Analyse Transport & Logistique

Conteneurs : nos scénarios pour le 2è semestre 2023

04 juillet 2023

La morosité prédomine dans le secteur du transport maritime de conteneurs en ce début de 2è semestre. Des restructurations et des recompositions paraissent inévitables.

En début d’année, nous avions établi trois scénarios possibles pour l’activité de transport maritime conteneurisé en 2023, alors que le monde connaissait à la fois une accalmie de la surchauffe économique et un accroissement des tensions géopolitiques. Pour commencer, examinons rapidement ce qu’il est advenu de nos différentes hypothèses.

  • Le scénario 1 envisageait une implosion des Alliances maritimes. Il s’est confirmé assez rapidement, avec l’annonce du divorce amiable Maersk/MSC. Certes, cela reste un cas pour l’instant isolé, mais il concerne les deux plus grands acteurs du secteur.

  • Le scénario 2 tablait sur le maintien de la "carrier discipline", autrement dit sur la capacité des compagnies maritimes à maintenir un strict contrôle de l’adéquation de l’offre à la demande. Ce scénario a globalement échoué pour les compagnies, tant la chute des volumes a été forte. La diminution de la vitesse commerciale des navires et les annulations d’escales n’ont pas suffi pour enrayer l’effondrement des taux de fret.

  • Le scénario 3 partait de l’hypothèse d’un embrasement du conflit russo-ukrainien et/ou d’un durcissement des tensions avec la Chine autour de Taiwan. Fort heureusement, ce scénario catastrophe ne s’est pas concrétisé. Mais ces deux fronts restent des "game changer" potentiels importants pour l’activité maritime conteneurisée, avec un degré d’inquiétude sensiblement plus élevé qu’en début d’année, car aucun de ces deux conflits n’a pour l’instant avancé vers une solution pacifique.

En dehors du scénario 3, bien imprévisible, quatre facteurs économiques principaux se dégagent pour évaluer l’évolution de la situation des marchés du transport maritime conteneurisé au deuxième semestre 2023 :

  1. L’état des stocks du retail occidental.
  2. La maîtrise de l’inflation en Europe et aux États-Unis.
  3. Une surcapacité qui s’installe dans la durée avec des arrivées de navires neufs supérieures aux sorties des vieilles unités, alors que la demande retrouve ses niveaux de 2019 en volume.
  4. Les volumes durablement perdus pour l’activité maritime de très longue distance, suite aux mouvements de relocalisation et de recherche de sources d’approvisionnement alternatives.

Après avoir dressé un bilan des grandes tendances constatées dans le transport maritime conteneurisé au premier semestre 2023, attaquons-nous maintenant au délicat exercice de prospective pour le deuxième semestre 2023.

1/ L’état des stocks du retail occidental

Après les premiers confinements liés à la pandémie de Covid-19, les entreprises du retail ont procédé à des commandes massives. Il s’agissait pour elle de faire face à la reprise vigoureuse de la demande, mais aussi de constituer des stocks de précaution, après avoir été échaudées par la paralysie des supply chains quasiment du jour au lendemain lors des premiers confinements. Depuis, la demande s’est considérablement calmée, et les marchandises commandées se sont accumulées dans les entrepôts, alors qu’elles sont désormais obsolètes ou en tout cas difficile à vendre.

La tendance est certes à la décrue des stocks partout dans les économies occidentales, mais cette décrue reste très lente. Selon le Wall Street Journal, la valorisation des stocks des grossistes américains s’élevait à 915,7 milliards d’USD en avril, en repli de 0,1% seulement par rapport à mars. Mais ce qui est surtout frappant, c’est de noter que ce niveau de valorisation reste 33,5% supérieur à celui d’avril 2019.

La question du "stock mort" et de son coût financier exponentiel dans le temps reste un "boulet" pour le retail occidental qui, soucieux de respecter une certaine orthodoxie financière, va continuer à favoriser la maîtrise des stocks avant de procéder à de nouvelles commandes massives.

Certes, pour une majorité de Supply Chain managers, le retour d’expérience incite à reconnaître que les stocks pré-pandémiques étaient trop justes, avec des marges de manœuvre de réassort rapides trop faibles. Dans les schémas d’organisation logistique post-Covid, il paraît assez cohérent d’avoir comme pied de pilote sur un plan financier une majoration de 10% du volume de stock par rapport à ce que l’on connaissait avant la pandémie.

Les compagnies maritimes espèrent donc un sursaut de réservations au 2è semestre 2023, dans le cadre de réassorts à grande échelle. Toutefois, l’ampleur de ce phénomène devrait rester beaucoup plus limitée que ce qu’espéraient encore les compagnies en début d’année. Le processus de "digestion" du stock physique existant par le marché aval est clairement trop lent, particulièrement en Europe. Les poches des acteurs économiques sont vides, les frais fixes ont flambé et les craintes sur l’emploi commencent à faire leur réapparition.

