une surchauffe momentanée. Au pire, elle annonce un risque de glissement rapide vers une situation beaucoup plus grave, l’hyper-inflation entraînant le triptyque infernal de la hausse des taux de crédit, du renchérissement des dettes publiques et privées et de l’érosion du pouvoir d’achat.
Ce scénario noir sur un plan économique doit être pris au sérieux. Cela reste peu probable, mais le risque n’est pas nul dans un contexte de crispation politique avec la Chine et de pandémie planétaire toujours loin d’être sous contrôle.
2/ Les compagnies maritimes gardent la main
C’est aujourd’hui le scénario le plus probable pour le deuxième semestre. Autant il est légitime que les compagnies maritimes puissent gagner sereinement leur vie et financer les enjeux environnementaux et organisationnels auxquels elles sont confrontées, surtout après des décennies noires, autant l’emballement incontrôlé risque de susciter des réactions difficilement maîtrisables.
Les compagnies maritimes sont les premières à le savoir, et l’appel à une sagesse relative fait son chemin. Tout l’enjeu consiste désormais à faire atterrir le marché en douceur mais à des niveaux élevés, c’est-à-dire des taux FAK à 5 chiffres par 40’ sur les trades majeurs.
La discipline exemplaire qui a prévalu jusqu’à présent pourrait pourtant se fissurer face à la divergence d’intérêts entre le "camp" occidental et la Chine.
On peut raisonnablement estimer qu’on arrivera durant l’été au terme de la flambée des prix. Pour contenir la tendance inflationniste des taux de fret, Cosco pourrait s’appuyer sur des conversions massives de trafics FOB en CIF à destination de l’Europe et des États-Unis. Les compagnies coréennes pourraient aussi être tentées d’intervenir, dans une logique de prise de part de marché. Certaines se sont déjà illustrées par le passé dans cet exercice de prise à contre-pied du marché.
3/ Une régulation politique
Un sursaut reste toujours possible, surtout si les menaces associées à l’hyper-inflation s’installent dans le débat. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, l’impuissance prédomine. Les politiques commerciales des compagnies maritimes ne sont pas scrutées de trop près par les autorités de régulation. Globalement, ce troisième scénario a donc perdu de son crédit au cours du premier semestre.