Analyse Transport & Logistique

Transport maritime conteneurisé : nos trois scénarios 2025

07 janvier 2025

Les compagnies maritimes subissent une indéniable augmentation des coûts. Mais une surcapacité colossale et une concurrence vive menacent de compliquer la répercussion de cette inflation sur les taux de fret en 2025.

Notre exercice annuel de prospective intervient une fois de plus dans un environnement très incertain, mais les quelques constantes qui se dégagent peuvent apporter du crédit à une thèse plutôt qu’à une autre. Le lecteur pourra pondérer ces facteurs en fonction des spécificités de son activité pour évaluer sa situation propre et sa gestion de risque à partir de cette trame standard.

Avant d’aborder nos trois scénarios, passons en revue les éléments qui influent sur le contexte général dans lequel évolue le transport maritime conteneurisé.

1/ Les nouveaux facteurs inflationnistes qui pèsent sur les taux de fret

Un certain nombre de facteurs influent à la hausse sur l’évolution des taux de fret maritime. En voici une liste non exhaustive.

L’environnement économique

  • La concentration du marché accroît la puissance des très grands commissionnaires de transports internationaux. Ces groupes affichent pour 2025 des politiques de marge ambitieuses, et placent donc assez haut le curseur tarifaire (peut-être trop, cependant, compte tenu du contexte économique sur certains marchés).

  • Même si l’inflation a ralenti, on peut s’attendre à une hausse généralisée des tarifs de droits de ports et des prestations portuaires (lamanage, pilotage, remorquage, dragage, etc.). Les frais de manutention (Terminal Handling Charges) sont aussi en assez forte augmentation pour 2025 dans quasiment toutes les parties du globe, avec un effet de rattrapage de l’inflation de ces dernières années.

La gestion du risque géopolitique

  • Moyen-Orient: sur l’axe Asie-Europe, le passage par le Cap de Bonne-Espérance, pour éviter les attaques des Houthis contre les navires qui empruntent le canal de Suez, représente environ 1000 USD de coûts fixes supplémentaires par conteneur. Or à l’heure où nous écrivons, rien ne permet d’envisager un retour imminent, massif et sécurisé du trafic par la mer Rouge, malgré l’affaiblissement apparent de l’Iran.

  • Guerre Russie-Ukraine: le conflit russo-ukrainien représente une menace pour la sécurité des navires et des équipages en Mer Noire. L’impact est faible sur le transport maritime conteneurisé mondial, mais localement fort, au-delà de l’Ukraine, sur la Roumanie, la Bulgarie et dans une moindre mesure la Turquie.

  • Asie: les relations entre la Chine et certains de ses voisins, en particulier Taïwan et les Philippines, restent extrêmement conflictuelles, ce qui contribue à conserver de la tension sur le marché au-delà de la zone de transit physique concernée.

Les questions de sûreté-sécurité

  • Le transport maritime conteneurisé est confronté à des cyber-risques accrus, dans un double contexte de montée en puissance de la digitalisation et de reconnaissance de sa fonction stratégique en termes de souveraineté. Face à cette menace, le secteur est contraint de procéder à des investissements massifs, que nous évaluons à une dizaine de dollars supplémentaires par conteneur.

  • Le développement des véhicules électriques, et l’électrification des sociétés en général, accroît les besoins de transport de batteries lithium-ion. Or ces produits présentent un risque d’incendie plus important. Les risques d’emballement thermique associés sont toujours largement sous-évalués, et aucune réponse réglementaire internationale pertinente n’a encore émergé. Les compagnies d’assurance vont très probablement être amenées à durcir leurs conditions. Là encore, il va falloir ajouter une dizaine de dollars par conteneur pour mieux gérer ces risques qui ne concernent pas que les trafics rouliers.

  • La lutte contre le trafic de drogue, véritable gangrène de la conteneurisation moderne, devient un enjeu majeur pour les compagnies maritimes. En effet, elles ne peuvent juridiquement pas se retrancher totalement derrière la clause "said to contain" ou "disant contenir", pour s’exonérer de leur responsabilité quant au contenu des conteneurs FCL/FCL qui leur sont remis par leurs clients. Les compagnies vont devoir prouver, dans le cadre des enquêtes, qu’elles ont mis en place des process de contrôle avec des budgets cohérents associés. Nous pouvons ajouter encore une dizaine de dollars supplémentaires par conteneur à prendre en compte.

Les questions environnementales

  • La décarbonation du transport maritime nécessite des efforts en matière de recherche et développement de navires et de carburants verts, pour mettre au point des technologies dont les compagnies sont à la fois clientes et prescriptrices associées. La nécessaire accélération de la transition énergétique, face à l’urgence de la situation, représente encore un coût de quelques dizaines de dollars par conteneur, sans compter l’achat des carburants "verts" qui seront, en tout cas dans un premier temps, plus rares et plus chers que des distillats de pétrole.

