Commerce international

Tarifs douaniers : les pistes de riposte de l’Union européenne

14 mars 2025

La guerre commerciale relancée par Donald Trump vise clairement l’Union européenne, même si les impacts sont pour l’instant limités. Le secteur automobile américain pourrait être ciblé par les contre-sanctions.

La nouvelle présidence Trump se démarque déjà par son inconstance. Durant la campagne présidentielle, Donald Trump a promis des tarifs douaniers sur tous les produits européens dans une fourchette comprise entre 10 et 20%. À son arrivée à la Maison Blanche, il a maintenu ses promesses tarifaires à l’encontre de l’UE tout en instaurant uniquement ceux déjà mis en place contre l’acier et l’aluminium (25%) [1] lors de son premier mandat [2]. Pour le moment, les annonces ne sont donc que partiellement suivies d’effet : les droits de douanes américains restent en-deçà des promesses, et ils ne sont pas uniquement réservés à l’UE.

Une menace qui se précise envers l’Union européenne

Cependant, la menace pèse lourd et se précise. Donald Trump a réaffirmé le 26 février sa volonté d’imposer "prochainement" 25% de droits de douane sur les produits européens.

Le président justifie cette guerre tarifaire par une relation commerciale qu’il juge déséquilibrée entre les États-Unis et l’Union européenne. Le président américain est également vent debout contre l’environnement juridique européen qu’il considère comme portant atteinte aux intérêts des entreprises américaines. Enfin, Trump souhaite instaurer une réciprocité tarifaire qui pourrait faire beaucoup souffrir des secteurs commerciaux européens sensibles et déjà fragilisés, comme celui de l’automobile.

Sous la présidence Biden, la dépendance des États-Unis vis-à-vis des produits européens a effectivement augmenté. Ceux-ci représentant aujourd’hui près de 25% de ses importations en valeur.

À l’inverse, les importations de biens en provenance des États-Unis ne représentent que 15% du total des importations européennes. La balance commerciale est négative pour les Américains – d’environ 157 milliards d’euros en 2023. Pourtant, la relation commerciale dans son ensemble, si l’on cumule les biens et les services, est plutôt équilibrée. Les États-Unis jouissent même d’un excédent commercial de 109 milliards dans les services en 2023. C’est d’ailleurs ce que s’est empressé de rappeler Mavros Sefcovic [3], le Commissaire européen en charge des questions commerciales, suite aux propos de Donald Trump. La balance commerciale globale (biens et services) était excédentaire de 48 milliards d’euros, soit presque 30 milliards de moins que deux ans plus tôt. Si l’on regarde les biens et les services, la balance commerciale positive européenne a donc tendance à se réduire.

Si le nouveau président met ses menaces à exécution, l’Union européenne a promis des actions en représailles, même si elle n’en pas encore dévoilé tous les contours [4]. Celles-ci pourraient prendre quatre formes :

  • Des droits de douanes sur certains produits américains.
  • L’usage de l’instrument européen anti-coercition économique.
  • Des contrôles à l’export dans des secteurs vitaux à l’appareil industriel américain.
  • Des "taxes" ou droits de douanes appliqués aux services en provenance des États-Unis.

Deux aspects sont importants pour analyser l’impact sur les flux logistiques transatlantiques : les catégories de produits qui pourraient être touchés par des sanctions américaines et des contre-sanctions européennes et la nature de ces biens (conteneurisable ou en vrac).

Les droits de douanes sur l’aluminium et l’acier 

Pour le moment, les attaques américaines restent ciblées. Les produits en acier et en aluminium sur lesquels l’administration Trump va appliquer des droits de douanes représentent 2,6% des exportations européennes vers les États-Unis pour l’année 2024, soit près de 15 milliards d’euros. Au cours des dernières années, la part de marché des produits européens dans ce secteur d’activité aux États-Unis s’est élargie, passant de 12 à 14% entre 2020 et 2024 [5].

En appliquant des droits de douanes sur cette catégorie de produits, les États-Unis rétablissent des sanctions tarifaires auparavant levées par l’administration Biden, en invoquant une incapacité des pays visés à exercer une auto-restriction de leurs exports vers les États-Unis. Ces mesures tarifaires ont donné lieu dans le passé à des contre-mesures dites "de sauvegarde" de la part de l’UE, en 2018 et en 2020. Parmi les produits visés par les contre-mesures figuraient des articles emblématiques américains comme les Harley Davidson et les jeans Levi’s.