Globalement sur ce point 1, la projection pour le 2è semestre est donc plutôt défavorable pour les compagnies maritimes exposées aux marchés Est/Ouest.

2/ La maîtrise de l’inflation

Comme toujours avec les questions d’inflation, beaucoup de facteurs psychologiques et dogmatiques sont à prendre en compte pour évaluer la situation.

Alors que pendant la période pandémique, les États-Unis ont laissé filer volontairement l’augmentation des salaires en faisant tourner la planche à billet pour ne pas créer de choc négatif de pouvoir d’achat, l’Union européenne a eu une approche consistant plutôt à tout faire pour contenir l’augmentation des salaires au strict minimum, quitte à pénaliser lourdement les consommateurs.

Aux États-Unis, depuis quelques mois, la croissance des salaires ralentit, en même temps que l’inflation, afin de créer maintenant, dans un deuxième temps et de façon maîtrisée, un effet de ralentissement en douceur qui doit permettre à terme de détendre les taux d’intérêt.

En Europe, le choc négatif de demande se fait ressentir aujourd’hui plus fortement qu’aux États-Unis. La Banque centrale européenne, sous la houlette de sa présidente Christine Lagarde, a dans un premier temps fortement minimisé la situation inflationniste, avant d’être bien obligée de reconnaître que le phénomène prenait de l’ampleur et s’inscrivait dans la durée. Cela a nourri le mécontentement social et la défiance vis-à-vis du politique, dont la seule arme semble être une tentative de contrôle des marges de la distribution afin d’éviter d’éventuels abus.

Compte tenu des ressources des acteurs économiques, le ralentissement de l’inflation n’est pas suffisant pour favoriser une reprise de la demande plus globale. Puisque les salaires augmentent peu ou pas, seules les enseignes à prix bas et les soldeurs tirent leur épingle du jeu. En France, le Groupe Casino, déjà mal en point depuis plusieurs années, met un genou à terre. Globalement, dans la zone Euro, le volume des ventes du commerce de détail a régressé en février et mars 2023 en glissement annuel, et a stagné au mois d’avril.

De ce côté-là aussi, pour les compagnies maritimes, la situation ne s’annonce donc guère plus favorable au 2è semestre.

3/ La surcapacité vectorielle

Le renouvellement massif des flottes intervient dans un marché déprécié, avec des effets mécaniques lourds et désastreux.

Les compagnies font ce qu’elles peuvent pour retarder les mises en ligne de navires neufs et pour utiliser les navires les moins coûteux sur les lignes les moins rentables. Elles diminuent également les vitesses commerciales des navires pour raréfier mécaniquement l’offre, mais tout cela ne suffit pas. Le marché continue de dévisser dangereusement en-deçà des coûts d’exploitation.

De surcroît, la politique de cavalier seul du leader du marché MSC, qui joue sur les taux de fret pour accroître ses parts de marché dans un contexte baissier, crée un climat fratricide qui commence déjà à faire beaucoup de dégâts du côté des compagnies.

Sur ce point 3, la situation s’annonce difficile pour le 2è semestre 2023 mais également mécaniquement pour 2024, compte tenu des arrivées massives de nouveaux navires.

4/ Les volumes "perdus" qui ne reviendront plus

Le découplage a ses limites. La Chine reste un partenaire incontournable pour les échanges commerciaux des États-Unis et de l’Europe. Cependant, il est désormais réaliste d’intégrer dans les scénarios logistiques les notions de nearshoring et friend-shoring.

On peut estimer à environ 10 % la part des volumes qui se détourne au profit d’économies émergentes ou de nouvelles puissances industrielles plus proches des lieux de consommation. Les compagnies doivent donc s’adapter à un véritable recalibrage par rapport à la volumétrie de 2019 sur les liaisons longues distance. Celles qui cumulent des services de deep sea et de short sea s’en sortent déjà un peu mieux que celles qui sont actives uniquement sur le deep sea.

Là encore, mis à part pour certaines compagnies maritimes de niche qui ont une carte à jouer sur des marchés locaux de courte distance, les taux de fret risquent durablement de ne pas pouvoir couvrir les coûts.

En résumé, en ce début de deuxième semestre 2023, la morosité prédomine dans le secteur du transport maritime de conteneurs. Des restructurations et des recompositions paraissent inévitables avant la fin de l’exercice fiscal en cours. Comme me le confiait un acteur important du marché dernièrement, "le secteur saigne vraiment beaucoup maintenant, et on ne sait pas quand cette hémorragie s’arrêtera".

Voir également l'interview vidéo de notre expert maritime Jérôme de Ricqlès sur  le bilan du premier semestre 2023. 

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Expert du transport maritime depuis 25 ans, Jérôme met toute sa connaissance du secteur au profit d'Upply. Capitaine de navire dans l'âme, il est également l'auteur du Lexique anglais-français du transport maritime conteneurisé (Paris : CELSE, 2001).
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