Analyse Transport & Logistique

Transport conteneurisé : les 5 points à retenir du TPM25 

10 mars 2025

Notre expert maritime, Jérôme de Ricqlès, était à Long Beach pour le salon TPM dédié aux évolutions de nos métiers liés au transport maritime conteneurisé. Premier retour à chaud sur les sujets émergents, dans le contexte d’actualité assez fou du moment.

Pour son jubilé, l’édition 2025 du TPM de Long Beach a tenu toute ses promesses. Rassemblant pendant 4 jours les meilleurs spécialistes mondiaux du transport maritime conteneurisé, ce salon organisé par le Journal of Commerce (groupe S&P Global) a permis des discussions formelles et informelles très riches autour de conférences de haut niveau. Un lieu d’échange salutaire pour éviter de céder à des réactions trop épidermiques (ce qui n’est pas le plus évident pour tout le monde), dans le contexte géopolitique actuel qui bouleverse les fondements du commerce mondial.

Dans les semaines et les mois qui viennent, nous reviendrons de façon détaillée dans nos colonnes sur cette brillante édition du TPM. Mais sans plus attendre, chers lecteurs, nous avons souhaité vous faire part des 5 sujets majeurs que nous avons retenus comme déterminants pour l’évolution du transport maritime conteneurisé en 2025.

1/ Une vraie menace de congestion portuaire

Avouons-le, j’étais assez dubitatif sur ce risque régulièrement mis en avant par les compagnies maritimes, mais les arguments développés sont finalement plutôt solides. Ce n’est pas un chiffon rouge agité pour entretenir de la tension sur le marché.

L’erreur serait de s’arrêter à une lecture statistique du nombre de conteneurs traités dans chaque port pour évaluer le risque de congestion avéré. Il faut en fait pondérer cette approche par l’analyse des goulets d’étranglement multimodaux en entrée et en sortie des terminaux, voire même au sein des zones portuaires.

Dans cette perspective, Shanghaï, Ningbo et Los Angeles/Long Beach ont inquiété au cours de l’année 2024. Singapour aussi a montré des difficultés dans ses opérations de transbordement, réouvrant même de vieux terminaux complètements obsolètes.

L’espace foncier est optimisable, mais pas extensible par magie ou par décret. C’est un enjeu majeur pour le secteur.

2/ Un consensus toujours solide pour éviter le canal de Suez

Les compagnies sont unanimes sur la nécessité de ne pas se précipiter pour reprendre la route du canal de Suez. En effet, ce serait un facteur aggravant en matière de congestion portuaire, dans un chaos organisationnel global. Donc sans garanties se sécurité patentes, durables et solides, validées par les assureurs, il est urgent de procrastiner, et de commencer à restaurer les taux de fret pour les chargements de mars au départ d’Asie, ce qui est en bonne voie.

Comme nous l’envisagions dans notre scénario 1 pour 2025, MSC donne le la sur le marché, en remontant ses taux FAK. Alphaliner a révélé que contre toute attente, la compagnie avait retiré tous ses navires Megamax de 19 200 à 24 300 EVP des liaisons entre l'Asie et l'Europe du Nord, pour les positionner sur les liaisons Asie-Méditerranée et Asie-Afrique de l'Ouest. Comme en novembre dernier, les autres compagnies accompagnent globalement le mouvement, en tout cas pour l’instant. Les montagnes russes 2025 sont parties, les chargeurs vont devoir s’accrocher. 

3/ Une demande plus soutenue que prévue

"Stock, Baby, stock !" Même s’ils le font à contre-cœur, car la facture est salée, les chargeurs stockent massivement. Ce mouvement s’explique d’une part par le risque de congestion. Les souvenirs de rupture durant la pandémie de Covid-19 sont encore très vivaces. À cela s’ajoutent les menaces de droits de douane additionnels brandies par les États-Unis, qui incitent à anticiper les commandes. La Chine et ses satellites tirent pour l’instant très bien leur épingle du jeu.

4/ Pas de situation surcapacitaire sur les routes Est-Ouest

Selon le cabinet EeSea, l’augmentation réelle des capacités sur l’axe Asie-US n’est que de 4,8% entre 2020 et 2024. En effet, la généralisation du passage des porte-conteneurs par la route du cap de Bonne-Espérance absorberait environ 17% à 20% de la capacité sur l’axe Asie-Europe et l’axe Asie-US. Bien sûr, les annulations d’escales et les retraits de grands navires en dernière minute pèsent aussi sur le marché. L’ère des services réguliers hebdomadaires semble décidément avoir vécue, emportée par la pandémie : le "semi-liner" a gagné. 

Nous verrons si l’alliance Gemini, avec ses navettes, arrive à restaurer ce concept d’un navire retrouvant le même terminal, chaque semaine, à la même heure.