  • La riposte de l’UE

La Commission européenne a choisi de laisser ces contre-mesures s'appliquer de nouveau à compter du 1er avril, sans avoir à légiférer. En effet, le dernier règlement européen concernant ces contre-mesures douanières prévoyait simplement une suspension jusqu’au 31 mars 2025 [6]. Cela lui permet de répondre de façon ciblée et proportionnelle à l’attaque américaine et de rester dans le cadre du droit commercial international.

Cependant, les États-Unis veulent aller plus loin. Le secrétaire américain au Commerce va établir d'ici le 12 mai 2025 un dispositif par lequel les États-Unis continueront à étendre la liste des produits dérivés de l'acier et de l'aluminium soumis à des droits supplémentaires pouvant aller jusqu'à 25 %. Les droits de douane américains affecteront ainsi un total de 26 milliards d'euros d'exportations de l'UE, ce qui correspond à environ 5 % du total des exportations de marchandises de l'UE vers les États-Unis.

La Commission européenne a donc elle-aussi décidé d’étoffer sa riposte, avec un nouveau paquet de contre-mesures additionnelles, qui cibleront des marchandises représentant une valeur d’environ 18 milliards de dollars. "L'objectif est de faire en sorte que la valeur totale des mesures de l'UE corresponde à l'augmentation de la valeur des échanges commerciaux affectés par les nouveaux droits de douane américains", indique la Commission.

La première étape de ce processus consiste à lancer une consultation de deux semaines avec les parties prenantes de l'UE. "Ces consultations permettront de s'assurer que les bons produits sont choisis pour être inclus dans les nouvelles contre-mesures, garantissant ainsi une réponse efficace et proportionnée qui minimise les perturbations pour les entreprises et les consommateurs de l'UE", indique la Commission. Le 12 mars, la liste des produits ciblés proposée par la Commission a été publiée sur le site de la DG Trade. Elle inclut des produits industriels (produits en acier et en aluminium, textiles, articles en cuir, appareils électroménagers, outils ménagers, plastiques, produits en bois) et des produits agricoles (volaille, bœuf, certains fruits de mer, noix, œufs, produits laitiers, sucre et légumes).

La phase de consultation se terminera le 26 mars. La Commission analysera alors les contributions, finalise son projet d'acte d'exécution et consultera les États membres sur ce document. "La base juridique de cet acte sera le règlement d'exécution (règlement (UE) n°654/2014), car nous considérons les mesures américaines comme des sauvegardes", précise la Commission.

Le processus d’adoption doit s’achever mi-avril, pour une entrée en vigueur des contre-mesures à cette même échéance.

La potentielle mise en place d’une réciprocité tarifaire

Il est peu probable que Donald Trump s’arrête aux droits de douane sur l’acier et l’aluminium. L’administration américaine a expliqué vouloir instaurer une réciprocité tarifaire, à savoir appliquer le même droit de douane, pour un produit donné, que celui qui est appliqué au même bien américain exporté. Œil-pour-œil, dent pour dent. L’application d’une telle mesure pourrait causer d’importants dommages dans des secteurs déjà fragilisés, comme celui de l’automobile européenne. En effet, l’UE applique un droit de douane de 10% sur les automobiles américaines (c’est d’ailleurs le droit de douane le plus bas appliqué sur ce produit pour l’Union européenne), alors que les États-Unis n’appliquent qu’une barrière tarifaire de 2,5% sur les mêmes produits. Pour autant, les États-Unis appliquent des droits de douanes plus élevés sur d’autres segments du secteur automobile - 25% par exemple sur les camionnettes, qui sont les véhicules les plus vendus sur le sol américain.

L’objectif de l’administration américaine, avec la réciprocité tarifaire, est de forcer ses partenaires commerciaux à conclure de nouveaux "deals" commerciaux. Ces accords contreviendraient cependant au droit international commercial tel qu’il fonctionne actuellement. En effet, le commerce, tel qu’il a été pensé depuis 1945, ne permet pas la réciprocité tarifaire puisqu’il fonctionne sur la base du principe de la nation la plus favorisée [7]. Les mesures de représailles systématiques qu’appellerait la mise en place américaine d’un système de réciprocité tarifaire ne seraient également pas conformes au droit commercial international, car seules des contre-mesures proportionnelles et exceptionnelles peuvent être admises. Face à un nouveau "principe de réciprocité" américain, l’UE pourrait multiplier les mesures ciblées pour sanctionner les exports américains. Cela lui permettrait de rester en conformité avec le droit international commercial et donc d’être en capacité de défendre ces mesures devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC.