  • On assiste à des phénomènes climatologiques extrêmes de plus en plus fréquents, auxquels les zones et infrastructures portuaires sont très exposées (Shanghaï et Valence dernièrement, par exemple). Cela génère des coûts d’exploitation supplémentaires qui seront répercutés indirectement à la marchandise d’une façon ou d’une autre. Le dérèglement climatique a désormais un coût qu’il va falloir budgéter dans les achats.

  • Les politiques publiques pourraient devenir plus contraignantes pour permettre un réel report modal, alors que celui-ci reste encore largement dans le registre des incantations. En France, ce point est à l’ordre du jour sur la partie terrestre conteneurisée, même si rien n’est encore acté. Si la représentation nationale arrive à orienter davantage de conteneurs en dehors de la route dans un nouveau cadre légal, il faudra payer plus cher pour ses approches et ses livraisons. Là aussi, ce sont plusieurs dizaines de dollars par conteneur qui sont dans la balance. 

Si l’on cumule ces éléments inflationnistes ramenés au conteneur, il y a un potentiel de hausse des coûts opérationnels d’environ 500 USD par conteneur, et 1500 USD par conteneur si l’on cumule un transit par le Cap de Bonne-Espérance par rapport à la route "normale" via Suez pour l’axe Asie-Europe.

2/ Les éléments déflationnistes

Un mur de surcapacité

  • Les capacités commandées par les compagnies maritimes durant les années post-Covid arrivent massivement sur le marché particulièrement sur l’axe Asie-Europe. En 2025, la tendance va se poursuivre, avec notamment plus d’une dizaine de méga porte-conteneurs bien encombrants, compte tenu des projections en matière de volumes à transporter.

  • La fuite en avant de MSC continue, avec un carnet de commande phénoménal, mais aussi un assèchement quasi systémique du marché de la deuxième main et de l’affrètement. Cette politique effrénée d’augmentation des capacités, amorcée il y a 4 ans, n’a pas pour objectif de transporter de l’air.

  • L’âge moyen des navires est en hausse et les taux de démolition restent à des points bas historiques, signe patent d’une offre globalement abondante.

La recomposition des alliances maritimes

  • Les nouvelles alliances maritimes qui vont se déployer à partir du mois de février 2025 vont chercher à être compétitives et vont vouloir "exister" sur leurs marchés. Le temps que cette nouvelle mécanique se mette en place et se positionne sur un horizon de plus long terme, il y aura une probabilité forte "d’acquisition de part de marché" par tel ou tel opérateur.

  • La Commission maritime fédérale américaine se veut garante d’une forme de pluralisme et d’un maintien de conditions de concurrence et de tarifs bas. Il y a une culture d’un interventionnisme légitime en la matière aux États-Unis, comme est venue le rappeler la demande d’informations complémentaires émise le 6 décembre dernier envers Premier Alliance, à la surprise générale.

La guerre commerciale

  • Dans l’immédiat, la perspective de l’augmentation des droits de douane aux États-Unis lors de l’entrée en fonction de la nouvelle administration Trump engendre un afflux de commandes anticipées, et donc une petite surchauffe des taux de fret. Mais je fais partie des analystes (certes non majoritaires) qui pensent que la hausse des droits de douane va avoir à terme des effets déflationnistes sur les coûts de transport, dans une logique de compensation partielle du renchérissement des marchandises. Ce mouvement de marché plus psychologique que réellement fondé avait déjà été observé sur les taux transpacifiques en 2018-2019.

Le contexte géopolitique

  • Sur l’axe Asie-Europe, un retour du trafic via un canal de Suez et une mer Rouge redevenus sûrs est une probabilité faible à l’horizon du trimestre, mais plus forte à l’échelle de l’année si l’Iran vacille. Si cette hypothèse se concrétise, le retournement de marché sera extrêmement brutal, avec une surcapacité explosive. Les compagnies risqueraient alors fortement de commercialiser l’espace à des tarifs inférieurs aux prix de revient.

AU SOMMAIRE

  • Scénario 1 : MSC fait le marché, les autres compagnies tentent de suivre 
  • Scénario 2 : une domination de MSC encadrée 
  • Scénario 3 : le grand réveil des États-Unis

 

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Expert du transport maritime depuis 25 ans, Jérôme met toute sa connaissance du secteur au profit d'Upply. Capitaine de navire dans l'âme, il est également l'auteur du Lexique anglais-français du transport maritime conteneurisé (Paris : CELSE, 2001).
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