5/ Le renouveau d’une filière maritime US

Notre scénario 3 pour l’année 2025 évoquait "le grand réveil des États-Unis" : il semblerait qu’il soit lui aussi en passe de se concrétiser. C’est toute une filière maritime que l’administration Trump entend reconstituer. Il s’agit tout d’abord de sécuriser les routes maritimes mondiales, et les revendications territoriales affichées par le nouveau président illustrent assez précisément cet objectif. Mais l’administration Trump veut aller plus loin dans la souveraineté, en investissant massivement dans la construction navale, à la fois pour la marine marchande et le secteur militaire.

Il s’agit notamment de contrer la domination chinoise dans ce secteur. Suite à une investigation lancée sous l’administration Biden, qui a conclu à "l’existence d’actes, politiques et pratiques de la Chine visant à dominer les secteurs du transport maritime, de la logistique et de la construction navale", l’administration américaine du Commerce (USTR, United States Trade Representative) a d’ailleurs proposé d’instaurer de lourdes taxes ciblant les navires chinois :

  • 1,5 million de dollars par escale portuaire américaine pour les navires construits en Chine.
  • 500 000 dollars par escale pour un opérateur de navires comptant ne serait-ce qu'un seul navire construit en Chine dans sa flotte, ou en commande auprès d'un chantier naval chinois.
  • 1 million de dollars par escale pour les exploitants de navires basés en Chine, y compris Cosco.

L'USTR tiendra une audience publique sur les mesures proposées le 24 mars 2025, qui incluent également des dispositions pour favoriser le transport de marchandises américaines par des navires américains.

Le président Trump a annoncé la constitution d’un nouveau bureau de la construction navale qui sera directement piloté par la Maison Blanche, signe de l’importance stratégique accordée au sujet. Les Américains ont su relever un défi similaire dans les années 40, grâce au génie de Henri J.Kaiser, le père de la constructions modulaire moderne née des Liberty Ships. Le problème, c’est que ce miracle est ancien et que du côté des porte-conteneurs, le dernier navire construit pour Matson dans un chantier américain est une unité de seulement 4000 EVP, et qui a coûté environ 5 fois plus cher que s’il avait été fabriqué en Corée.

Le défi consistera donc d’une part à agir rapidement, et d’autre part à faire mieux que ce qui existe sur le marché par le biais d’innovations technologiques. Ce point est d’une importance capitale alors que l’évolution des armements, avec les systèmes miniaturisés et portatifs, réduit l’écart entre un navire militaire et un navire marchand, facilitant la mobilisation de ce dernier en cas de conflit.

S’il y a une chose que la France a compris depuis longtemps, c’est bien cette dimension stratégique de la marine marchande dans la souveraineté d’un pays voire d’un continent. L’Élysée n’hésite pas à afficher un soutien public à CMA CGM, et à veiller à la préservation des intérêts de ce "fleuron national". Ce savoir-faire stratégique s’exporte : à l’heure où il faut aller vite, mieux vaut capitaliser au moins en partie sur des briques déjà en place, alors que toute la filière maritime US est à reconstruire. Le 6 mars 2025, le groupe CMA CGM a annoncé un investissement de 20 milliards de dollars dans le transport maritime et la logistique aux États-Unis au cours des quatre prochaines années. Une partie de ces investissements, notamment dans les terminaux, étaient déjà prévus. Mais dans son communiqué, le groupe, qui est propriétaire de la compagnie américaine American President Lines (APL), insiste aussi sur sa volonté "d’accroître significativement la flotte de navires sous pavillon américain". Signe de l’accueil très favorable réservé à ce projet, Rodolphe Saadé, le dirigeant de CMA CGM, a été reçu par Donald Trump dans le bureau ovale de la Maison blanche.

Ces signes de coopération pourraient-ils valoir au groupe une certaine indulgence, malgré sa coopération avec Cosco et une flotte non négligeable de navires construits dans des chantiers navals chinois ou en commande auprès d’eux ? Une chose est certaine, le président américain parle fort mais doit aussi temporiser quand sa politique met en péril l’adhésion de sa base MAGA. On l’a vu sur les droits de douane additionnels avec le Mexique et le Canada, reportés d’un mois, puis instaurés, puis reportés à nouveau sur une large part de produits, sous la pression d’un certain nombre de lobbys américains.

Une première conclusion

Les CEO de l’industrie qui étaient présents lors du TMP 2025 ont tous fait savoir que la double peine actuellement envisagée, à savoir des droits de douane + une taxation des navires "chinois", serait bien trop lourde à supporter pour le consommateur et l’exportateur américain sur la durée, car profondément inflationniste. L’approche transactionnelle a de beaux jours devant elle, avec toute l’instabilité que cela crée.

Inscrivez-vous à la Newsletter


Expert du transport maritime depuis 25 ans, Jérôme met toute sa connaissance du secteur au profit d'Upply. Capitaine de navire dans l'âme, il est également l'auteur du Lexique anglais-français du transport maritime conteneurisé (Paris : CELSE, 2001).
Découvrir tous ses articles