Les leviers de contre-sanctions les plus efficaces pour l’UE

Des mesures ciblées de l’UE sur des produits américains les plus vendus sur le marché européen, peuvent faire suffisamment mal aux producteurs américains pour qu’ils fassent à leur tour céder l’administration Trump. Étant donnée la composition des exports américains vers l’UE, trois catégories de produits américains semblent particulièrement sensibles : les produits énergétiques, les produits médicamenteux et pharmaceutiques, et les produits connexes à l’industrie automobile.


  • Les produits énergétiques : peu probable

Les imports de produits énergétiques en provenance des États-Unis sont liés aux circonstances particulières de la guerre en Ukraine et au choix européen de limiter ses importations en provenance de Russie. Ainsi, les États-Unis représentaient 17% des importations de pétrole et plus de 47% des importations de gaz européennes [8] au premier trimestre de 2024. Les États-Unis étant un fournisseur stratégique d’énergie pour l’UE, il est peu probable que celle-ci sanctionne les exports américains dans cette catégorie. À l’exception de la Norvège, l’UE n’a pas d’autre fournisseur majeur à substituer aux produits russes.

Par ailleurs, des contre-mesures tarifaires sur l’énergie seraient répercutées en termes de prix sur les consommateurs européens et impacteraient tous les segments de l’économie européenne. L’UE pourrait, au mieux et de manière limitée, privilégier les importations en provenance de son voisin norvégien (ou d’autres fournisseurs), mais cela ne constitue pas une contre-mesure commerciale d’ordre tarifaire. Le levier des hydrocarbures n’est donc pas le candidat idéal dans l’arsenal tarifaire européen.

  • Les produits pharmaceutiques et médicaux : possible mais peu probable

Une deuxième possibilité pour l’UE serait de sanctionner les produits pharmaceutiques et médicaux en provenance des États-Unis, en diversifiant les sources d’approvisionnement. Ces produits représentaient 17% des exports américains vers l’Union européenne en 2024 : c’est aussi la deuxième catégorie d’exports qui a le plus progressé depuis 2020 après les hydrocarbures suite au début de la guerre en Ukraine et la décision européenne de diminuer son approvisionnement en provenance de Moscou.

Au sein de la catégorie pharmaceutique et médicale, trois types de produits représentent plus d’un tiers de ces exports : les vaccins (26,6 milliards d’euros), les médicaments (13,5 Md€) et les hormones (8,5 Md€). Sanctionner ces produits et avoir recours temporairement à d’autres sources d’importations permettrait de mettre la pression sur une industrie américaine dont le marché européen est l’un des principaux débouchés.

Toutefois, l’épidémie de Covid 19 a souligné la trop grande dépendance de l’UE vis-à-vis de la Chine en termes de médicaments et composés pharmaceutiques [9]. Depuis lors, l’augmentation radicale des importations en provenance des États-Unis, pays allié, s’est inscrite dans une tentative européenne de diversifier des sources d’approvisionnement et de limiter la dépendance vis-à-vis de la Chine. Un retour en arrière est peu à même d’emporter le consensus parmi les pays européens, y compris au sein des institutions européennes : Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, s’est notamment montrée jusqu’ici vigilante en ce qui concerne la Chine. Par ailleurs, l’UE exporte également beaucoup de produits et composés pharmaceutiques vers les États-Unis. Sanctionner les composés en provenance des États-Unis pourrait avoir un impact sur la production de produits médicaux ou pharmaceutiques manufacturés destinés à l’export, essentiellement en provenance d’Irlande et à destination du marché américain.

Pour ces deux raisons - le risque d’accentuer la dépendance vis-à-vis des composés chinois, comme la possibilité de sanctionner l’industrie européenne pharmaceutique à l’export – les produits pharmaceutiques ne sont pas le choix le plus opportun pour des contre-mesures européennes.

  • Les produits à destination du secteur automobile (véhicules et pièces) : très probable

Les produits à destination du secteur automobile font partie du "podium" des catégories de produits les plus importés en Europe depuis les États-Unis. Ces articles ne sont pas stratégiques, comme les hydrocarbures ou les composés médicamenteux. Ils ne sont pas non plus nécessaires à la fabrication de produits destinés à l’export comme peuvent l’être certains produits pharmaceutiques. Par ailleurs, les sanctions américaines à l’import sur l’acier et l’aluminium incluent de fait certains produits à l’export, issus de ces matériaux, côté européen. Enfin, mettre en place des contre-mesures européennes aurait un impact conséquent sur l’industrie automobile américaine, très chère à l’électorat du président américain. Cette catégorie semble donc être la piste la plus probable parmi les produits américains qui pourraient être ciblés par l’Union européenne si des mesures de rétorsion s’imposent.

Conclusion

Les sanctions américaines sur l’acier et l’aluminium européens vont avoir un effet à la baisse sur les flux de biens conteneurisés exportés vers les États-Unis. Les sanctions ne concernent toutefois que 5% des exportations européennes (26 Md€) et il reste peu probable que les industries américaines trouvent une alternative domestique ("américaine") viable à ces produits européens. L’hypothèse que les exports européens vers les États-Unis dans cette catégorie de produit demeurent inchangés est donc plausible. La réintroduction des mesures européennes de sauvegarde pourrait impacter à la baisse le flux de biens conteneurisés en provenance des États-Unis, mais seulement à la marge, puisque les produits visés sont très spécifiques (Harley Davidson, jeans, etc.).

Parmi les contre-mesures à disposition de l’UE, celles sur les produits issus du secteur automobile paraissent plus probables. Elles n’auraient là encore que peu d’impact sur les flux de biens conteneurisés depuis les États-Unis.

Toutefois, la Commission européenne va devoir imposer sa voix face à certains États européens. Sur les questions commerciales, c’est l’Union européenne qui décide des contre-mesures, puisqu’elle possède la compétence exclusive sur le commerce. Pourtant, certains États européens sont très dépendants du commerce avec les États-Unis, et pourraient rechigner à imposer des contre-sanctions. En 2023, plus de 45% des exports irlandais, 22% des exports italiens et allemands étaient destinés aux États-Unis. Treize pays européens (sur les 27) trouvent plus de 15% de leurs débouchés sur le marché américain. Il est donc probable que les négociations intra-européennes seront ardues sur ce sujet et que d’autres mesures comme une taxe sur les services ou la mise en application de la procédure européenne anti-coercition économique soit privilégiée.


[1] Maison Blanche, "Fact Sheet: President Donald J. Trump Restores Section 232 Tariffs", 11/02/2025.

[2] Ces tarifs douaniers ne visent pas uniquement les produits européens mais tous les produits de cette catégorie sur lesquels des accords spécifiques d’exclusion avaient été signés avec les États-Unis pendant la président Biden : sont donc également concernés l’Australie, le Brésil, le Canada, le Mexique, le Japon, la Corée du Sud et le Royaume-Uni.

[3] Commission européenne, "Speech: Remarks by Commissioner Šefčovič at the press conference following the joint informal Competitiveness and Foreign Affairs Council meeting", 04/02/2025.

[4] Commission européenne, "Statement by President von der Leyen on announced US tariffs", 10/02/2025.

[5] Calculs personnels, source : USITC.

[6] Commission européenne, "Règlement d’exécution (UE) 2023/2882 de la Commission du 18 décembre 2023 suspendant les mesures de politique commerciale visant certains produits originaires des États-Unis d’Amérique instituées par les règlements d’exécution (UE) 2018/886 et (UE) 2020/502 , 18/12/2023, article 2.

[7] Ce principe oblige un membre A qui souhaite donner un tarif préférentiel à un membre B à appliquer ce nouveau tarif à l’ensemble des nations avec qui il commerce.

[8] Eurostat, "EU imports of energy products continue to drop", 01/07/2024.

[9] Lou Roméo, "La dépendance à la Chine au cœur de la pénurie mondiale d’Amoxiciline et de Paracétamol », France 24, 24/12/2022.

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Camille Brugier est chercheuse en sciences politiques, spécialiste de la Chine.
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